C'est en 1924, deux ans avant que Jean-Philippe Lauer n'arrive à Saqqara, que l'archéologue britannique Cecil Mallaby Firth en poste sur le site depuis 1919, demande à Pierre Lacau, directeur du Service des Antiquités, l'autorisation de fouiller les abords de la pyramide à degrés de Djeser.
En dégageant les sables accumulés à l'angle nord-est de la face nord, il mettra notamment au jour une curieuse structure, de forme carrée, contenant une statue du roi assis sur son trône. Ce petit édifice qui sera par la suite dénommé "serdab" est une pièce presque aveugle si ce n'est, sur sa face nord, deux trous ronds percés, à hauteur des yeux de la représentation grandeur nature du souverain. "Ils permettaient à la statue de communiquer avec l'extérieur et, dans le cas présent, de voir pénétrer dans son temple les théories de porteurs d'offrandes ; devant le serdab, les deux vantaux d'une porte ouverte étaient figurés et sculptés dans la pierre à sa droite et à sa gauche" précise Christiane Ziegler dans "L'art égyptien au temps des pyramides".
Cette impressionnante statue de Djeser, haute de 142 cm, est sculptée dans un calcaire gris siliceux. Ce calcaire "'inr-hedj' en égyptien ancien" provenait "de Toura, au sud du Caire, ou des collines de Moqqatam, également proches du Caire" estime Abeer El-Shahawy ("The Egyptian Museum in Cairo"). A l'origine entièrement peinte et stuquée, elle est considérée par Mohamed Saleh et Hourig Sourouzian ("Catalogue officiel du Musée Egyptien du Caire") "comme la plus ancienne sculpture de grandeur naturelle connue en Egypte. Elle représente le roi assis dans une attitude archaïque, le corps enveloppé dans le manteau du jubilé. Il porte une ample perruque striée de couleur noire, recouverte par la coiffe royale en étoffe plissée que l'on nomme némès. Une barbe postiche cérémonielle est attachée au bas du visage qui est glabre, à l'exception d'une fine moustache au-dessus des lèvres. Les yeux étaient autrefois incrustés ; profondément creusés, ils gardent encore une expression lointaine, avivée par la bouche sévère, légèrement dédaigneuse, qui montre bien la distance qui séparait à cette époque, le roi du commun des mortels".
Dans une attitude qui deviendra conventionnelle, le roi a le poing droit serré, posé au niveau du cœur. Sa main gauche, doigts tendus est, elle, à plat sur sa cuisse. Ses pieds, épais, sont nus et reposent sur un socle sur le devant duquel sont inscrits des signes hiéroglyphiques. Ils "désignent le constructeur de la pyramide à degrés par son nom d'Horus, Nétjérikhet : ce n'est que plus tard qu'il sera connu sous le nom de Djeser" analyse Jean-Pierre Corteggiani, dans "L'Egypte des pharaons au musée du Caire".
En ce début de l'Ancien Empire, "Celui au corps divin", Djeser, premier pharaon de la IIIe dynastie, va régner près d'une trentaine d'années, de 2750 - 2675 av. J.-C. ("L'Égypte pharaonique"), ou 2690 - 2660 av. J.-C. (Mohamed Saleh et Hourig Sourouzian), 2687 - 2668 av. J.-C. (Abeer El-Shahawy). Avec son précieux et talentueux architecte Imhotep, ils vont marquer "pour l'éternité" le début d'une ère nouvelle … celle des pharaons bâtisseurs… Le grand complexe funéraire de Saqqara avec sa pyramide à degrés témoignent de leur immortalité, et cette statue, tout autant.
La pyramide à degrés de Djeser à Saqqara, oeuvre du grand architecte Imhotep |
Pour Cyril Aldred ("L'art égyptien") : "La grande statue de Djoser est taillée avec une adresse considérable et produit un effet monumental… Elle rappelle ses antécédents archaïques par sa forme ramassée et sa tête massive qui semble méditer"…
Cette représentation est assurément d'une grande force ; elle en impose par sa solennité, sa gravité, sa rigidité, sa puissance froide. De nombreux détails sont saisissants : le nez cassé, le regard aux yeux creux enfoncés dans les orbites, la barbe postiche d'une longueur inhabituelle (même si elle est en partie lacunaire), ce némès qui, avec ses retombées effilées laissant apparent le bas de l'imposante perruque, n'a pas encore "atteint" la forme "classique" qui perdurera pendant des siècles...
La statuaire de pierre en est à ses débuts et l'on pressent ce désir de perfection qui fera bientôt évoluer cet art archaïsant en lui faisant adopter les canons d'un art plus abouti, d'une esthétique plus subtile…
La statue "originale" a été transportée au Musée du Caire où elle a été enregistrée au Journal des Entrées JE 49158. Depuis, c'est un moulage en pierre qui la remplace dans le serdab. Revers de l'histoire… les trous percés dans le serdab permettent désormais plus aux touristes de regarder à l'intérieur, qu'à ce "double" du roi de regarder vers l'extérieur …
Aujourd'hui, dans le cadre du réaménagement du musée de Tahrir, mené conjointement avec un consortium d’institutions européennes, la statue bénéficie d'une nouvelle muséographie. Elle est présentée majestueusement, dans une grande vitrine, avec en fond, un magnifique panneau (JE 68921) d'une hauteur de 181 cm et d'une largeur de 203 cm, en carreaux vernissés de faïence vert-bleu, si typiques du règne.
Panneau en carreaux vernissés de faïence vert-bleu provenant de la pyramide à degrés découvert lors des fouilles du Service des Antiquités en 1928 reconstitué au Musée égyptien du Caire - JE 68921 |
marie grillot
sources :
Jean-Pierre Corteggiani, L'Egypte des pharaons au musée du Caire, Hachette Paris, 1986
Cyril Aldred, L'Art égyptien, Thames & Hudson, 1989
Claudine Le Tourneur d'Ison, Une passion égyptienne, Jean-Philippe et Marguerite Lauer, Plon, 1996
Mohamed Saleh, Hourig Sourouzian, Catalogue officiel du Musée Egyptien du Caire, Verlag Philippe von Zabern, 1997
Francesco Tiradritti, Trésors d'Egypte - Les merveilles du musée égyptien du Caire, Gründ, 1999
Christiane Ziegler, L'art égyptien au temps des pyramides, Réunion des musées nationaux, 1999
Abeer El-Shahawy, The Egyptian Museum in Cairo, Matḥaf al-Miṣrī, American University in Cairo Press, 2005
Morris L. Bierbrier, Who Was Who in Egyptology, London, Egypt Exploration Society, 2012
Pierre Tallet, Frédéric Payraudeau, Chloé Ragazzolli, Claire Somaglino, L'Egypte pharaonique, histoire, société, culture, Armand Colin, 2019
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire