Cette tête de jeune homme, d'adolescent, haute d'à peine 9 cm, est absolument charmante, adjectif à prendre en son sens premier signifiant que l'on tombe sous le charme…
Elle est sculptée en ronde bosse dans de l'ébène, dit "des pharaons", un bois précieux à la couleur sombre et au grain fin. L'artisan qui l'a conçue a dû longtemps polir la pièce de bois pour obtenir cet aspect lisse et brillant, où les veines insufflent une énergie que les fentes du temps ne parviennent à ternir…
Il a également dû faire preuve d'adresse, de constance, pour obtenir cette symétrie parfaite et si gracieuse du visage, tout comme avec patience il a dû "ciseler" la texture de la perruque… Ce sont en effet de multiples mèches ondulées se terminant par de doubles perles qui couvrent la majeure partie du front puis encadrent les joues en un dégradé parfait descendant jusqu'à la naissance du cou.
Les yeux en amande s'étirent en remontrant très légèrement vers les tempes. Ils sont cernés d'un rebord rapporté, fait d'une matière noire mate, mais sont dépourvus de ligne de fard. Les cavités oculaires sont orphelines des incrustations qui les animaient : la cornée, l'iris et la pupille sont perdus, seuls demeurent les restes d'une substance blanchâtre… Les sourcils arqués, travaillés en creux sont, eux aussi, privés de la matière sombre qui les emplissait et qui devait être semblable à celle du pourtour des yeux…
Le nez fin aux narines légèrement renflées est d'une grande noblesse. Peu de place est laissée au sillon labio-nasal… La bouche close affiche des lèvres charnues et bien dessinées. Le menton, petit, est légèrement arrondi et le cou est malheureusement brisé.
Sur quel type de statue "s'emboîtait" cette tête ? Le jeune homme était-il représenté assis, ou plutôt debout dans l'attitude de la marche ? Etait-il vêtu d'un pagne long au devanteau travaillé, portait-il une tunique de lin aux manches plissées ? Son identité était-elle déclinée sur un pilier dorsal, sur son vêtement ou sur le socle sur lequel il reposait ? Ces questions … et tant d'autres … restent sans réponse face à ce regard absent et pourtant si présent …
Dans le "Guide du musée des Beaux-Arts de Lyon, 1998", Véronique Gay et Jean-Claude Goyon émettent, sur cette tête, cette intéressante hypothèse : "Pourvue d'un tenon carré, elle a pu servir de partie terminale à la base d'une harpe, selon un modèle en vogue à la fin de la fin de la XVIIIe dynastie". Ils ajoutent aussi : "mais il n'est pas exclu que cette pièce soit datable du règne d'Amenophis III, avant l'épisode amarnien".
Et en effet, comment ne pas souscrire à ce que rappelle si justement le "Guide du visiteur des Antiquités Égyptiennes du Musée du Louvre" : "Parallèlement à la statuaire royale, la sculpture privée atteignit sous Amenophis III, des sommets inégalés. Les artistes parvinrent à un équilibre parfait entre la pureté des lignes du visage et la finesse du rendu des coiffures et des vêtements"…
Cet artefact est entré au Musée des Beaux-Arts de Lyon en 1835, par l'acquisition de la collection du Cabinet de Curiosités de celui qui avait été son premier conservateur, l'archéologue François Artaud (1767 - 1838).
Proche des Frères Champollion (Jean-François le surnommait "l'ami Artaud"), cet homme "dont la courtoisie n'avait d'égale que sa grande culture" (Alain Faure, "Champollion, le savant déchiffré") avait reçu le "chevalier Drovetti" lors de son passage à Lyon en 1827. Celui qui avait été, par deux fois, consul de France en Égypte, venait de vendre deux importantes collections (l'une, en 1824 au musée de Turin, la seconde, en 1827 au Louvre), lui avait alors remis de nombreuses antiquités… Dans son ouvrage "Description des antiquités et objets d'art contenus dans les salles du Palais des Arts de la ville de Lyon, 1855-1857", Ambroise Comarmond, évoque onze artefacts : "donnés à Artaud. (Cabinet Artaud(...)" précisant pour l'un : "Il vient de Thèbes, et a été donné à Artaud par M. Drovetti" ; ou encore pour l'autre : "apportée des hypogées de Thèbes, par M. Drovetti, qui en a fait présent à Artaud. (Cabinet Artaud(...)"… Si la mention n'est pas précisée pour cet artefact, Geneviève Galliano dans "Les antiquités : l'Égypte, le Proche et le Moyen-Orient, la Grèce, l'Italie : guide des collections / Musée des Beaux-Arts de Lyon, 1997", mentionne bien cette "provenance".
Ce beau thébain a ainsi rejoint la capitale des Gaules "sous le manteau" d'un italien, ex-consul de France en Égypte…
marie grillot
sources :
Tête d'homme, Égypte, Thèbes, vers 1400-1330 avant J.-C.
https://www.mba-lyon.fr/fr/fiche-oeuvre/tete-dhomme
Tête d'homme - Figurine - XVIIIe dynastie : Fin - Amenhotep III : Date estimée de début - Toutânkhamon : Date estimée de fin
http://collections.mba-lyon.fr/fr/search-notice/detail/h-1368-tete-d-h-aa0cf
Musée des Beaux-Arts de Lyon - Histoire de la collection d'antiquités
https://www.mba-lyon.fr/fr/article/histoire-de-la-collection-dantiquites
Ambroise Comarmond, Description des antiquités et objets d'art contenus dans les salles du Palais des arts de la ville de Lyon, Imprimerie F. Dumoulin, Lyon, 1855- 1857, 1860
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5741857n/f646.item.texteImage
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5741857n/f6.item.r=artaud
Le Guide du visiteur - Louvre - Les antiquités égyptiennes I, RMN, 1997
Geneviève Galliano, Les antiquités : l'Égypte, le Proche et le Moyen-Orient, la Grèce, l'Italie : guide des collections, Musée des Beaux-Arts de Lyon, 1997, p. 42
Dominique Brachlianoff, Christian Briend, Philippe Durey, Geneviève Galliano, Véronique Gay, Jean-Claude Goyon, Valérie Lavergne-Durey, François Planet, Anne de Margerie, Guide du Musée des Beaux-Arts de Lyon, Paris, Réunion des musées nationaux, 1998, p. 33
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3370353d/f35.image.r=ebene
H 1368
Alain Faure, Champollion, le savant déchiffré, Fayard, 2004
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