vendredi 15 novembre 2024

Une princesse amarnienne sur un flacon à parfum en forme de vase hes

Flacon à parfum en forme de vase hes avec la représentation d'une princesse
travertin (albâtre égyptien), cornaline, obsidienne, or, incrustations de verre coloré
Nouvel Empire - XVIIIe dynastie - règne d'Akhenaton (1353 - 1336 av. J.-C.)
Metropolitan Museum of Art de New York - n° d'entrée 40.2.4. (par acquisition à la succession Carter à Londres en 1940) - photo du musée

Ce ravissant flacon à parfum, qui se présente sous la forme d'un vase "hes", est haut de 10,8 cm, large de 3 cm et a un diamètre de 1,9 cm. Il est réalisé en calcite (albâtre égyptien, ou en travertin, pour certaines sources), avec un décor fait de cornaline, obsidienne, or et verre coloré. Dans "Scepter of Egypt II", William C. Hayes, détaille ainsi sa technique de fabrication : "Le bouchon conique a ici été taillé d'une seule pièce avec le pot lui-même. Comme son minuscule goulot aurait été trop petit pour permettre l'insertion d'un outil de forage, le flacon a été fabriqué en deux moitiés verticales, évidées et soigneusement jointées avec une colle résineuse de couleur orange". 

Flacon à parfum en forme de vase hes avec la représentation d'une princesse
travertin (albâtre égyptien), cornaline, obsidienne, or, incrustations de verre coloré
Nouvel Empire - XVIIIe dynastie - règne d'Akhenaton (1353 - 1336 av. J.-C.)
Metropolitan Museum of Art de New York - n° d'entrée 40.2.4. (par acquisition à la succession Carter à Londres en 1940) - photo du musée


Son aspect charmant est sublimé par la présence, sur une face, de la représentation, en incrustations, d'une princesse. Vue de profil, elle révèle un corps nu, mince et juvénile. Son crâne, partiellement rasé, affiche d'un côté la "tresse de l'enfance" ; épaisse et noire, elle est rejetée vers l'arrière. Une jambe avancée, elle est dans la position apparente de la marche. Un bras est pendant le long du corps, alors que l'autre affiche un coude replié et une main tendue, paume ouverte. "Le geste élégant de la princesse semble signifier un signe de salutation : debout sur une fleur de lotus selon le symbolisme traditionnel, elle incarne la renaissance et le rajeunissement" analyse Dorothea Arnold dans "The Royal Women of Amarna". Le lotus était en effet considéré par les anciens Égyptiens comme "la fleur initiale", "le symbole de la naissance de l’astre divin".

Pour l'égyptologue Valérie Angenot : "Le geste de la petite princesse, la main tendue en coupe, est stéréotypique de la gestuelle des princesses depuis l’époque d’Hatchepsout. Il dénote l’attitude d’une enfant qui veut attirer l’attention de quelqu’un et s’adresser à lui en tirant doucement son menton vers elle. À Tell el-Amarna, le geste est attesté une petite quinzaine de fois sur les parois des tombes des particuliers, des monuments administratifs tels que la salle d’audience du roi, des stèles, peut-être des empreintes de sceaux, ainsi que sur ce vase. Il met exclusivement en scène les princesses, la plupart du temps pour montrer qu’elles interagissent ou bavardent entre elles lors des longues cérémonies officielles, que l’on imagine fastidieuses pour de jeunes enfants. Mais on peut aussi les voir effectuer ce geste dans leur interaction avec leurs parents, voire avec l’uraeus qui pend à leur front. À Deir el-Bahari, Hatchepsout s’adresse ainsi au dieu Amon, son père, sur les genoux duquel elle se tient, enfant. Il faut donc imaginer pour ce vase un interlocuteur elliptique. Différents reliefs montrent Akhenaton et Nefertiti en train d’effectuer une libation à Aton avec des vases semblables (mais souvent parés d’un bec verseur, 𝘯𝘦𝘮𝘴𝘦𝘵). La 'personne' à qui s’adresse donc cette petite princesse émergeant d’un lotus solaire, ne serait autre que le dieu Aton, en l’honneur duquel on simulerait le rituel à l’aide de ce vase factice. Il est remarquable que l’on retrouve encore la même gestuelle stéréotypique de la main en coupe esquissée par un des deux 'rois' amarniens, sur la fameuse stèle berlinoise du capitaine Pasi (ÄM 17813)."

Flacon à parfum en forme de vase hes avec la représentation d'une princesse
travertin (albâtre égyptien), cornaline, obsidienne, or, incrustations de verre coloré
Nouvel Empire - XVIIIe dynastie - règne d'Akhenaton (1353 - 1336 av. J.-C.)
Metropolitan Museum of Art de New York - n° d'entrée 40.2.4. (par acquisition à la succession Carter à Londres en 1940) - photo du musée

Les détails de sa morphologie, comme l'allongement du crâne, la forme du visage, le ventre marqué, l'attribuent à l'époque amarnienne… William C. Hayes en fait cette sensible description : "La figure nue de la jeune fille - qui semble sortir tout droit d'une des scènes conservées en relief à Tell el-Amarna - est délicatement sculptée dans un mince éclat de cornaline dont le dos a été creusé pour s'adapter exactement à la surface incurvée du vase. La chevelure du personnage, coiffée de la mèche latérale lourde caractéristique, est une pièce d'obsidienne polie ou de verre noir joliment travaillée et habilement ajustée. Des lances et des triangles de verre violet (imitation lapis-lazuli) et de cornaline polie ont été joints ensemble pour former la fleur de lotus sur laquelle se tient la figure, et à la base de la fleur, une tache de jaune scintillant a été fournie par un morceau de fine plaque d'or".


Ce précieux artefact est daté du Nouvel Empire, de la XVIIIe dynastie, du règne d'Akhenaton (1353 - 1336 av. J.-C.). Il se trouve au Metropolitan Museum of Art de New York, où il a été enregistré, sous le numéro d'entrée 40.2.4, avec comme "provenance ancienne" : "possibly Thèbes"… Quant à sa "provenance récente", elle est "parlante" : "Collection Howard Carter, acquise à la succession Carter à Londres en 1940". 

Portrait d'Howard Carter, auteur et date inconnus
(Londres 9-5-1874 - 2-3-1939)
Dessinateur et égyptologue, découvreur, en novembre 1922 avec Lord Carnarvon, de la tombe de Toutankhamon 


Howard Carter, peintre et dessinateur, égyptologue, collectionneur, découvreur avec Lord Carnarvon de la tombe de Toutankhamon en 1922, s'est éteint à Londres, le 2 mars 1939. Par son testament (rédigé le 14 juillet 1931), il avait désigné sa nièce Phyllis Walker héritière de la majeure partie de ses biens, stipulant que, pour tout ce qui concernait la vente des antiquités égyptiennes, elle devait se référer aux exécuteurs testamentaires qu'il avait nommés : Harry Burton et Bruce Ingram. Ces derniers, constatant dans son appartement la présence d'artefacts provenant de la tombe de Toutankhamon, opteront pour une restitution à l'Egypte. Le 22 mars 1940, Phyllis Walker écrira à Etienne Drioton, directeur des antiquités égyptiennes afin d'organiser, ce "retour". C'est ainsi qu'une vingtaine d'artefacts seront rendus, via la valise diplomatique, au roi Farouk … avant de rejoindre le Musée de Tahrir…

Howard Carter 

Dessinateur et égyptologue, découvreur, en novembre 1922 avec Lord Carnarvon, de la tombe de Toutankhamon 

avec sa nièce Phyllis Walker qui sera sa principale héritière


Revenant sur ce point dans "Howard Carter, The path to Tutankhamun", Thomas Garnet Henry James confie : "Un autre commentaire sur ce sujet sensible est que les antiquités en sa possession à sa mort, après l’extraction des objets de Toutankhamon, ont été évaluées par MM. Spink à 1093 £. Il s’agissait certainement d’une estimation basse, comme c’était souvent le cas pour les questions successorales, mais elle donne une certaine indication de la nature relativement modeste de sa collection privée…"


Ainsi, dans cet inventaire effectué le 1er juin, soit trois mois après le décès du découvreur par les marchands d'art londoniens, Spink & Son de St Jame's Street ("Spink list"), ce flacon porte le n° 55.


La question se pose, évidemment, de savoir s'il est en lien avec le trésor funéraire du jeune pharaon… 


L'avis de Thomas Garnet Henry James est le suivant : "On peut dire que tout bel objet de petite taille datant de la XVIIIe dynastie qui apparaissait dans une collection privée ou sur le marché dans les années 1920 et 1930 était presque systématiquement attribué à la tombe de Toutankhamon"…

Lord Carnarvon et Howard Carter découvreurs, en 1922, de la tombe de Toutankhamon (KV 62)


Quant à Marc Gabolde, il dresse, dans son excellent "Toutankhamon" paru chez Pygmalion en 2015, une liste des "Objets provenant peut-être de la tombe de Toutankhamon et ne se trouvant pas en Égypte". Ce flacon de calcite en forme de vase à libation (hs) y figure avec les indications suivantes : "La qualité du travail et des matériaux comme la date que l'on peut assigner à l'objet grâce à l'iconographie de la figure incrustée ne font guère douter qu'il puisse provenir de la tombe de Toutankhamon. La figure de princesse est incompatible avec l'époque d'Amenhotep III et la tombe royale d'Amarna n'a pas fourni d'objets similaires, surtout dans un tel état de conservation"…


marie grillot

 

sources : 

Perfume bottle in the shape of a hes-vase inlaid with the figure of a princess

https://www.metmuseum.org/art/collection/search/543992

William C. Hayes, Scepter of Egypt II : A Background for the Study of the Egyptian Antiquities in the Metropolitan Museum of Art : The Hyksos Period and the New Kingdom (1675-1080 B.C.), Cambridge, Mass. : The Metropolitan Museum of Art, 1959. p. 314; p. 317, fig. 199

https://archive.org/details/in.gov.ignca.28841

https://www.metmuseum.org/fr/met-publications/the-scepter-of-egypt-vol-2-the-hyksos-period-and-the-new-kingdom-1675-1080-bc

n°115

Thomas Garnet Henry James, Howard Carter, The path to Tutankhamun, TPP, 1992

https://archive.org/stream/HowardCarterThePathToTutankhamunBySam/Howard+Carter+The+Path+to+Tutankhamun+By+Sam_djvu.txt

Dorothea Arnold, The Royal Women of Amarna: Images of Beauty from Ancient Egypt, Metropolitan Museum of Art New York, 1996, fig. 115, p. 116.

https://books.google.fr/books?id=sGLFwVkljQMC&pg=PR12&lpg=PR12&dq=Harkness+edward+queen+Tiye&source=bl&ots=MulVu6vNWS&sig=zL2tg-zHcQ2Ia-ra5NSPtbXaYtE&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjl5ua_oY7KAhWCQxoKHX_qBXYQ6AEIMjAC#v=onepage&q=yellow&f=false

Nicholas Reeves, Howard Carter'Collection of Egyptian and Classical  antiquities, The Spink List, (Chief Of Seers : Egyptian Studies in Memory of Cyril Aldred), Editeur : Kegan Paul, 1997

https://books.google.fr/books?id=K_Ill17K2wsC&pg=PA243&lpg=PA243&dq=ivory+figure+of+a+dog+(ear+chipped)&source=bl&ots=dsAnFliI3O&sig=PWT4Cg8cicNIiajywtVJsYZQkX0&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwiIgPiwsYngAhUpzoUKHRJxDn0Q6AEwB3oECAcQAQ#v=onepage&q=ivory%20figure%20of%20a%20dog%20(ear%20chipped)&f=false

Isabelle Franco, Dictionnaire de mythologie égyptienne, Pygmalion, 1999

Nicholas Reeves, Toutankhamon, vie, mort et découverte d'un pharaon, Editions Errance, 2003

Marc Gabolde, Toutankhamon, Pygmalion, 2015



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