jeudi 5 décembre 2024

Un oushebti de Sennedjem, serviteur de la "Place de Vérité"

Oushebti de Sennedjem - calcaire peint - Nouvel Empire - XIXe dynastie - règne de Ramsès II (vers 1279-1280 av. J.-C. - 1279-1213 av. J.-C.)
provenant de sa tombe (TT 1) à Deir el-Medineh - découverte par Salam-Abou-Douy de Gournah et par le Service des antiquités en janvier-février 1886
Metropolitan Museum of Art de New York - 86.1.22 (par acquisition auprès du Service des Antiquités d'Egypte en 1886) - photo du musée


Sennedjem fut, sous les règnes de Séthy I et de Ramsès II (XIXe dynastie), l'un des "serviteurs" de la "Place de Vérité" - "Set Maât her imenty Ouaset". Fondée au début de la XVIIIᵉ dynastie sous le règne de Thoutmosis Iᵉʳ, cette institution royale était dédiée aux artisans chargés du creusement et de la décoration des demeures d'éternité de la Vallée des Rois, de la Vallée des Reines, et même de nécropoles plus lointaines. Cette "corporation" vivait au sein d'un village "fortifié", composé de maisons de pierre au toit de feuilles de palmier, de lieux de culte et d'une nécropole à flanc de colline.


Ebéniste ou plus probablement maçon, Sennedjem y vécut, avec sa famille, puis y fut enterré au tout début du règne de Ramsès II. Sa tombe, précédée d'une cour et surmontée d'une petite pyramide, servit également, jusqu'à la fin de l'époque ramesside, de lieu de sépulture aux membres de sa famille …

Cercueil de Sennedjem - bois stuqué vernis et peint - Nouvel Empire - XIXe dynastie - règne de Ramsès II (vers 1279-1280 av. J.-C. 1279-1213 av. J.-C.)
provenant de sa tombe (TT 1) à Deir el-Medineh - découverte par Salam-Abou-Douy de Gournah et par le Service des antiquités en janvier-février 1886
Journal des Entrées du Musée du Caire JE 27308 - exposé depuis avril 2021 au Nmec (National Museum of Egyptian Civilization) à Fustat

Après un long silence, un long oubli, elle a été découverte, à la fin de XIXe siècle, par des gournawis qui avaient obtenu une concession de fouille à Deir el-Medineh (nom "moderne" du "village des artisans"). 

Dans son ouvrage "La tombe N°1 de SEN-NEDJEM", Bernard Bruyère, reprenant les rapports de Gaston Maspero (Directeur du Service des Antiquités) et d'Eduardo Toda, rappelle la "genèse" de cette découverte. "Le 31 janvier 1886, le Cheikh Omar de Gournah, chargé par le Service des Antiquités de la surveillance de la nécropole thébaine et de l’exécution des recherches, vint à Louqsor prévenir Maspero que Salam-abou-Douy, de Gournah, et trois de ses amis avaient découvert à Deir el Medineh, après sept jours de prospection, sous les décombres de tombes voisines, le puits funéraire, supposé inviolé, d’un nouveau tombeau. Le 1er février, accompagné de Bouriant et de Toda, Maspero se rend sur le terrain..." Mais les gournawis, trop pressés de savoir ce que révélerait cet hypogée, ne l'avaient pas attendu… Déblayant le puits, ils avaient poursuivi leur prospection sans, - malheureusement - , faire ni relevé ni compte rendu précis …

Plan de la tombe de Sennedjem publié par Bernard Bruyère dans "La tombe N°1 de SEN-NEDJEM", MIFAO 88, IFAO, le Caire, 1959
(tombe découverte par Salam-Abou-Douy de Gournah et par le Service des antiquités en janvier-février 1886)

La correspondance de Gaston Maspero à son épouse Louise ("Gaston Maspero - Lettres d'Egypte") nous permet de revivre l'extraordinaire aventure … Ainsi écrit-il le 2 février 1886 : "On vient me chercher pour aller à la montagne : une tombe à laquelle nous travaillions depuis huit jours a été enfin ouverte. Elle est vierge ! C'est une tombe de la XXe dynastie : la porte en bois est encore en place, et on a compté déjà onze momies. C'est une grosse trouvaille…". Il poursuit son récit le 3 février : "Le caveau a environ 5 m de long sur 3 de large. Il est voûté, avec une voûte très surbaissée et peint des plus vives couleurs ; malheureusement, les peintures et les textes ne sont que des extraits du livre des morts. Il était rempli jusqu'au haut de cercueils et d'objets"… Parmi ces derniers, il évoque notamment : "huit grandes boîtes à canopes, une quarantaine de petites boîtes à statuettes funéraires, une centaine de figurines charmantes en calcaire, une vingtaine de vases en terre peinte, un nouveau lit différent pour la forme des deux premiers,…" ainsi que "un beau fauteuil avec fond en toile imitant la tapisserie ; deux tabourets avec fond en toile imitant le cuir rouge, un pliant, des bouquets de fleurs, une coudée, un ostracon renfermant un roman historique très curieux, bien que très court…".

Quelques artefacts provenant de la tombe de Sennedjem - TT 1 - à Deir el-Medineh
Nouvel Empire - XIXe dynastie - règne de Ramsès II (vers 1279-1280 av. J.-C. 1279-1213 av. J.-C.)
découverte par Salam-Abou-Douy de Gournah et par le Service des antiquités en janvier-février 1886
exposés depuis avril 2021 au Nmec (National Museum of Egyptian Civilization) à Fustat

Cette tombe "familiale" s'avérera contenir vingt défunts qu'un riche et conséquent mobilier funéraire accompagnait pour leur éternité. Gaston Maspero, conscient que cette découverte - que Georges Daressy interpréta comme "l’un des événements les plus intéressants dans l’histoire des fouilles en Égypte" - était due au flair des gournawis, les dédommagea : "Il va de soi que nous avons acheté aux fellahs la moitié qui leur revenait : elle nous a coûté 46 guinées. Une fois que nous aurons choisi tout ce qui est bon pour le musée, la vente des momies et des objets superflus nous rapportera au moins 60 guinées, peut-être quatre-vingts qui passeront aux fouilles de Louxor et du Sphinx. Ç'aura donc été une bonne affaire de toutes les manières, bonne au point de vue scientifique, puisqu'elle nous a donné des monuments dont nous n'avions aucun spécimen, bonne au point de vue financier, puisque non seulement les objets finiront par ne rien nous coûter, mais, que nous aurons gagné assez d'argent pour pratiquer des fouilles nouvelles".

Cercueil externe de Sennedjem - bois stuqué peint - Nouvel Empire - XIXe dynastie - règne de Ramsès II (vers 1279-1280 av. J.-C. 1279-1213 av. J.-C.)
provenant de sa tombe - TT 1 - à Deir el-Medineh - 
découverte par Salam-Abou-Douy de Gournah et par le Service des antiquités en janvier-février 1886
enregistré au Journal des Entrées du Musée Égyptien du Caire - JE 27303 - photo © Sandro Vannini/ Laboratoriorosso

Lors de la vente des artefacts qui se trouvaient faire "doublon", Gaston Maspero privilégiait le plus souvent les musées aux collections privées. Dans sa thèse "Le Tombeau de Sennedjem, à Deir-El-Medina TT.1", soutenue en 2006 à Barcelone qui fait référence, Marta Saura i Sanjaume a référencé l'ensemble des objets que contenait la tombe… Par un travail long et fastidieux, elle en a établi une précieuse "traçabilité". Ainsi nous pouvons notamment savoir que, sur les seize oushebtis au nom de Sennedjem, neuf sont restés au Caire (SR4142 / JE 27251 / C. 47740 - SR4154 - SR4159 - SR4171 - CG 47744 /JE 27221 - SR4146 / JE 27219 / CG 48412 - CG 48411 - JE 27218) alors que les sept autres ont été vendus en Europe et aux USA. Ainsi, un est au Musée Pushkin de Moscou (I.i.a 1662), un à l'Äegyptisches Museum de Berlín (10194), un au Kunsthistorisches Museum de Vienne (ÄOS 6614), un au Fitzwilliam Museum de Cambridge (E.9.1887), un au National Archaelogical Museum d'Athènes (45), un au Musée du Louvre (E27147) et enfin, celui-ci qui se trouve au Metropolitan Museum of Art de New York (86.1.22).

Haut de 27 cm, momiforme avec les bras en relief croisés sur la poitrine, il est joliment réalisé en calcaire. Le visage, peint en ocre-rouge, affiche des traits détaillés et de grands yeux noirs bien dessinés. Il est encadré d'une ravissante perruque tripartite bleue aux extrémités blanches finement striées de rouge. Son cou est orné d'un lumineux collier large, de type ousekh, dans les couleurs de bleu et de vert. Ses mains, de couleur ocre-rouge, tiennent chacune une houe du même ton. Le corps est peint en blanc et, au niveau de la taille jusqu'aux "chevilles", sont incisées huit lignes de hiéroglyphes noirs séparées par des traits rouges. Deux sacs pour les graines sont peints dans le dos.

Le musée new-yorkais précise : "Cet oushebti est inscrit pour le 'Serviteur de la place de vérité' Sennedjem. Les oushebtis étaient destinés à remplacer le propriétaire décédé s'il était sollicité pour effectuer un travail manuel dans l'au-delà. À cette fin, ces petites figurines funéraires saisissent souvent une houe et une pioche et ont un ou deux paniers suspendus sur leurs épaules dans le dos. Elles sont également généralement inscrites avec une version du chapitre 6 du Livre des Morts. Ce sort exhorte l'oushebti à travailler à la place du défunt"…


marie grillot


Sennedjem et son épouse Iyneferti représentés sur les murs de leur tombe - TT 1 - à Deir el-Medineh
découverte par Salam-Abou-Douy de Gournah et par le Service des antiquités en janvier-février 1886



sources :

Shabti of Sennedjem

New Kingdom, Ramesside

https://www.metmuseum.org/art/collection/search/544700

Bernard Bruyère, La tombe N°1 de SEN-NEDJEM, MIFAO 88, IFAO, le Caire, 1959

https://archive.org/details/MIFAO88

Bertha Porter, Rosalind L. B. Moss, Topographical Bibliography of Ancient Egyptian Hieroglyphic Texts, Reliefs, And Paintings - I. The Theban Necropolis Part 1. Private Tombs, Second edition revised and augmented - Griffith Institute Ashmolean Museum Oxford, 1960

http://www.griffith.ox.ac.uk/topbib/pdf/pm1-1.pdf

Christiane Desroches Noblecourt et alii, Ramsès le Grand, Galeries Nationales du Grand Palais, 1976

Josep Padro, "Bulletin de la Société Française d'Égyptologie", 1988, n°113, pp. 32-45

Nicholas Reeves, les grandes découvertes de l'Egypte ancienne, Editions du Rocher, 2001

Les artistes de pharaon, Deir el Medineh et la Vallée des Rois, Louvre, 2002

Elisabeth David, Gaston Maspero, Lettres d'Égypte, Correspondance avec Louise Maspero, Seuil, 2003

Zahi Hawass, Trésors cachés de l'Egypte, National Geographic, 2004

Kent Weeks, Guide illustré de Louxor, tombes, temples et musées, White Star Publishers, 2005

Martha Sara Saujaume, La Tomba de Sennedjem a Deir-El-Medina TT.1, Tesis Doctoral Universitat de Barcelona, Departament de Prehistòria, Història Antiga i Arqueologia, 2006 

https://www.tdx.cat/handle/10803/2595#page=1

https://dialnet.unirioja.es/servlet/dctes?codigo=3810

https://www.tdx.cat/bitstream/handle/10803/2595/08.MSS_CAP_8.pdf?sequence=9&isAllowed=y

Hanane Gaber, Laure Bazin Rizzo, Frédéric Servajean, A l'oeuvre on connaît l'artisan... de Pharaon ! - Un siècle de recherches françaises à Deir el-Medina (1917-2017), SilvanaEditoriale, 2018

Guillemette Andreu, Dominique Valbelle, Guide de Deir el-Médina. Un village d'artistes, Le Caire, Institut français d'archéologie orientale (IFAO), 2022


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