Le 18 octobre 1817, Giovanni Battista Belzoni découvre, dans la Vallée des Rois, une tombe immense aux parois recouvertes de scènes admirables. Il est subjugué par ce qui s'offre à ses yeux… "Je puis appeler le jour de cette découverte un des plus fortunés de ma vie" se souvient-t-il dans "Voyages en Egypte et en Nubie". "Je jugeai, par les peintures du plafond et par les hiéroglyphes en bas-relief que l'on distinguait à travers les décombres que nous étions maîtres de l'entrée d'une tombe magnifique".
Il ne peut savoir alors qu'il s'agit là de la "première tombe à être décorée d'un programme complet de textes religieux" ("Theban Mapping Project"), pas plus qu'il ne peut présumer à qui elle appartient...
Plan et coupe de la tombe de Séthy Ier à partir de planches illustrant les recherches et les opérations de G. Belzoni en Égypte et en Nubie © The Trustees of Sir John Soane’s Museum |
En référence à la "carcasse de taureau embaumé avec de l'asphalte" qui y est trouvée, elle sera dénommée "tombe de l'Apis" ou même parfois "tombe Belzoni". Puis, par erreur d'interprétation de Thomas Young, elle sera ensuite attribuée à "Nichao et Psammis son fils" ; pour Joseph Bonomi, elle sera le : "Tombeau d'Oimeneptah Ier". C'est grâce au déchiffrement des hiéroglyphes par Jean-François Champollion, en 1822, qu'elle pourra enfin être identifiée comme étant celle de Séthy Ier. Originaire du Delta, véritable initiateur de la XIXe dynastie, ce militaire, fin politique et grand bâtisseur, régnera sur le Double Pays pendant onze ans (1294 à 1279). Très tôt, il associera au trône son fils qui lui succédera sous le nom de Ramsès II.
L'hypogée (qui bien plus tard sera référencé KV 17), s'enfonce de 137 m dans la montagne thébaine par 7 corridors et compte 10 salles ! Belzoni va d'émerveillement en émerveillement et son admiration atteint son apogée alors qu'il arrive dans la salle du sarcophage. "Les peintures étaient toutes exécutées avec tant de perfection que je crus devoir appeler cette pièce la salle des beautés… Mais ce que cette salle offrit de plus important à nos regards, ce fut un sarcophage placé au centre, qui n'a pas de pareil dans le monde. Ce tombeau (sic) magnifique, ayant neuf pieds cinq pouces de long sur trois pieds sept pouces de large, est fait du plus bel albâtre oriental : n'ayant que deux pouces d'épaisseur, il devient transparent quand on place une lumière derrière une des parois : en dedans et en dehors, il est couvert de sculptures : ce sont des centaines de petites figures qui n'ont pas plus de deux pouces de haut et qui représentent -, à ce qu'il m'a semblé, toute la procession funéraire du mort déposé dans le sarcophage ainsi que des emblèmes, etc,… Malheureusement le couvercle y manquait : on l'avait enlevé et brisé ; et nous en trouvâmes quelques fragments dans les fouilles devant la première entrée"…
| Henry Salt (Lichfield, UK - 14-6-1780 - Alexandrie, Égypte - 30-10-1827) diplomate, consul d'Angleterre en Egypte de 1816 à 1835, collectionneur d'antiquités |
En 1821, après avoir descendu le Nil, puis rejoint Alexandrie, le sarcophage en albâtre, sera chargé à bord de la frégate HMS Diana qui fera voile vers la Grande-Bretagne. Entreposé au British Museum, il lui sera proposé avec la "première collection Salt". Les négociations avec le musée londonien, qui venait d'acquérir, pour £ 35000 les marbres prélevés par Lord Elgin sur le Parthénon, s'avéreront difficiles… Alors que Salt espérait £ 8000 de sa collection, il devra, après âpres et longues discussions, la leur céder pour… £ 2000 ! Quant au sarcophage, qu'il leur propose pour la somme £ 2000, Brian M. Fagan rappelle dans "The Rape of the Nile : Tomb Robbers, Tourists, and Archaeologists in Egypt" : "Les administrateurs rejetèrent catégoriquement l'offre du sarcophage, en raison à la fois des difficultés légales et du prix trop élevé, ceci, malgré les protestations de Salt et de Belzoni selon lesquelles ils avaient reçu des offres plus élevées de la part de Drovetti et d'autres acheteurs. Finalement, le sarcophage a été vendu £ 2000 à John Soane, un riche architecte et collectionneur d'art londonien"…
Le sarcophage de Séthy Ier au Sir John Soane's Museum, London © The Trustees of Sir John Soane's Museum |
Ce collectionneur "éclectique" avait été totalement fasciné par les aventures de Belzoni ainsi que par l'exposition "The Egyptian Tomb" (sur la tombe de Séthy Ier) que ce dernier organisait, avec son épouse Sarah, à l'Egyptian Hall de Piccadilly à Londres et qu'il avait visitée le 8 juin 1821… Il lui faudra patienter jusqu'au 12 mai 1824 pour pouvoir se porter acquéreur du sarcophage dont le British Museum avait obstinément refusé l'achat...
Dans "Sir John Soane's Greatest Treasure, The Sarcophagus of Seti I", John H. Taylor retrace ainsi l'installation du sarcophage dans la maison de Soane, à Lincoln's Inn Field le 12 mai 1824 : "La porte étant trop étroite pour le laisser entrer, une large ouverture dut être pratiquée à l'arrière de la maison, et des cordes furent utilisées pour le descendre au sous-sol, sous le dôme Soane, dans un espace nommé 'la chambre sépulcrale' en son honneur. Il constituait une pièce maîtresse parfaite pour la 'crypte' du musée de Soane, reflétant parfaitement sa personnalité autoproclamée comme 'mélancolique et maussade'".
Une note curatoriale du Sir John Soane Museum, où il est présenté sous le numéro d'inventaire M470, précise : "Ce sarcophage a été acquis avec, selon les premiers enregistrements, 18 morceaux du couvercle (voir X58 et X73, l'une des pièces fait en fait partie d'un vase canope et est maintenant catalogué le numéro du musée X74). Le musée possède également un moulage d'un autre morceau du couvercle présenté en 1961 (X164)... Le sarcophage se compose de deux blocs monolithiques d'albâtre, et est inscrit sur toute la surface avec des scènes religieuses et des personnages incisés et ensuite remplis d'une substance appelée 'bleu égyptien'. Bien que la majeure partie du remplissage bleu ait disparu, on peut le voir ici et là. L'effet quand il était complet devait être extrêmement beau"... Le Musée précise en outre que : "La vitrine victorienne qui protège aujourd'hui le sarcophage a été installée en 1866. Auparavant, le cercueil était exposé sans vitrine, comme le voulait Soane, simplement monté sur quatre colonnes cannelées. La vitrine, munie de roulettes, est démontable en deux parties. Elle a été rénovée en 2007 et l'épais verre victorien, d'une forte teinte verdâtre, a été retiré pour des raisons de sécurité et remplacé par du verre de sécurité transparent. Cela a amélioré la visibilité du sarcophage. La vitrine est désormais une pièce de musée à part entière et a protégé avec brio ce sarcophage délicat - dont la pierre se raye facilement et qui pourrait également être tachée par l'eau en cas de fuite de la lucarne située au-dessus - pendant plus de 150 ans". Un cadre en laiton le protège désormais… |
Ce magnifique et imposant cercueil momiforme dont le couvercle brisé dans l'antiquité devait être à l'effigie du pharaon, est long de 284,5 cm, large aux épaules 111,8 cm, haut de 68,6 cm, et son épaisseur varie de 2,5 à 10,2 cm. Il est illustré de textes et vignettes funéraires puisés dans le "Livre des Portes" qui se déclinent en douze sections, correspondant aux douze heures de la nuit…
Pour comprendre l'admiration suscitée par un tel artefact, John H. Taylor cite un extrait d'un article de presse du "Morning Post" du 22 avril 1824 : "Nous pensons qu'il n'existe aucun pays en Europe qui ne soit fier de posséder une telle rareté et que l'empereur de Russie, en particulier, se réjouirait de l'obtenir, s'il était possible de l'acheter à l'individu libéral et patriote qui en est aujourd'hui le propriétaire"…
| Giovanni Battista Belzoni (Padoue, 5-11-1778 - Tombouctou, 3-12-1823) portrait publié par son épouse Sarah en 1824 |
Quant à Belzoni, qui exprimait ainsi son sentiment face à cette pièce exceptionnelle : "Jamais l'Europe n'a reçu de l'Egypte un morceau antique de la magnificence de celui-ci", il sera le grand perdant financier des transactions… En effet, rappelle Brian M. Fagan, Henry Salt lui avait promis "la moitié du prix auquel monterait le sarcophage au delà de la somme dérisoire de deux mille livres"… Pas une seule livre ne lui fut donc versée…
marie grillot
sources :
Sir John Soane's Museum London, Sarcophagus of Pharaoh Seti (or Sety) I, resting on four fluted stone columns - c.1279 BC - XIXth Dynasty - Museum number : M470
http://collections.soane.org/object-m470
Sir John Soane's Museum London, Case covering the sarcophagus of Seti I - 1866 - Museum number: M470.A
https://collections.soane.org/object-m470-a
Sir John Soane's Museum London, Cast of a fragment of the lid of sarcophagus of Seti I - Museum number: X164
https://collections.soane.org/object-x164
Sir John Soane's Museum London, Fragment of the lid of the sarcophagus of Seti I - Museum number: X73.A.i (et suivants…)
https://collections.soane.org/object-x73-a-i
Brian M. Fagan, The Rape of the Nile : Tomb Robbers, Tourists, and Archaeologists in Egypt, Book Club Assocciates, 1975
https://books.google.fr/books?id=CI84DgAAQBAJ&pg=PT113&lpg=PT113&dq=exhibition%20Belzoni%20Seti%20Saint%20Petersburg&source=bl&ots=cpZJr4hXvf&sig=COEiL_SQlWBptDjwcsh4Hy9VOAc&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiBuPvggZfZAhWFzaQKHdkuDgEQ6AEIUzAH#v=onepage&q=exhibition%20Belzoni%20Seti%20Saint%20Petersburg&f=false
Giovanni Battista Belzoni, Voyage en Égypte et en Nubie, Pygmalion, 1979
Jean-Jacques Fiechter, La moisson des Dieux, Julliard, 1994
Brian M. Fagan, L'aventure archéologique en Egypte : Grandes découvertes, pionniers célèbres, chasseurs de trésors et premiers voyageurs, Pygmalion, 1997
Nicholas Reeves, les grandes découvertes de l'Egypte ancienne, éditions du Rocher, 2001
Nicholas Reeves, Richard H. Wilkinson, The complete Valley of the Kings, American University Cairo Press, 2002
Jean Vercoutter, À la recherche de l'Égypte oubliée, Découvertes Gallimard, 2007
https://books.google.fr/books?id=2IJnkBDoBBwC&pg=PA80&lpg=PA80&dq=exposition+egypte+boulevard+des+italiens+1822+paris&source=bl&ots=Sv3a4SiBkH&sig=kSl3FSh1RFMI2DB2URr9y9raz1Y&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwj9juyw15TZAhULL8AKHVFcC7wQ6AEIaTAD#v=onepage&q=exposition%20egypte%20boulevard%20des%20italiens%201822%20paris&f=false
John H. Taylor, Sir John Soane's Greatest Treasure, The Sarcophagus of Seti I, Pimpernel Press Ltd, 2017
Pierre Tallet, Frédéric Payraudeau, Chloé Ragazzolli, Claire Somaglino, L'Egypte pharaonique, histoire, société, culture, Armand Colin, 2019
Theban Mapping Project, KV 17, Sety I
https://thebanmappingproject.com/tombs/kv-17-sety-i
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