André Malraux l'a fait figurer dans son "Musée Imaginaire" et Sergio Donadoni l'a évoquée avec sensibilité dans "L'Art égyptien"… Il faut bien reconnaître que cette statue de "Hapy" a une véritable présence, une élégance raffinée que ses blessures n'ont pas altérées…
Sous les règnes de Séthy I et de Ramsès II, ce personnage occupait un poste important. Les inscriptions gravées au dos donnent son nom, mais celles énonçant son rôle d'intendant sont malheureusement en partie mutilées… On ne peut ainsi déterminer pour qui il exerçait cette charge, même s'il est fort probable que ce fut pour Amon. Dans "Ramsès le Grand", Christiane Ziegler donne d'importantes informations sur cette fonction : "Les intendants égyptiens (mer per) étaient des fonctionnaires chargés d'administrer les domaines du souverain. De ce fait, ils étaient responsables des terres et de tout ce qui y était attaché : bâtiments, bétail, hommes... Cette charge était quelquefois confiée à d'anciens militaires qui percevaient les revenus en guise de salaire. Il est évident que le niveau social de ces intendants était fonction de l'importance du domaine qu'ils géraient. L'inscription de notre statue ne nous donne aucune indication à ce sujet".
Haute de 70 cm, cette représentation est réalisée en ronde bosse dans un quartzite rose, ou "grès dur" selon les sources. D'une exécution très aboutie, elle représente Hapy en scribe… Un scribe de haut rang, aisé, auquel sa situation confère une assurance tranquille.
Dans "Statues et statuettes de rois et de particuliers", Georges Legrain décrit ainsi sa position : "L'homme est assis sur un coussin arrondi. Il pose sur sa cuisse et jambe droite, tandis que la gauche est repliée et que le pied gauche vient poser à plat devant le droit. La main gauche posée sur le genou gauche relevé́, laisse se dérouler un papyrus sur lequel Hapi paraît écrire".
Il porte une perruque "ramesside", à revers, joliment texturée et très finement ciselée. Elle couvre la majeure partie de son front mais laisse apparents ses lobes d'oreille qui se révèlent être percés.
Son visage est beau, parfaitement symétrique, avec une expression impassible. Les yeux sont petits, le nez a souffert, les lèvres sont ourlées et le menton est ferme.
Sa tunique, à l'encolure marquée, s'attache au ras du cou. Elle a des manches courtes qui se terminent par une série de plis très seyants. "Un grand jupon bouffant et plissé s'attache par-dessus, couvrant les reins et le bas du corps. La jambe gauche s'en dégage, nue, mais la droite en est couverte, l'artiste a rendu ce détail de son mieux" précise Georges Legrain.
Le genou gauche est manquant, tout comme les mains … Christiane Ziegler interprète très précisément ce que Hapy faisait : "De sa main gauche, il déroulait le papyrus sur lequel il écrivait ; il faut, en effet, imaginer dans l'autre main un calame, roseau à l'extrémité mâchonnée, que les scribes trempaient dans l'encre pour tracer leurs signes. Les anciens Égyptiens écrivant en général de droite à gauche, Hapy est presque arrivé au terme de son texte"…
Sergio Donadoni ("L'Art égyptien") analyse avec subtilité la créativité qui a guidé le sculpteur : "Les continuelles dissymétries sont déjà prévues dans le schéma de la composition ; mais celui-ci est ici continuellement renouvelé par les éléments du costume : les manches évasées, la perruque et, surtout, l'opposition entre la jambe verticale découverte et la jambe horizontale, couverte du tissu plissé…"
Cette statue a été découverte en deux morceaux, le 9 avril 1904, par Georges Legrain, dans la "Cachette de Karnak".
En 1903, Gaston Maspero, directeur du Service des Antiquités lui avait donné la consigne "de fouiller un endroit mal connu du temple d'Amon, de préférence aux alentours du lac sacré". L'égyptologue opte alors pour la cour du septième pylône. Et, c'est là que, le 26 décembre 1903, après avoir mis au jour de nombreux blocs datant du Moyen et du Nouvel Empire, il découvre, en soulevant une stèle de Séthy Ier, une "favissa"… Pendant cinq fructueuses - mais difficiles - saisons (1903 - 1907), "près de 800 statues et 17000 bronzes" seront extraits de cette fosse profonde de 10 à 15 mètres. Ce qui sera dénommé "La Cachette de Karnak" s'inscrit comme l'une des plus belles découvertes égyptologiques du début du XXe siècle !
Comment analyser la présence d'un tel dépôt, ses raisons, et l'époque à laquelle il a été effectué ? Dans une interview accordée à Egypte-actualités, en novembre 2016 lors de la publication de son ouvrage : "La Cachette de Karnak - Nouvelles perspectives sur les découvertes de Georges Legrain", Laurent Coulon donnait les explications suivantes : "L'hypothèse de Georges Legrain qui situait la date de l'enfouissement des statues à la fin de l'époque ptolémaïque reste la plus crédible. Le réexamen approfondi des données disponibles qu'a mené Emmanuel Jambon montre que ce dépôt a eu lieu en une seule opération et non à différentes époques, car des statues des derniers siècles avant notre ère ont été trouvées au plus profond de la fosse, alors que certaines beaucoup plus anciennes, du Moyen et du Nouvel Empire, se trouvaient dans les strates supérieures. La raison d'être de cet enfouissement massif reste, lui, sujet à débat ; il ne peut pour l'instant être relié à aucun événement précis"…
Cette statue (CK 152), a été enregistrée au Journal des Entrées du Musée du Caire JE 36914 et au Catalogue Général CG 42184. Depuis avril 2021, elle est exposée au National Museum of Egyptian Civilization (NMEC) à Fustat.
marie grillot
sources :
Cachette de Karnak - CK 152 : Statue assise de Ḥapy, en scribe. Caire CG 42184 -K 177
https://www.ifao.egnet.net/bases/cachette/ck152
Georges Legrain, Statues et statuettes de rois et de particuliers, 1906
https://archive.org/details/StatuesEtStatuettesDeRoisEtDeParticuliersv.49
Christiane Desroches Noblecourt et alii, Ramsès le Grand, Galeries Nationales du Grand Palais, 1976
Sergio Donadoni, L'Art égyptien, Le Livre de Poche, Paris 1993
Laurent Coulon, Emmanuel Jambon, Base de données "Cachette de Karnak et numéros "K" de G. Legrain", IFAO
https://www.ifao.egnet.net/bases/cachette/ck265
Laurent Coulon, La Cachette de Karnak - Nouvelles perspectives sur les découvertes de Georges Legrain, ouvrage collectif IFAO, 2016, 616 pages
Egypte-actualités, interview "Laurent Coulon présente l'ouvrage 'La Cachette de Karnak - Nouvelles perspectives sur les découvertes de Georges Legrain'"
https://egyptophile.blogspot.com/2016/11/laurent-coulon-presente-louvrage-la.html
Pharaons - Catalogue de l'exposition présentée à l'Institut du monde arabe à Paris, du 15 octobre 2004 au 10 avril 2005
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