Bien loin de celles, ravissantes en feuille d'or des épouses étrangères de Thoutmosis III (Met 26.8.146-147-148 a, b) qui leur sont antérieures, bien loin aussi de celles d'or du pharaon Shéshonq (Caire JE 72166 A-B) qui leur sont postérieures, ces sandales en fibre végétales pourraient paraître banales et avoir "chaussé" le commun des "mortels"…
Leur minimalisme, leur simplicité dans la forme et dans le matériau "basique" qui les compose, ne laissent supposer qu'elles aient pu appartenir à l'une des reines les plus célèbres du Nouvel Empire : Nefertari !
La reine fut enterrée, vraisemblablement entourée d'un trésor funéraire digne de son haut rang, dans la demeure d'éternité dont son époux avait ordonné le creusement, du côté droit du ouadi principal de Ta Set Neferou. Les plus talentueux des artisans de Set Maât en avaient terminé la décoration et s'étaient surpassés dans la réalisation du programme iconographique …
Cependant, la porte qui devait protéger la demeure d'éternité - qui sera référencée QV/VdR 66 - avait été ouverte, signe d'un pillage dès l'antiquité.
"Des déblais avaient glissé, pénétré dans la première salle et ce remplissage atteignait presque le plafond", note Schiaparelli. Le sol de la tombe est entièrement recouvert de boue solidifiée… Du fabuleux et royal trésor qu'elle a dû abriter, il ne reste que "de rares objets, au milieu de linceuls déchirés, tout montrait à quel point le viol et le saccage avaient été systématiques". Les pilleurs n'ont laissé que "des scarabées, des fragments du couvercle du sarcophage en granit, et des fragments d'un couvercle de cercueil en bois doré. Une trentaine de 'chaouabtis', de nombreux tessons de poterie… Une des niches aménagées pour les briques magiques dans la chambre funéraire contenait le pilier-djed en bois cloisonné avec incrustation de pâte de verre qui avait, un jour, décoré la brique. Il est inscrit au nom de la reine Nefertari… Enfin pour finir, humble mais émouvant objet délaissé par les pillards, une paire de sandales en corde…"
Leurs dimensions sont 10 cm x 29 cm x 9,5 cm et elles ont souffert… Seules les semelles sont en bon état de conservation et la qualité, la régularité du "tressage" des fibres végétales témoignent du soin qui fut apporté à leur conception. Trois bandes de renforcement, cousues de manière régulière et serrée, en constituent la bordure et en dessinent la forme, sensiblement en pointe sur le devant. Au centre, et légèrement en retrait, se trouve, prise dans la semelle, une épaisse "tige" destinée à être placée entre le gros et le second orteil : elle est partiellement lacunaire pour le pied gauche et a totalement disparu au pied droit. Elles rejoignaient, sur le "cou de pied", deux larges "sangles" fichées de part et d'autre dans la semelle, vers l'arrière du pied. Elles étaient peut-être faites de bandes de roseau aplati, d'herbe alfa, ou de papyrus fendu et joliment entrecroisées pour évoquer la forme généreuse d'un nœud comme en témoignent certains modèles.
Les sandales, qu'elles soient en fibres végétales ou en cuir, de couleur naturelle ou enduites de peinture blanche, recouvertes de feuille d'or ou encore enrichies de perles, étaient partie intégrante des trousseaux funéraires…
Dans le catalogue de l'exposition "Pharaons", Jean Yoyotte nous éclaire ainsi : "Dans les textes funéraires, le souci de rendre au mort la possibilité de circuler sur ses pieds s'exprime fréquemment. Elément de confort, signe d'aisance, les sandales dont le port était d'ailleurs prescrit pour l'accomplissement de certains rituels, étaient un élément important de l'équipement du mort". Outre celles mentionnées précédemment, dans la tombe de Youya et Touya (KV 46), par exemple, neuf paires furent retrouvées et, dans celle de Toutankhamon (KV 62) on dénombra 93 "chaussures" …
Dans le volume 31 du "Metropolitan Museum of Art Bulletin", Nora E. Scott précise que dans l'Egypte ancienne : "Les chaussures étaient limitées aux sandales en jonc tissé ou en cuir ; hommes et femmes, même les riches, préféraient souvent marcher pieds nus."
Dans sa tombe, la belle Nefertari avance dans son périple vers la renaissance, toujours pieds-nus, sauf dans deux scènes qui sont à gauche à l'entrée de la tombe : celle où assise, dans un magnifique fauteuil elle joue seule au senet, et celle tout à côté, où elle est agenouillée en adoration : elle porte alors des sandales blanches "à la poulaine".
Ces sandales ont été enregistrées dans les collections du Musée de Turin sous le numéro d'inventaire Suppl. 5160/01. A l'occasion de ses 200 ans, le musée a réorganisé ses salles d'exposition et en a dédié une à la tombe de Nefertari : les sandales se trouvent dans la première vitrine à gauche… Fragiles, oui, mais tellement émouvantes !
marie grillot
sources :
Sandalo infradito
https://collezioni.museoegizio.it/it-IT/material/S_5160_01/?description=&inventoryNumber=Suppl.+5160%2F01&title=&cgt=&yearFrom=&yearTo=&materials=&provenance=&acquisition=&epoch=&dynasty=&pharaoh=&searchLng=it-IT&searchPage=1
Édouard Naville, Les fouilles italiennes en Égypte, Schiaparelli. Relazione sui lavori della Missione archeologica Italiana in Egitto (1903-1920). Volume primo. Esplorazione della Valle delle Regine nella necropoli di Teba, Journal des Savants, année 1926, 4, pp. 157-1671926
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jds_0021-8103_1926_num_4_1_5659
Scott, Nora E. The Metropolitan Museum of Art Bulletin, new ser., vol. 31, no. 3, Spring 1973, New York, p. 158-59, fig. 34.
Robert Steven Bianchi, In the Tomb of Nefertari : conservation of the wall paintings, Malibu 1992, The J.Paul Getty Museum and The Getty Conservation Institute, 1992
https://www.getty.edu/publications/resources/virtuallibrary/9780892362295.pdf
John K. McDonald, House of Eternity, The Tomb of Nefertari
The Getty Conservation Institute and the J. Paul Getty Museum
Los Angeles
http://www.getty.edu/conservation/publications_resources/pdf_publications/pdf/house_eternity1.pdf
http://www.getty.edu/conservation/publications_resources/pdf_publications/pdf/house_eternity2.pdf
http://www.getty.edu/conservation/publications_resources/pdf_publications/pdf/house_eternity3.pdf
Christian Leblanc, Isis-Nofret, grande épouse de Ramsès II. La reine, sa famille et Nofretari, BIFAO 93, 1993, p. 313-333
https://www.ifao.egnet.net/bifao/093/17/
Christian Leblanc, Nefertari, Editions du Rocher 1999
Pharaons, catalogue de l'exposition présentée à l'Institut du monde arabe à Paris, du 15 octobre 2004 au 10 avril 2005, IMA, Flammarion, 2005
Christian Leblanc, Reines du Nil, La bibliothèque des introuvables, 2009
Guide Museo Egizio, éditions Franco Cosimo Panini, 2016
Christian Leblanc, Regards croisés sur la civilisation égyptienne, Pages choisies d’archéologie et d’histoire, L'Harmattan, 2024
Egypte-actualités - Egyptophile, Interview de Christian Greco,
directeur du Musée Egyptien de Turin, juillet 2025
https://www.blogger.com/blog/post/edit/3113361505770765094/1638397051119918947
Sandals from Thebes, Wadi Gabbanat el-Qurud, Wadi D, Tomb of the Three Foreign Wives of Thutmose III
https://www.metmuseum.org/art/collection/search/547647
About The Valley of the Queens - Theban Mapping Project
https://thebanmappingproject.com/valley-queens-and-western-wadis#history
https://thebanmappingproject.com/tombs/qv-66-queen-nefertari-merymut
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