Du 10 avril au 7 septembre 2025, la Fondation Boghossian et la Fondation Gandur pour l’Art ont présenté, à la Villa Empain de Bruxelles, l'exposition "Regards intemporels. Des pharaons à aujourd'hui". Ce genre de manifestation offre le précieux privilège de découvrir des artefacts détenus dans des collections privées qui, de ce fait, demeurent parfois très "confidentiels". La pièce "phare", figurant sur les affiches et en couverture du catalogue, était un buste "grandeur nature", en granite rouge, de Ramsès II.
Le pharaon porte le némès, cette coiffe qu'Isabelle Franco ("Dictionnaire de mythologie égyptienne") décrit ainsi : "Ce cache-perruque est en tissu rayé généralement bleu lapis-lazuli et or évoquant les premiers rayons du soleil. Cette coiffure particulière était réservée à la personne royale figurée en tant qu'officiant dans le monde divin ou dans un contexte funéraire". Maintenu par un bandeau qui laisse les oreilles apparentes mais couvre la majeure partie du front, il est orné, au centre, de l'uraeus au corps lové et à la tête dressée, symbole de pouvoir. Les pans en retombent de chaque côté du visage dans une belle symétrie alors que, à l'arrière, perdure la naissance de la natte terminale semblant rejoindre un étroit pilier dorsal.
Les petits yeux en amande, légèrement obliques, sont cernés d'un pourtour en relief, mais dépourvus de l'habituelle ligne de fard. Les sourcils, joliment arqués, prennent naissance à l'arête du nez. Ce dernier a été altéré et cette triste atteinte oblitère une grande partie de la personnalité du visage... La bouche fermée est menue mais les lèvres se révèlent assez charnues. On ne note pas de trace de fausse barbe accrochée au menton, ni de gorgerin autour du cou qui est court est épais. Fortement érodé par l'eau, le buste a souffert, le granite s'est délité en de nombreux endroits. Il est brisé, par une fracture non franche au dessus du nombril et les bras sont coupés au dessus du coude. Cette partie du corps semble cependant répondre aux caractéristiques générales de la statuaire de ce pharaon énoncées par Betsy Bryan ("Aménophis III, le Pharaon-Soleil") : "Les épaules de Ramsès II sont d'une largeur moyenne et son torse se rétrécit d'une manière continue jusqu'à la région ombilicale (région qui est la plus étroite chez ce roi)".
Dans "Essais sur l'art égyptien", Gaston Maspero rappelait comment était, pour lui, "véhiculée" l'image royale : "Lorsqu'un pharaon montait sur le trône, les sculpteurs de la ville où il était alors, que ce fût Memphis, Thèbes, Tanis, ou quelque autre, se hâtaient de tirer un certain nombre d'exemplaires de son portrait, vu de face ou de profil, qu'on expédiait aussitôt dans les provinces, afin que l'on pût substituer partout sa figure à celle de l'ancien souverain sur les édifices en cours d'exécution... Le type, une fois établi avec soin, ne changeait plus pendant toute la durée du règne. Ramsès II, qui mourut aux environs de la centaine après avoir exercé l'autorité pendant soixante-sept ans, garda jusque sur ses derniers monuments ses traits de jeune homme".
Dans "L'ABCdaire de Ramsès II", Christophe Barbotin donne cette analyse générale sur les différences existantes entre les "images" du roi : "Si les statues et bas-reliefs représentant Ramsès II sont innombrables, ils varient cependant beaucoup. La question de la nature du portrait royal se pose à nous dans les mêmes termes pour Ramsès II que pour tous les autres rois d'Egypte. Par sa momie, on sait que Sa Majesté avait le nez busqué et, de l'examen des statues, quelques traits généraux peuvent être définis : un visage rond, des yeux légèrement en amande, des arcades sourcilières proéminentes, le lobe des oreilles percés ; des plis de graisse sont également fréquemment représentés sur le cou, selon une mode issue de l'ère amarnienne". Néanmoins ajoute-t-il : "Les disparités entre les effigies sont importantes, à tel point que certaines d'entre elles ne se ressemblent pas du tout"… Pour Christian Leblanc, la raison de cette disparité est très certainement justifiée par le fait que : "les ateliers de production de ces statues étant parfois éloignés les uns des autres, chacun avait ses propres perceptions dans la reproduction des modèles. Ceci dit, on devait respecter malgré tout un certain nombre de critères et les statues qui pourraient paraître les plus "ressemblantes" à Ramsès, sont la statue de Turin, le colosse allongé de Memphis et sans doute aussi le jeune Memnon du British Museum ..."
Ce buste a été découvert, en 1891 - 1892, par l'égyptologue suisse Edouard Naville, pour le compte de l'Egypt Exploration Found, sur le site de l'ancienne Héracléopolis Magna.
Dans leur "Dictionnaire des pharaons", Pascal Vernus et Jean Yoyotte présentent ainsi cette cité : "Capitale du vingtième nome de Haute-Egypte, située un peu au sud du passage par où le Bahr Youssef entre dans le Fayoum, à l'emplacement du village moderne d'Ehnassiya ; au demeurant, le nom de ce village dérive du nom ancien d'Héracléopolis Magna, à savoir 'Hout-nen-nesou', 'le château de l'Enfant Royal'. Sa divinité principale était Hérichef (transcription grecque : Arsaphès), originellement un bélier devant une pièce d'eau, et déjà sous cette forme vénéré sous la première dynastie". Cité importante, surtout à la Première Période intermédiaire, puis à la Troisième Période intermédiaire, elle sera active également au Nouvel Empire puisque Ramsès II, se plaçant sous la protection de Hérichef, fera notamment les ajouts importants au temple de la XVIIIe dynastie.
A la fin du XXe siècle, son emplacement se résume à des tumulus couverts de tessons de poterie… Dans "Ahnas el Medineh (Heracleopolis Magna) : with chapters on Mendes, the nome of Thoth, and Leontopolis", Edouard Naville relate : "C'est au hasard que nous avons découvert l'emplacement de la demeure du dieu Arsaphes, et nous avons effectué de nombreux sondages avant de le découvrir dans une dépression à l'ouest du Kom el Dinar. On peut se faire une idée du travail nécessaire pour découvrir et dégager les vestiges de ce temple, en précisant que, pour ce faire, j'ai dû enlever plus de 1000 mètres cubes de terre…"
Et il ajoute : "Dans le vestibule se trouvaient quelques statues ; certaines étaient irrémédiablement brisées, ou tellement corrodées par l'eau qu'elles avaient complètement perdu leur aspect d'origine et étaient méconnaissables. Un torse en granit de grandeur nature, sans nom, devrait, je pense, être attribué à la XXe dynastie, à l'un des derniers Ramsès (pl. X. c.)".
Cette planche X présente trois photos. En haut au centre, la partie supérieure d'une représentation de Ramsès II en quartzite (a) qui a conservé sa polychromie et, en bas à gauche, la partie basse de cette statue du pharaon assis (b) avec le trône inscrit à ses titres. A droite se trouve ce buste (c) alors crédité de la mention "unknown head" mais dont la proximité avec les vestiges de la statuaire du grand pharaon du Nouvel Empire est certainement parlante…
Les fouilles de l'EEF étaient subventionnées par des sponsors du monde entier (institutions, musées, bibliothèques, particuliers,...) qui se voyaient, en retour, octroyer des artefacts provenant des missions qu'ils finançaient. Dans les archives consultables en ligne relatives à la destination des découvertes 1890-1891 d'Ehnassiya (Ihnasya el-Medina), on retrouve l'attribution d'une : "Colossal statue of Rameses II in red limestone painted with blue & yellow stripes on the head dress, in 3 pieces from Ahnas-el-medineh" au Penn Museum. Elle correspond aux fragments (a) et (b) plus un troisième non photographié (le musée a d'ailleurs fort bien restauré la statue - n° d'inv. E635), mais aucune mention n'est faite de l'attribution de ce buste en granite…
Il a été acquis par "La Fondation Gandur pour l'Art, Genève", chez Sotheby’s Londres, le 5 novembre 2002, lors de la vente de "The Charterhouse Collection - Antiquities" (lot n° 119), une prestigieuse école britannique, membre de l'EEF, dotée, dans son vaste domaine, d'un musée.
marie grillot
sources :
Edouard Naville, Thomas Hayter Lewis, Joseph John Tylor, Ahnas el Medineh (Heracleopolis Magna) : with chapters on Mendes, the nome of Thoth, and Leontopolis, The Egypt Exploration Fund, London, 1894
https://archive.org/details/ahnaselmedinehhe11navi/page/n73/mode/2up
William Matthew Flinders Petrie, Charles Trick Currelly, Ehnasya, 1904, The Egypt Exploration Fund, London,1905
https://archive.org/details/ehnasya26petr/mode/2up
Gaston Maspero, Essais sur l'art égyptien, 1912
https://archive.org/details/essaissurlartg00maspuoft
Betsy Bryan, Arielle P. Kozloff, Lawrence M. Berman, Élisabeth Delange, Aménophis III, le Pharaon-Soleil, Réunion des musées nationaux, 1993
L'ABCdaire de Ramsès II, Flammarion, 1997
Pascal Vernus, Jean Yoyotte, Dictionnaire des pharaons, Editions Perrin, 2004
Isabelle Franco, Dictionnaire de mythologie égyptienne, Tallandier, 2013
Simon Connor, Être et paraître: statues royales et privées de la fin du Moyen Empire et de la Deuxième Période intermédiaire (1850-1550 av. J.-C.), Golden House Publications, London, 2020, p. 373
Fondation Boghossian, Fondation Gandur pour l'Art, catalogue de l'exposition "Regards intemporels des pharaon à aujourd'hui", 10 avril au 7 septembre 2025 - Villa Empain, Bruxelles, 2025
Collection de la Fondation Gandur pour l'Art, Genève
https://onlinecollections.fg-art.org/eMP/eMuseumPlus?service=direct/1/ResultListView/result.t1.collection_list.$TspTitleImageLink.link&sp=10&sp=Scollection&sp=SfilterDefinition&sp=0&sp=1&sp=1&sp=SdetailList&sp=175&sp=Sdetail&sp=0&sp=F&sp=T&sp=178
Fondation Gandur pour l'Art - Fondation Boghossian - Villa Empain, Bruxelles
https://www.facebook.com/FondationGandurpourArt/posts/pfbid0q74moHpUAVtBQJDadu7P47QsXdV2xMPwF5Jh5b3knAZBazPbzcHXsikogqVTS2Pal
Artefacts of Excavation - British Excavations in Egypt 1880-1980 - Egypt Exploration Found
Ihnasya
https://egyptartefacts.griffith.ox.ac.uk/node/1124
https://egyptartefacts.griffith.ox.ac.uk/excavations/1890-91-ihnasya
https://egyptartefacts.griffith.ox.ac.uk/sites/default/files/Transcription%20of%20EEF%20distribution%20list%20for%20Philadelphia.pdf
Artefacts of Excavation - British Excavations in Egypt 1880-1980 - Godaming, Charterhouse School
https://egyptartefacts.griffith.ox.ac.uk/destinations/godaming-charterhouse-school
Penn Museum - Statue de Ramsès II - E635 - provenance : Héracléopolis
https://www.penn.museum/collections/object/53699
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