lundi 11 août 2025

Les émouvantes sandales d'une grande reine




Sandales "tongs" - fibre végétale - Nouvel Empire - XIXe dynastie - règne de Ramsès II (vers 1279 - 1213 av. J.-C.)
provenant de la tombe de Nefertari - QV66 - découvertes lors de fouilles menées dans la Vallée des Reines, en 1904,
par la Mission Archéologique du Musée de Turin dirigée par Ernesto Schiaparelli et Francesco Ballerini
Musée égyptien de Turin - numéro d'inventaire Suppl. 5160/01


Bien loin de celles, ravissantes en feuille d'or des épouses étrangères de Thoutmosis III (Met 26.8.146-147-148 a, b) qui leur sont antérieures, bien loin aussi de celles d'or du pharaon Shéshonq (Caire JE 72166 A-B) qui leur sont postérieures, ces sandales en fibre végétales pourraient paraître banales et avoir  "chaussé" le commun des "mortels"…


Leur minimalisme, leur simplicité dans la forme et dans le matériau "basique" qui les compose, ne laissent supposer qu'elles aient pu appartenir à l'une des reines les plus célèbres du Nouvel Empire : Nefertari !

Nefertari accomplissant l'offrande des étoffes à Ptah - Scène de sa tombe QV/VdR 66 - située du côté droit du ouadi principal de Ta Set Neferou
découverte lors de fouilles menées dans la Vallée des Reines, en 1904
par la Mission Archéologique du Musée de Turin dirigée par Ernesto Schiaparelli et Francesco Ballerini

Grande épouse royale de Ramsès II, d'une beauté éclatante, elle était parée de titres éloquents. "À la cour d'Égypte, on l'appelait 'Mout la Belle' ou encore 'Mout la Divine', mais son véritable nom était Nefertari. On le traduisit par "Celle qui appartient à la Beauté", "Sa belle", "La plus belle de toutes", "La plus belle d'entre elles" ou tout simplement "La plus belle" rappelle Christian Leblanc dans l'introduction à son ouvrage "Nefertari, l'aimée-de-Mout".

Après avoir occupé une place prépondérante durant les trois premières décennies du règne, Nefertari disparu dans des circonstances qui ne sont, à ce jour, pas élucidées : "Nous ne savons bien sûr rien des causes du décès de la reine, pas même l'âge auquel elle est morte puisque sa momie n'a jamais été intégralement retrouvée … Ce que nous pouvons dire, c'est qu'elle quitta le monde des vivants entre l'an 24 et l'an 26 du règne de Ramsès II" reconnaît l'égyptologue.


La reine fut enterrée, vraisemblablement entourée d'un trésor funéraire digne de son haut rang, dans la demeure d'éternité dont son époux avait ordonné le creusement, du côté droit du ouadi principal de Ta Set Neferou. Les plus talentueux des artisans de Set Maât en avaient terminé la décoration et s'étaient surpassés dans la réalisation du programme iconographique … 

Chambre sépulcrale de la tombe de Nefertari - QV/VdR 66 - située du côté droit du ouadi principal de Ta Set Neferou
découverte lors de fouilles menées dans la Vallée des Reines, en 1904
par la Mission Archéologique du Musée de Turin dirigée par Ernesto Schiaparelli et Francesco Ballerini

Elle était, en tous points, à la hauteur des superlatifs attribués à la reine, si belle et si sublime, qu'elle était - et demeure toujours - le joyau de cette nécropole dédiée aux princes, princesses et reines …

Sur plus de 500 m², la noblesse est là, la féminité affleure, la beauté rayonne, exprimée, sublimée, dans des scènes peintes dans le goût le plus exquis… Les représentations de la reine à la peau "rosée", vêtue d'une robe de lin blanc plissé et à la perruque surmontée de la dépouille de vautour et d'un mortier subjuguent… 

Tout cela ne nous serait pas connu si la Mission Archéologique du Musée de Turin, dirigée par Ernesto Schiaparelli et Francesco Ballerini, n'avait entrepris des fouilles dans la Vallée des Reines et ne l'avait découverte, le 10 février 1904…

Entrée de la tombe de Nefertari - QV/VdR 66 - située du côté droit du ouadi principal de Ta Set Neferou
découverte lors de fouilles menées dans la Vallée des Reines, en 1904
par la Mission Archéologique du Musée de Turin  dirigée par Ernesto Schiaparelli et Francesco Ballerini 

Cependant, la porte qui devait protéger la demeure d'éternité - qui sera référencée QV/VdR 66 - avait été ouverte, signe d'un pillage dès l'antiquité.


"Des déblais avaient glissé, pénétré dans la première salle et ce remplissage atteignait presque le plafond", note Schiaparelli. Le sol de la tombe est entièrement recouvert de boue solidifiée… Du fabuleux et royal trésor qu'elle a dû abriter, il ne reste que "de rares objets, au milieu de linceuls déchirés, tout montrait à quel point le viol et le saccage avaient été systématiques". Les pilleurs n'ont laissé que "des scarabées, des fragments du couvercle du sarcophage en granit, et des fragments d'un couvercle de cercueil en bois doré. Une trentaine de 'chaouabtis', de nombreux tessons de poterie… Une des niches aménagées pour les briques magiques dans la chambre funéraire contenait le pilier-djed en bois cloisonné avec incrustation de pâte de verre qui avait, un jour, décoré la brique. Il est inscrit au nom de la reine Nefertari… Enfin pour finir, humble mais émouvant objet délaissé par les pillards, une paire de sandales en corde…"

Sandales "tongs" - fibre végétale - Nouvel Empire - XIXe dynastie - règne de Ramsès II (vers 1279 - 1213 av. J.-C.)
provenant de la tombe de Nefertari - QV66 - découvertes lors de fouilles menées dans la Vallée des Reines, en 1904
par la Mission Archéologique du Musée de Turin dirigée par Ernesto Schiaparelli et Francesco Ballerini
Musée égyptien de Turin - numéro d'inventaire Suppl. 5160/01

Leurs dimensions sont 10 cm x 29 cm x 9,5 cm et elles ont souffert… Seules les semelles sont en bon état de conservation et la qualité, la régularité du "tressage" des fibres végétales témoignent du soin qui fut apporté à leur conception. Trois bandes de renforcement, cousues de manière régulière et serrée, en constituent la bordure et en dessinent la forme, sensiblement en pointe sur le devant. Au centre, et légèrement en retrait, se trouve, prise dans la semelle, une épaisse "tige" destinée à être placée entre le gros et le second orteil : elle est partiellement lacunaire pour le pied gauche et a totalement disparu au pied droit. Elles rejoignaient, sur le "cou de pied", deux larges "sangles" fichées de part et d'autre dans la semelle, vers l'arrière du pied. Elles étaient peut-être faites de bandes de roseau aplati, d'herbe alfa, ou de papyrus fendu et joliment entrecroisées pour évoquer la forme généreuse d'un nœud comme en témoignent certains modèles. 

Sandales "tongs" - fibre végétale - Nouvel Empire - XIXe dynastie - règne de Ramsès II (vers 1279 - 1213 av. J.-C.)
provenant de la tombe de Nefertari - QV66 - découvertes lors de fouilles menées dans la Vallée des Reines, en 1904
par la Mission Archéologique du Musée de Turin dirigée par Ernesto Schiaparelli et Francesco Ballerini
Musée égyptien de Turin - numéro d'inventaire Suppl. 5160/01
Dessins de Paolo Marini (conservateur au Museo Egizio) exposés dans la même vitrine et détaillant notamment le type de "tressage" de la trame

Les sandales, qu'elles soient en fibres végétales ou en cuir, de couleur naturelle ou enduites de peinture blanche, recouvertes de feuille d'or ou encore enrichies de perles, étaient partie intégrante des trousseaux funéraires…


Dans le catalogue de l'exposition "Pharaons", Jean Yoyotte nous éclaire ainsi :  "Dans les textes funéraires, le souci de rendre au mort la possibilité de circuler sur ses pieds s'exprime fréquemment. Elément de confort, signe d'aisance, les sandales dont le port était d'ailleurs prescrit pour l'accomplissement de certains rituels, étaient un élément important de l'équipement du mort". Outre celles mentionnées précédemment, dans la tombe de Youya et Touya (KV 46), par exemple, neuf paires furent retrouvées et, dans celle de Toutankhamon (KV 62) on dénombra 93 "chaussures" …


Dans le volume 31 du "Metropolitan Museum of Art Bulletin", Nora E. Scott précise que dans l'Egypte ancienne : "Les chaussures étaient limitées aux sandales en jonc tissé ou en cuir ; hommes et femmes, même les riches, préféraient souvent marcher pieds nus."


Dans sa tombe, la belle Nefertari avance dans son périple vers la renaissance, toujours pieds-nus, sauf dans deux scènes qui sont à gauche à l'entrée de la tombe : celle où assise, dans un magnifique fauteuil elle joue seule au senet, et celle tout à côté, où elle est agenouillée en adoration : elle porte alors des sandales blanches "à la poulaine".

Coiffée de la dépouille de vautour surmontée d'un mortier, vêtue d'une robe de fin lin blanc et portant des sandales "à la poulaine"
Nefertari, assise sous un dais, joue, seule au senet (vignette du chapitre XVII du Livre des Morts)
Scène de sa tombe - QV66 - découverte lors de fouilles menées dans la Vallée des Reines, en 1904
par la Mission Archéologique du Musée de Turin dirigée par Ernesto Schiaparelli et Francesco Ballerini

Ces sandales ont été enregistrées dans les collections du Musée de Turin sous le numéro d'inventaire Suppl. 5160/01. A l'occasion de ses 200 ans, le musée a réorganisé ses salles d'exposition et en a dédié une à la tombe de Nefertari : les sandales se trouvent dans la première vitrine à gauche… Fragiles, oui, mais tellement émouvantes !


marie grillot

 


sources : 

Sandalo infradito

https://collezioni.museoegizio.it/it-IT/material/S_5160_01/?description=&inventoryNumber=Suppl.+5160%2F01&title=&cgt=&yearFrom=&yearTo=&materials=&provenance=&acquisition=&epoch=&dynasty=&pharaoh=&searchLng=it-IT&searchPage=1

Édouard Naville, Les fouilles italiennes en Égypte, Schiaparelli. Relazione sui lavori della Missione archeologica Italiana in Egitto (1903-1920). Volume primo. Esplorazione della Valle delle Regine nella necropoli di Teba, Journal des Savants, année 1926, 4, pp. 157-1671926

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jds_0021-8103_1926_num_4_1_5659

Scott, Nora E. The Metropolitan Museum of Art Bulletin, new ser., vol. 31, no. 3, Spring 1973, New York, p. 158-59, fig. 34.

Robert Steven Bianchi, In the Tomb of Nefertari : conservation of the wall paintings, Malibu 1992, The J.Paul Getty Museum and The Getty Conservation Institute, 1992

https://www.getty.edu/publications/resources/virtuallibrary/9780892362295.pdf

John K. McDonald, House of Eternity, The Tomb of Nefertari 

The Getty Conservation Institute and the J. Paul Getty Museum

Los Angeles

http://www.getty.edu/conservation/publications_resources/pdf_publications/pdf/house_eternity1.pdf

http://www.getty.edu/conservation/publications_resources/pdf_publications/pdf/house_eternity2.pdf

http://www.getty.edu/conservation/publications_resources/pdf_publications/pdf/house_eternity3.pdf

Christian Leblanc, Isis-Nofret, grande épouse de Ramsès II. La reine, sa famille et Nofretari, BIFAO 93, 1993, p. 313-333

https://www.ifao.egnet.net/bifao/093/17/

Christian Leblanc, Nefertari, Editions du Rocher 1999

Pharaons, catalogue de l'exposition présentée à l'Institut du monde arabe à Paris, du 15 octobre 2004 au 10 avril 2005, IMA, Flammarion, 2005

Christian Leblanc, Reines du Nil, La bibliothèque des introuvables, 2009

Guide Museo Egizio, éditions Franco Cosimo Panini, 2016

Christian Leblanc, Regards croisés sur la civilisation égyptienne, Pages choisies d’archéologie et d’histoire, L'Harmattan, 2024

Egypte-actualités - Egyptophile, Interview de Christian Greco,

directeur du Musée Egyptien de Turin, juillet 2025

https://www.blogger.com/blog/post/edit/3113361505770765094/1638397051119918947

Sandals from Thebes, Wadi Gabbanat el-Qurud, Wadi D, Tomb of the Three Foreign Wives of Thutmose III

https://www.metmuseum.org/art/collection/search/547647

About The Valley of the Queens - Theban Mapping Project

https://thebanmappingproject.com/valley-queens-and-western-wadis#history

https://thebanmappingproject.com/tombs/qv-66-queen-nefertari-merymut

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