Bien que le GEM (Grand Egyptian Museum) à Gizeh soit généralement "associé" au trésor du jeune roi Toutankhamon, c'est une statue colossale du pharaon qui régna sur les Deux-Terres, pendant plus de 66 ans, qui accueille les visiteurs. Dans ce hall aux volumes impressionnants, elle s'élève magistralement sur un socle carré posé dans un bassin, semblant ainsi sortir de l'onde … Du sol au plafond, les tons des matériaux et structures se conjuguent en un camaïeu de beige et de gris créant autour d'elle un environnement des plus subtils ….
Sculptée dans du granite, elle est haute de 13 m et pèse plus de 80 tonnes ! Ramsès II est représenté debout, dans l'attitude conventionnelle de la marche, jambe gauche avancée. Paré de tous les emblèmes de la royauté, il dégage une puissance et une force que les millénaires n'ont en rien altérées.
Il est coiffé d'un némès à rayures horizontales sur lequel repose la double couronne. Elle devait intégrer, sur le devant, une représentation des déesses tutélaires dont il ne subsiste que la base, et elle est flanquée de deux plumes d'autruche incomplètes.
Son large visage est orné de la barbe postiche striée. Ses yeux sont étirés ; son nez a souffert, mais cette mutilation n'impacte pas sa beauté. Ses oreilles sont percées ; sa bouche aux lèvres ourlées bien dessinées affiche un sourire à la sérénité immuable.
A son cou sont accrochés un collier large de type ousekh ainsi qu'un pectoral rectangulaire.
Son corps est musclé, sa poitrine et son nombril sont marqués et ses épaules carrées portent ses cartouches. Ses poignets, puissants, sont également ornés de ses cartouches, surmontés du disque solaire et entourés d'uraei disqués.
Dans ses poings serrés, pouce pointé vers le bas, se trouve le mekes (rouleau de papyrus contenant le "testament des dieux" ou "testament de Geb", texte confiant l'Égypte au roi) estampillé de son cartouche.
Ses jambes sont épaisses et les pieds, lacunaires, ont été reconstitués.
Son pagne shendit plissé masquant partiellement un pan vertical plus long, est maintenu par une ceinture à boucle en forme de cartouche horizontal finement travaillée, et dans laquelle un poignard à tête de faucon est glissé.
Sur toute la hauteur du pilier dorsal, le protocole royal est décliné en hiéroglyphes très fins. A l'arrière de l'appui de la jambe gauche, figure la délicate représentation en pied de sa fille aînée et grande épouse royale Bentanat. Dans "Nefertari, 'l'aimée-de-Mout'", Christian Leblanc précise : "La reine y est représentée 'en relief dans le creux' sur le pilier dorsal, juste derrière la jambe gauche de Ramsès, levant une main en signe de protection et coiffée de deux hautes plumes et des cornes lyriformes… De l'autre côté est représenté le prince Khaemouaset". Et ajoute-t-il : "C'est vers l'an 26 du règne que Bentanat va accéder à la qualité de grande épouse royale". Il est à noter que dans "Quatre enquêtes ramessides", Louis. A. Christophe date la statue "vraisemblablement de l'an 44 du règne de Ramsès II" en raison de la présence de cette "jeune et belle reine" qui, à cette époque, était encore vivante d'après Christian Leblanc.
Cette statue, ultérieurement "actualisée par Ramsès IV", provient de Memphis, ancienne capitale du pays. Dans "L'Egypte restituée", Sydney Aufrère et Jean-Claude Goyon indiquent qu'elle se trouvait à l'entrée du temple de Ptah : "Dans l'axe de la ville, approximativement là où devait se trouver l'entrée, s'élevaient deux colosses de Ramsès II". D'autres sources annoncent même le chiffre de quatre… Le premier colosse, sculpté dans du calcaire, a été découvert en 1820 par Giovanni Battista Caviglia et Charles Sloane, couché face contre terre. Le bas des jambes brisé, il n'a jamais été relevé, mais a été déplacé afin d'être exposé dans un bâtiment construit sur le site, en 1958.
Le "second" colosse, celui-ci, fut découvert au cours de l'hiver 1853-1854, par Leonard Horner, un géologue britannique "venu afin d'analyser la profondeur et l'accroissement des alluvions du Nil". Il mit à profit cette mission pour entreprendre l'étude archéologique du site ; ses fouilles furent supervisées par Joseph Hekekyan, un ingénieur arménien de Constantinople, qui fut élevé au titre de bey.
Dans l'ouvrage cité précédemment, Louis A. Christophe rappelle que : "Jusqu’en 1887 le colosse demeura à moitié enfoui ; mais cette année-là le major Arthur Bagnold s’avisa de le soustraire à l’action des eaux du Nil qui le recouvraient pendant une assez longue période de l’année". Afin de le protéger, il "demanda l’aide de la Direction du Service des Antiquités à Boulaq. Grébaut, qui était alors directeur, put, sur son maigre budget, lui allouer la somme de L. E. 20. Le major se mit aussitôt à l’œuvre … Il s’agissait de dégager entièrement le colosse, de le traîner sur une butte voisine et de l’élever au-dessus du sol pour que toute sa surface fût visible". Il y resta jusqu'en février 1955, date à laquelle débuta une autre page de sa longue histoire…
Elle y restera jusqu'à l'été 2006, date à laquelle, afin de la sauver de la pollution, il est décidé de la déplacer vers le plateau de Guizeh, plus précisément à proximité du futur Grand Egyptian Museum (GEM). Le transport de la royale statue, "ultra sécurisé", se déroule les 24 et 25 août 2006. "Ce déplacement qui aurait, selon certaines sources coûté 6 millions de livres, est retransmis en direct à la télé égyptienne…"
Restaurée, la statue est de nouveau déplacée le 25 janvier 2018 pour être installée dans le grand hall du GEM. Pour ce dernier et triomphal voyage, le même procédé technique qu'en 2006 est adopté : la statue est enchâssée dans une cage métallique suspendue comme un pendule aux deux éléments du véhicule transporteur sur roues, pour amortir les éventuelles secousses. Une voie longue de 400 m est construite avec des matériaux suffisamment résistants pour supporter le poids du colosse…
Celui qui fut tout à la fois maître en matière militaire, homme de paix, et grand bâtisseur, de la Nubie au Delta, débute alors un nouveau règne : celui qu'il exerce sur le plus grand musée au monde consacré aux antiquités égyptiennes !
marie grillot
sources :
Major Arthur H. Bagnold, Account of the manner in which two colossal statues of Rameses II at Memphis were raised, Proceedings, Society of Biblical Archæology, London, England, 1878, pp. 452-463
https://archive.org/details/proceedings10soci
Louis A. Christophe, Quatre enquêtes ramessides, Bulletin de l'Institut d'Egypte (BIE), Vol 37 Fasc. 1: 37/1, IFAO, 1956, pp. 5-19
https://archive.org/stream/BIE37-1/BIE%2037%2C1%20%281956%29%20LR_djvu.txt
Martin Isler, Sticks, Stones, and Shadows: Building the Egyptian Pyramids, University of Oklahoma, 2001, p. 241
https://books.google.fr/books?id=Ip-tqz1xGkoC&pg=PA241&lpg=PA241&dq=major%20Arthur%20H%20Bagnold&source=bl&ots=ME1-lzg1U1&sig=ql8HUARZewYAI0ZI5TGOP7DfyxA&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwi42oTC6OjYAhVEthQKHdKACmwQ6AEIKjAA#v=onepage&q=major%20Arthur%20H%20Bagnold&f=false
Christian Leblanc, Nefertari, 'l'aimée-de-Mout', Editions du Rocher 1999
E. Adly, Nicolas Grimal, Bulletin d'Information Archeologie, BIA, volume XXX, juillet décembre 2004, p. 61
https://www.academia.edu/4214681/ADLY_E._GRIMAL_N._BIA._2005._Vol._30
Alexandre Buccianti, Transport pharaonique, RFI, 25-08-2006
http://www1.rfi.fr/actufr/articles/080/article_45769.asp
Claude Obsomer, Ramsès II, Pygmalion, 2012
Christian Leblanc, La mémoire de Thèbes, L'Harmattan, 2015
Peter Lacovara, The World of Ancient Egypt : A Daily Life Encyclopedia, ABC-CLIO, 2016
https://books.google.fr/books?id=G7VQDQAAQBAJ&pg=PA262&dq=ramses%20II%20mit%20rahina&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjI_OXNtefYAhUJ6RQKHfu0CXs4FBDoAQhLMAU#v=onepage&q=ramses%20II%20mit%20rahina&f=false
Memphis Site and Community Development (MSCD) Project Information Packet : Memphis (South), Historic Environment Record (HER), AERA Researcher, 11 July 2016
https://pdf.usaid.gov/pdf_docs/PA00T8X3.pdf
Ramses II colossus to be erected at Grand Egyptian Museum display spot, Daily News Egypt, December 25, 2017
https://dailynewsegypt.com/2017/12/26/ramses-ii-colossus-erected-grand-egyptian-museum-display-spot/
New move for Ramses II, Nevine El-Aref, Ahramonline, Thursday 18 Jan 2018
http://english.ahram.org.eg/NewsContent/9/40/288334/Heritage/Ancient-Egypt/New-move-for-Ramses-.aspx
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