Cette grande stèle en calcaire, d'une hauteur actuelle d' 1,43 m et d'une largeur de 0,65 m, est l'un des plus anciens monuments du département égyptien du musée du Louvre.
Datée de 3100 - 2900 av. J.-C., elle provient de la tombe de l'un des souverains fondateurs de la Ière dynastie et témoigne ainsi, avec élégance et sobriété, d'une page d'histoire âgée de 5000 ans.
Elle a été découverte en 1895 - 1896 par Émile Amélineau. Cet égyptologue, diplômé de l’École Pratique des Hautes Études où il a notamment eu comme professeurs Gaston Maspero et Eugène Grébaut, et par ailleurs membre de la Mission Archéologique Française du Caire, est, en novembre 1895, de retour en Egypte pour effectuer des fouilles sur un site qu'il ne connaît pas encore… "Ce n'est pas sans une vive appréhension que j'ai accepté d'aller fouiller la nécropole d'Abydos : l'ombre du grand Mariette semblait la garder contre toute tentative téméraire et je savais, pour avoir lu ses ouvrages, qu'il l'avait fouillée pendant dix-huit ans. Dès lors je me demandais ce que je pouvais découvrir en de pareilles circonstances, car je n'étais jamais allé à Abydos… Je me mis donc à l'œuvre avec ardeur et cette ardeur, je l'ai conservée pendant les cinq mois qu'a duré la campagne, malgré bien des déboires et bien des déceptions" relate-t-il dans "Les nouvelles fouilles d'Abydos".
Dans la nécropole d'El-Araba el-Madfouna, "Oumm el-Qaab" (la "Mère des cruches", ou "Mère des pots"), dont Jacques de Morgan lui avait accordé la concession, il met au jour - avec le concours de plus de 450 ouvriers ! - de nombreuses tombes et, parmi elles, plusieurs sépultures royales de la période "thinite" (- 3100 - 2700 av. J.-C). "A l'ouest de la grande colline, presque perpendiculairement au tombeau d'Osiris et en première ligne", relate-t-il, il découvre celle de celui qu'il identifiera comme "le roi Serpent, que d'autres ont appelé Dja, ou même Djet". Fils et successeur de Djer, il a été le quatrième souverain de la Ière dynastie, ainsi que le père de Den auquel il laissera le pouvoir.
Cette tombe royale - qui sera plus tard référencée "Z" - recelait notamment cette stèle, brisée en trois morceaux. "Le fragment inférieur, non décoré, a dû être laissé sur place. Dans son état d'origine la stèle, qui mesurait 2,50 mètres ou 2,60 mètres, était donc nettement plus élancée. Sculpté en relief sur un fond en contrebas est écrit le nom du souverain, un de ses noms plutôt, puisque les rois d'alors en portaient généralement deux" précise Jean-Louis de Cenival dans "Un siècle de fouilles françaises en Egypte, 1880 -1980".
Dans "L'Égypte ancienne au Louvre", Christiane Ziegler en fait cette éclairante lecture : "L'image souveraine d'un grand faucon domine celle d'un serpent encadré par l'enceinte d'une forteresse ; le tout se lit comme un nom royal, le nom du roi Serpent. Le faucon, c'est la personnification du dieu Horus, protecteur de la royauté. Le serpent, c'est le hiéroglyphe se lisant dj ou le signe qui sert à écrire le nom du cobra. L'enceinte, c'est l'image du palais, avec ses murs, de briques crues rappelant une forteresse pourvue de tours de défense; les murs, percés de hautes portes, présentent une succession d'avancées et de retraits couronnés d'une corniche".
Pour Georges Bénédite ("La stèle dite du roi Serpent") : "Il est logique de considérer l'édifice illustré par le serekh comme la demeure du Double, c'est-à-dire la Tombe"… Dans "The Serekh as an Aspect of the Iconography of Early Kingship", Alexandra A. O'Brien nous donne ces précieuses explications : "Le serekh est une façon d'écrire le nom du roi. Il est généralement constitué de trois éléments : en bas, une partie de façade en niche ; au-dessus, un panneau sur lequel est écrit le nom du roi, et, assis dessus, un faucon. Il s'agit du modèle 'classique'. Parfois, le faucon est rejoint par un animal séthien ou est remplacé par un autre, ou totalement absent, ou est rejoint par un deuxième faucon. Cela peut sembler un motif simple, car l’implication de chaque élément est assez facile à expliquer. La façade des niches représente probablement un grand bâtiment associé au roi - son palais peut-être ou son tombeau, et l'un ou l'autre servirait à représenter la richesse, le pouvoir et l'autorité du monarque"…
Lors de ces trois missions de fouilles menées de 1895 à 1898, Émile Amélineau découvrit des centaines, voire même des milliers d'artefacts. Selon la législation en vigueur (loi sur les antiquités de 1891), ils furent répartis entre l'Egypte et le "fouilleur", au cours d'un "partage exécuté à Abydos sous la surveillance de Jéquier qui remplaçait Morgan cloué au lit à cette période" précise Marc Étienne dans "Émile Amélineau (1850-1915). Le savant incompris".
Les missions ayant été financées par une société d'actionnaires (banquiers, collectionneurs,…), ceux-ci attendent un juste retour sur leurs investissements… A son retour en France, Émile Amélineau est chargé de vendre les artefacts afin de pouvoir les indemniser. Mais, face aux difficultés rencontrées, et aux délais de vente qui s'annoncent longs, il se verra contraint de rembourser les investisseurs, devenant ainsi propriétaire de l'intégralité des objets rapportés. Les transactions qu'il poursuit ensuite, notamment avec le Louvre auquel il espérait vendre la globalité de l'ensemble, pour des raisons obscures, n'aboutiront pas … Finalement, l'égyptologue, décide de mettre sa collection en vente publique à l’Hôtel Drouot, à Paris, les 3 et 4 novembre 1904… "Du fait des clauses de la société́ d’actionnaires, trois ensembles furent formés par les vestiges mis au jour lors des fouilles ; c’est ce qu’Amélineau désignera en 1904 dans la préface du catalogue de vente par les termes de 'première, deuxième et troisième collection', désignant respectivement le produit des fouilles des campagnes de l’hiver 1895 - printemps 1896, de l’hiver 1896 - printemps 1897 et enfin de hiver 1897 - printemps 1898 (Vente Amélineau, 1904)" précise Marc Étienne.
C'est à cette vente que le Musée du Louvre se portera acquéreur de cette stèle du roi Serpent, présentée sous le n° 303, qui entrera ainsi dans ses collections sous le n° d'inventaire E 11007.
marie grillot
sources :
Stèle du roi Serpent
https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010012035
Émile Amélineau, Les nouvelles fouilles d'Abydos, Compte rendu des fouilles d'Abydos, 1896-1898, Imprimerie A. Burdin, Angers, 1896
https://archive.org/details/lesnouvellesfoui00am/page/n5/mode/2up
Émile Amélineau, Mission Amélineau. Les nouvelles fouilles d'Abydos, 1895-1896, compte-rendu in-extenso des fouilles, description des monuments et objets découverts (1er septembre 1898)
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58048302/f438.item.r=jeu
Émile Amélineau, Nouvelles fouilles d'Abydos ... compte rendu in extenso des fouilles, description des monuments et objets découverts, Ernest Leroux Editeur, Paris, 1899
https://archive.org/details/nouvellesfouille00amel/page/n11/mode/2up
Vente Amélineau - Antiquités égyptiennes trouvées à Abydos. Ivoires, bois sculptés, terres émaillées, amulettes, scarabées, statuettes funéraires, objets en or et en bronze, silex, terres cuites et poteries, sculpture diverses, vases et coupes en pierre dure, stèles, tables et fragments avec inscriptions hiéroglyphiques, etc, Hôtel Drouot Paris, 8-9 février 1904
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1247688b/f6.item
Émile Amélineau, Les nouvelles fouilles d'Abydos 1897-1898, Ernest Leroux Editeur, Paris, 1905
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58048302/f438.item.r=jeu
Georges Bénédite, La stèle dite du roi Serpent (Musée du Louvre), Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot, tome 12, fascicule 1, 1905. pp. 5-18
doi : https://doi.org/10.3406/piot.1905.1260
https://www.persee.fr/doc/piot_1148-6023_1905_num_12_1_1260
Christiane Desroches Noblecourt, Jean Vercoutter, Un siècle de fouilles françaises en Egypte, 1880 - 1980, cat. exp. (Paris, Musée d'Art et d'Essai, Palais de Tokyo, 21 mai - 15 octobre 1981), Le Caire, Institut français d'archéologie orientale (IFAO), 1981, p. 6, ill. p. 6, n° 2
Alexandra A. O'Brien, The Serekh as an Aspect of the Iconography of Early Kingship, Journal of the American Research Center in Egypt
Vol. 33, 1996, pp. 123-138 (16 pages)
https://www.jstor.org/stable/40000610
Guillemette Andreu, Marie-Hélène Rutschowscaya, Christiane Ziegler, L'Égypte ancienne au Louvre, Paris, Hachette, 1997, p. 43 ; 250-251
Marc Etienne, Émile Amélineau (1850-1915). Le savant incompris, Archéonil, 17, 2007, p. 27-38, p. 30, fig. 4
https://www.persee.fr/doc/arnil_1161-0492_2007_num_17_1_929
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