lundi 3 mars 2025

Hathor et Séthi Ier : un divin et royal face à face !


Bas-relief de Séthi Ier et Hathor - calcaire peint - Nouvel Empire - XIXe dynastie (1294 -1279 av. J.-C.) - provenant de sa tombe - KV 17
découverte le 18 octobre 1817 dans la Vallée des Rois par Giovanni Battista Belzoni
 Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - Champollion n°1 - B 7 - N 124 - CC 243 - rapporté par Jean-François Champollion 
lors de l'Expédition franco-toscane (1828-1829) - © 2017 Musée du Louvre, Dist. GrandPalaisRmn / Christian Décamps


Quelle intensité, quelle symbiose dans ce divin et royal face à face ! Ce "tableau", de fin calcaire peint, d'une hauteur de 226,5 cm et d'une largeur de 105 cm, réunit, sous le signe du ciel - et de l'élégance - la déesse Hathor et Séthi Ier. Comme le précise si bien Christiane Ziegler dans "L'Égypte ancienne au Louvre" : "La scène est traitée avec le raffinement caractéristique de l'époque de Séthi Ier : bas relief soigné, richesse des couleurs chaudes, transparence des plissés, perfection des détails pour le devanteau incrusté de pierre ou la résille de perles ornant la tunique divine dont les motifs reprennent les noms de Séthi Ier".


Le corps longiligne d'Hathor, "patronne de la nécropole thébaine", est magnifiquement mis en valeur par cette robe rythmée de motifs géométriques et bordée de  galons à rectangles colorés alternés. De ravissantes parures ornent son cou et ses membres : un gorgerin, des bracelets, des armilles, des périscélides, le tout d'un goût parfait. Sa boucle d'oreille en forme de serpent dressé (qui n'est pas sans annoncer celle portée par Nefertari dans plusieurs représentations de sa tombe), semble caresser sa joue. Son visage, d'une pureté absolue, est illuminé par un œil étiré, cerné de kohol et surmonté d'un sourcil qui répond exactement à l'étirement de la ligne de fard… Sa perruque "à volants", striée verticalement est déclinée en deux tons. Elle est rehaussée d'un bandeau couleur or au dessus du front et, un peu plus bas, de ce ruban rouge noué sur la nuque si particulier aux déesses. Sa tête est surmontée d'un mortier simple au centre duquel sont fichées deux cornes de vache enserrant le disque solaire et sur lesquelles s'étire un cobra, dont on voit la tête sur le devant et la queue à l'arrière.

Bas-relief de Séthi Ier et Hathor - calcaire peint - Nouvel Empire - XIXe dynastie (1294 -1279 av. J.-C.) - provenant de sa tombe - KV 17
découverte le 18 octobre 1817 dans la Vallée des Rois par Giovanni Battista Belzoni
Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - Champollion n°1 - B 7 - N 124 - CC 243 - rapporté par Jean-François Champollion
lors de l'Expédition franco-toscane (1828-1829) - © 2017 Musée du Louvre, Dist. GrandPalaisRmn / Christian Décamps

Séthi Ier, fils de Ramsès Ier, second roi de la XIXe dynastie, qui régna onze ans sur le Double Pays, est représenté en grande tenue d'apparat. Sa magnifique perruque noire est ceinte du cobra dressé au corps lové. Ses pieds sont chaussés de sandales d'or. Ses vêtements sont fait du lin le plus fin et son pagne est pourvu d'un superbe devanteau. Bordé de rubans, il est composé de bandes verticales à motifs en chevrons et se termine par une frise cernée par deux cobras. 

Son bras droit est tendu le long du corps et sa main enserre la main gauche de la déesse. "On remarquera la symétrie bien égyptienne de la composition et le geste inusuel des mains qui se joignent" (Christiane Ziegler, "L'Égypte ancienne au Louvre"). Son bras gauche est plié et sa main arrive ainsi à hauteur de celle d'Hathor qui, effectuant le même geste, tend vers lui, en signe de protection, son collier ménat.

Bas-relief de Séthi Ier et Hathor - calcaire peint - Nouvel Empire - XIXe dynastie (1294 -1279 av. J.-C.) - provenant de sa tombe - KV 17
découverte le 18 octobre 1817 dans la Vallée des Rois par Giovanni Battista Belzoni
 Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - Champollion n°1 - B 7 - N 124 - CC 243 - rapporté par Jean-François Champollion
lors de l'Expédition franco-toscane (1828-1829) - © 2017 Musée du Louvre, Dist. GrandPalaisRmn / Christian Décamps

"La ménat est un collier avec contrepoids, à la foi parure et instrument de musique. Spécifique de la déesse Hathor, il servait à transmettre son fluide. Le contrepoids est clairement associé à l'idée de renaissance et aux rites de transition, tandis que le geste est nettement jubilaire" analysent Christiane Ziegler et Jean-Luc Bovot, dans "Art et archéologie, L'Égypte ancienne".


Ce magnifique relief provient de l'entrée du quatrième corridor, (lieu de transition vers le monde souterrain), de la tombe du pharaon. Mise au jour, dans la Vallée des Rois, le 18 octobre 1817, par Giovanni Battista Belzoni, elle s'enfonce de 137 m dans la montagne thébaine par 7 longs corridors desservant 10 salles ! C'est certainement l'une des plus belles et des plus "complètement" décorées de la nécropole royale. C'est aussi l'une de celles où la qualité des peintures atteint la plus haute perfection… Le découvreur est subjugué par la beauté de ce qui s'offre à ses yeux : "Je jugeai, par les peintures du plafond et par les hiéroglyphes en bas-relief que l'on distinguait à travers les décombres que nous étions maîtres de l'entrée d'une tombe magnifique". La clé de lecture des hiéroglyphes n'étant pas encore résolue, il est alors impossible de savoir à qui appartient cette demeure d'éternité. Ainsi, dans un premier temps sera-t-elle appelée "tombe Belzoni" ou encore "tombe de l'Apis", en référence à la "carcasse de taureau embaumé avec de l'asphalte" qui y fut trouvée. C'est bien plus tard qu'elle sera attribuée au père de Ramsès II puis référencée KV 17. 

Bas-relief de Séthi Ier et Hathor - calcaire peint - Nouvel Empire - XIXe dynastie (1294 -1279 av. J.-C.) - provenant de sa tombe - KV 17
découverte le 18 octobre 1817 dans la Vallée des Rois par Giovanni Battista Belzoni
Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - Champollion n°1 - B 7 - N 124 - CC 243 - rapporté par Jean-François Champollion
lors de l'Expédition franco-toscane (1828-1829) - © 2017 Musée du Louvre, Dist. GrandPalaisRmn / Christian Décamps


Avec l'aide précieuse d'Alessandro Ricci, Giovanni Battista Belzoni fera le relevé des plus belles scènes de l'hypogée. Il les exposera, dès mai 1821, à l'"Egyptian Hall Piccadilly" à Londres, puis en 1822, aux "Bains Chinois" à Paris. 


Jean-François Champollion qui sera au nombre des visiteurs, resta "muet d'admiration" paraît-il en visitant la "salle principale plus vraie que nature"… C'est à peu près au même moment, que le 14 septembre 1822, le génial déchiffreur s’écrie "JE TIENS MON AFFAIRE" ! Après des années de travail, il vient de comprendre le principe extrêmement complexe de l’écriture égyptienne, tout à la fois idéographique, alphabétique et phonétique… Le 27 septembre, par sa fameuse "Lettre à M. Dacier", il présentera le résultat de ses recherches devant l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.


Sept années plus tard, en 1829, alors qu'il est dans la Vallée des Rois, avec l'Expédition Franco-toscane, il peut enfin pénétrer dans la tombe... "Dans la syringe de Séthy Ier, J.-Fr. Champollion et I. Rosellini ne peuvent résister, devant la beauté mais aussi le risque de les voir amputés ou détruits, à faire détacher des embrasures d’une porte de corridor, deux bas-reliefs peints que se partageront, à leur retour, les musées du Louvre (B7/N124) et de Florence (inv. n° 2468). Ces panneaux, d’une extraordinaire finesse, représentent le roi debout en compagnie de la déesse Hathor" précise Christian Leblanc dans ses "Regards croisés sur la civilisation égyptienne". Dans son "Champollion", Karine Madrigal rappelle que : "Pour justifier cet acte, Champollion explique à son ami Dubois qu'il a 'osé, dans l'intérêt de l'art, porter une scie profane dans le plus frais de tous les tombeaux royaux de Thèbes'"…

Jean-François Champollion "Le Jeune", déchiffreur des hiéroglyphes, fondateur de l'égyptologie
 (Figeac, 23 décembre 1790 - Paris, 4 mars 1832)
Portrait le représentant en habit égyptien, réalisé par Salvatore Cherubini à Medinet Habou, en juillet 1829
acquis par le Musée Champollion de Vif en juin 2022 

C'est ainsi que ce bas-relief prendra le "chemin" de la France. Jean-François Champollion veillera lui-même à son transport et à son chargement à Alexandrie. "Le 8 novembre, on mit en lieu sûr dans les cales de l'Astrolabe, la vingtaine de caisses d'antiquités et le sarcophage destinés au Musée Charles X" (Alain Faure, "Le savant déchiffré"). Sous le commandement de Verninac de Saint Maur, la corvette quitte le port le 6 décembre 1829 pour faire voile vers les côtes françaises où elle accostera à Toulon le 23 décembre. Puis elle transportera les objets précieux vers le Havre où un chaland leur permettra, enfin, de rejoindre par la Seine le grand musée parisien...


marie grillot

 

sources :

Relief de Séthi I et Hathor

https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010009693

Jean-François Champollion, Monuments de l'Égypte et de la Nubie : planches / d'après les dessins exécutés sur les lieux, sous la direction de Champollion le Jeune, et les descriptions autographes qu'il en a rédigées, publ. sous les auspices de M. Guizot et de M. Thiers, Ministres de l'Instruction Publique et de l'Intérieur, par une commission spéciale composée de MM. Silvestre de Sacy, Letronne, Biot, Champollion-Figeac, Paris, Didot, 1845, planche 251

Champollion le jeune, Lettres écrites d'Égypte et de Nubie en 1828 et 1829, Éditeur Didier, Paris, 1868

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k103771z/f345.item.r=septembre%201829.texteImage

Jacques Vandier, Guide sommaire du Musée du Louvre, Le département des Antiquités égyptiennes, Éditions des Musées Nationaux, Paris, 1961, p. 20

Bertha Porter, Rosalind L.B Moss, Topographical Bibliography of Ancient Egyptian Hieroglyphic Texts, Reliefs, and Paintings, 1.2, The Theban Necropolis. Royal Tombs and Smaller Cemeteries, Oxford, At the Clarendon Press, 1964, p. 539

http://www.griffith.ox.ac.uk/topbib/pdf/pm1-2.pdf

Giovanni Battista Belzoni, Voyage en Égypte et en Nubie, Pygmalion, 1979

Jean Lacouture, Champollion, une vie de lumières, Grasset, 1988

Jean-Jacques Fiechter, La moisson des Dieux, Julliard, 1994

Guillemette Andreu, Marie-Hélène Rutschowscaya, Christiane Ziegler, L'Égypte ancienne au Louvre, Musée du Louvre, Hachette, Paris, 1997, p. 137-140 

Guillemette Andreu, Patricia Rigault, Claude Traunecker, L'ABCdaire de l'Égypte ancienne, Paris, Flammarion, 1999, p. 51

Christiane Ziegler, Sophie Labbé-Toutée, Pharaon, Catalogue de l'exposition Paris, Institut du monde arabe, 15-10-2004 - 10-4-2005, Paris, Flammarion, 2004, p. 261

Alain Faure, Champollion, le savant déchiffré, Fayard, 2004

Christiane Ziegler, Jean-Luc Bovot, Petits manuels de l'École du Louvre, Art et archéologie, L'Égypte ancienne, École du Louvre, Réunion des Musées Nationaux - Grand Palais, 2011, p. 227

Sylvie Guichard, Jean-François Champollion, Notice descriptive des monuments égyptiens du Musée Charles X, Paris, Louvre éditions - éditions Khéops, Paris, 2013, p. 51

Christian Leblanc, Regards croisés sur la civilisation égyptienne, Pages choisies d’archéologie et d’histoire, L'Harmattan, Paris, 2024 

https://www.editions-harmattan.fr/catalogue/livre/regards-croises-sur-la-civilisation-egyptienne/76432

Karine Madrigal, Champollion, ellipses, 2024

Theban Mapping Project - KV 17 - Sety I

https://thebanmappingproject.com/tombs/kv-17-sety-i

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