Ce tube à kohol en faïence égyptienne, fin et élégant, est haut de 14,4 cm et d'un diamètre de 1,8 cm. Pour Jeanne Vandier d'Abbadie ("Les objets de toilettes égyptiens au Musée du Louvre"), c'est au Nouvel Empire que les vases ou pots à kohol qui affichaient des formes variées "ont très souvent été remplacés par les tubes à kohol. Cette nouvelle forme aurait été introduite en Egypte, sous le règne de Thoutmosis III, par les Asiatiques. En effet, il arrive parfois, à partir de cette époque, que les servantes qui assistent la dame à sa toilette aient le type syrien... Ces jeunes étrangères tendent à leur maîtresse le tube à kohol dans lequel plonge le stylet…"
A l'origine, ce tube était un simple roseau du Nil - d'où parfois son nom de "flûte" -, dans le creux duquel était déposé le fard. Pour les classes plus aisées de la société, les artisans se sont inspirés de cet élément naturel et l'ont reproduit de façon plus "luxueuse", avec des matériaux plus précieux, l'ivoire par exemple, ou dans le cas présent, la faïence.
Dans l'antiquité, le kohol était le produit de maquillage par excellence ; il était indissociable, du concept de beauté qui est intimement lié à la mise en valeur du regard. Son utilisation a ainsi transcendé ces yeux étirés et cernés de noir qui, aujourd'hui encore, troublent et fascinent. Fait à partir de galène réduite en poudre, il ne faisait pas d'ailleurs que souligner l'intensité des regards "égyptiens", mais, il avait également, dans ce pays où la lumière est si vive, la réverbération si intense et le soleil si brûlant, une fonction protectrice de l'œil.
Il était appliqué au moyen d'un fin stylet - ou bâtonnet. Avec une tête arrondie et un bout épointé, il pouvait être en hématite, en bois (comme l'ébène), ou encore en ivoire, et parfois même en bronze ou en cuivre. Aucun stylet n'est présenté avec ce tube, et on peut imaginer qu'il a disparu. De même, rien n'indique la présence ou non d'un petit "logement" aménagé en son intérieur pour le ranger. L'obturation est également absente : dans les modèles plus "rustiques", elle se faisait par un bouchon d'étoffe ou de bois.
Dans "Aménophis III, le pharaon soleil", Arielle P. Kozloff nous fournit des informations techniques sur sa réalisation : "La couleur du tube est bleu moyen, ce qui suggère une base de cuivre cette couleur fut utilisée plus fréquemment vers la fin du règne d'Aménophis III et durant la période amarnienne, contrairement aux bleus à base de cobalt que le roi préférait. L'inscription de couleur foncée est sans doute à base de cobalt".
Si l'objet est de belle facture, l'inscription verticale qui est déclinée dans un rectangle délimité d'un trait noir en une colonne de fins hiéroglyphes est précieuse. Christiane Ziegler ("Reines d'Egypte") la traduit ainsi : "Le dieu bon Nebmaâtrê [Amenhotep III] ; la fille du roi, la Grande Epouse Royale Satamon, qu'elle vive". Et elle ajoute : "On a remarqué que le nom du roi accompagne toujours celui de la femme de sa famille mentionnée sur les tubes à kohol".
Lorsque que l'on évoque l'épouse d'Amenhotep III l'on pense immédiatement à la reine Tiyi… Satamon ("La Fille d'Amon"), était la fille aînée de Tiyi et d'Amenhotep III. Or, précise Christian Leblanc dans "Reines du Nil" : "Elle se distingua surtout vers la fin du règne d'Amenhotep III en devenant elle-même l'épouse de son propre père".
De par notre morale actuelle, notre conception contemporaine de la famille, il nous est souvent difficile de comprendre et d'admettre une telle union. Pourtant, bien attesté depuis au moins le Moyen Empire, cet inceste, pour des raisons à caractère éminemment sacré, ne pouvait exister que dans le monde royal et divin. Il n'était pas pratiqué par le commun des mortels.
"Le rôle des princesses était si important que deux d'entre elles, Satamon et Isis, devinrent 'Grandes Epouses royales' au cours de la dernière décennie du règne, ce qui ne diminue en rien le statut de la reine Tiya. En effet le modèle théologique des familles divines sur lequel se calquait celui de la famille du roi favorisait l'adoption de différentes générations de femmes. Hathor n'était-elle pas à la fois mère, épouse et fille du dieu Rê ?" (Arielle P. Kozloff). Ainsi, différents musées détiennent des tubes à kohol, identiques ou proches de celui de Satamon, avec les noms de Tiyi bien sûr, mais également d'Isis…
L'histoire actuelle de celui-ci le fait se retrouver, au XXe siècle, dans la collection du Révérend William MacGregor (1848-1937). Ce vicaire est un "membre éminent de l'Egypt Exploration Society ainsi que de l'Institut d'archéologie de l'Université de Liverpool. Il fut le mécène de nombreuses fouilles, notamment celles entreprises par Naville, Garstang et Petrie, auxquelles il participa fréquemment et activement sur le terrain. Sa remarquable collection d'antiquités est sans précédent par rapport à toute autre collection privée en Angleterre, en Europe ou en Amérique" était-il alors précisé en introduction du catalogue de vente lorsqu'il décida de s'en séparer. Ce sont ainsi 1800 objets qui seront proposés, aux enchères chez Sotheby's Londres, du 26 juin au 6 juillet 1922.
Présenté sous le lot 255, le tube à kohol de Satamon sera acquis par un autre grand collectionneur, Lord Carnarvon. La même année, il est au nombre des artefacts que prête l'aristocrate britannique pour l' "Exhibition of Ancient Egyptian Art" au Burlington Fine Arts Club de Londres. Percy Newberry, chargé de la rédaction du catalogue, le décrit ainsi sous le n° 17 : "Tube à kohol - faïence vernissée bleue- , à ligne verticale de hiéroglyphes en noir, donnant les noms d'Amenhotep III et de la grande épouse royale, Sat-amon'".
Lord Carnarvon décédera au Caire, le 5 avril 1923, soit peu de temps après la découverte de la tombe de Toutankhamon... Selon un codicille à son testament, destiné à son épouse Lady Almina, il avait exprimé ses suggestions sur le devenir de sa collection au cas où elle serait amenée à s'en séparer. Ce qu'elle fera, chargeant alors Howard Carter des négociations...
Grâce à la générosité d'Edward S. Harkness, le Metropolitan Museum of Art de New York s'en portera acquéreur, en 1926, pour la somme de $ 145.000 …
C'est ainsi que ce tube à kohol portant les noms d'Amenhotep III et de Satamon est arrivé dans les collections du grand musée new-yorkais : il a été enregistré sous le n° d'entrée 26.7.910.
marie grillot
sources :
Kohl Tube Inscribed for Amenhotep III and Princess Sitamun
https://www.metmuseum.org/art/collection/search/544512
Catalogue of the MacGregor collection of Egyptian antiquities, Sotheby, Wilkinson & Hodge, auction catalogue, sale dates: 26-30 June and 3-6 July 1922, London, 1922
https://www.abebooks.fr/edition-originale/Catalogue-MacGregor-collection-Egyptian-antiquities-Sotheby/31411328486/bd
Percy Edward Newberry, Harry Reginald Hall, Catalogue of an Exhibition of Ancient Egyptian Art, London: Burlington Fine Arts Club, p. 34 no. 17, 1922
https://archive.org/details/catalogueofexhib00burlrich
Rev William MacGregor
https://www.tamworthheritagetrust.co.uk/articles/rev-william-macgregor
Jeanne Vandier d'Abbadie, Les objets de toilette égyptiens au Musée du Louvre, éditions des musées nationaux, Paris, 1972
William C. Hayes, Scepter of Egypt II : A Background for the Study of the Egyptian Antiquities in the Metropolitan Museum of Art : The Hyksos Period and the New Kingdom (1675-1080 B.C.), Cambridge, Mass., The Metropolitan Museum of Art, p. 257, fig. 155, 1959
Christian Leblanc, Nefertari, "L'aimée-de-Mout", Editions du Rocher, 1999 (pp. 185-186 sur l'inceste pratiqué dans la sphère royale)
Aménophis III, le pharaon soleil, Réunion des musées nationaux, 1993
Christiane Ziegler, Reines d'Egypte, Somogy éditions d'art, Grimaldi Forum, 2008
Christian Leblanc, Reines du Nil, La bibliothèque des introuvables, 2009
Morris L. Bierbrier, Who Was Who in Egyptology, London, Egypt Exploration Society, 2012
Pierre Tallet, 12 reines d'Egypte qui ont changé l'histoire, Pygmalion, 2013
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