Cette ravissante petite tortue (4,7 cm x 3,5 cm x 1,5 cm) à laquelle un sculpteur de grand talent a réussi à conférer, avec précision, les caractéristiques de son espèce, date du Moyen Empire, c'est-à-dire qu'elle a environ 4000 ans !
Elle est travaillée dans une pierre d'améthyste à la douce couleur translucide. Cette pierre semi-précieuse, provenant des mines du Ouadi El-Houdi dans le désert oriental - à l'est d'Éléphantine et au sud-est d'Assouan -, était souvent utilisée pour les amulettes de protection et pour les bijoux funéraires.
Le charme tout particulier de cette tortue réside dans le traitement original accordé à sa carapace … Elle est incrustée de petites pastilles rondes de couleurs différentes, réalisées en turquoise, en lapis-lazuli et en cornaline. Même si, malheureusement, beaucoup sont manquantes aujourd'hui, leur chatoyante polychromie insuffle un indicible "punch" à ce tétrapode qui en est souvent partiellement dépourvu. "Cette tortue, réalisée en améthyste, une pierre difficile à sculpter, a le dos incrusté de minuscules pierres semi-précieuses conçues pour imiter le motif en pointillé de sa carapace" précise le Metropolitan Museum of Art de New York où elle est exposée sous le n° 26.7.1359.
L'espèce représentée est la grande tortue du Nil "trionyx triunguis", qui était présente en Egypte, dès les périodes pré-dynastiques. Des restes trouvés sur des sites d’habitat nagadien attestent en effet que sa chair était consommée et appréciée. Elle est dotée d'une carapace très singulière comme l'explique Etienne Geoffroy Saint-Hilaire dans la "Description d’Égypte" : "La partie molle de la carapace a beaucoup plus d’utilité qu’on ne pourrait croire. Les trionyx, en abaissant ou relevant les bords latéraux de cette large enveloppe, parviennent à nager avec une vitesse extrême ; et, ce qu’il a de plus surprenant, par un mode qui leur est propre, ils roulent sur eux-mêmes, de manière que, lorsqu’ils nagent à fleur d’eau, on aperçoit alternativement le dos et le ventre."
La tortue était perçue de façon ambivalente : elle pouvait être associée aux forces du mal (le chaos, le désordre), tout comme elle pouvait avoir un rôle protecteur … "Pour les anciens Egyptiens, la tortue d'eau Trionyx triunguis, comme beaucoup d'autres animaux, semblait posséder un double caractère. Étant un animal des profondeurs obscures, la tortue incarnait le danger cosmique et était donc rituellement anéantie, mais son rôle pouvait également être protecteur en éloignant le mal. Ce pouvoir faisait des tortues de puissantes amulettes" précise Dorothea Arnold.
Dans ce cas précis, sa facture élaborée l'assimile aux forces protectrices qu'elle devait dispenser à celui qui la possédait, ou encore au défunt qu'elle accompagnait dans son éternité, à moins qu'elle n'ait été conçue pour être offerte à une divinité.
Le musée new-yorkais indique ainsi sa provenance "antique" : "Proviendrait du nord de la Haute-Égypte, Dendérah". Elle se trouvait dans la Collection de feu Lord Carnarvon qui fut vendue au MET, par sa veuve Lady Almina, en 1926, pour la somme de $145.000.
Dès son arrivée en Egypte en 1905, l'aristocrate britannique avait commencé à se constituer une collection d'antiquités. Jusqu'à son décès, début 1923, il ne cessa de l'enrichir, surtout après sa rencontre, en 1909, avec Howard Carter qui ne manqua pas de le conseiller dans ses acquisitions.
Lors d'une exposition consacrée à l'art égyptien, organisée en novembre 1922 à Londres, au Burlington Fine Arts Club, Carnarvon présenta de nombreux objets. On retrouve d'ailleurs cette tortue en page 19, décrite ainsi sous le n° 8 : "Tortue, améthyste avec turquoise, jaspe rouge et lapis lazuli incrustés. De Dendérah. Début de la période ptolémaïque". On remarque que la datation a été revue par la suite…
"Cet objet est un exemple sophistiqué de compétence artistique et de créativité du Moyen Empire qui doit avoir été commandé par un membre de l’élite de la société" précise également le Metropolitan…
marie grillot
sources :
A small inlaid sculpture of a soft-shelled turtle
https://www.metmuseum.org/art/collection/search/544102
Percy Edward Newberry, Harry Reginald Hall, Catalogue of an Exhibition of Ancient Egyptian Art, London: Burlington Fine Arts Club, p. 19 no. 8., 1922
https://archive.org/details/catalogueofexhib00burlrich
Henry G. Fischer, Egyptian Turtles, The Metropolitan Museum of Art Bulletin, new ser., vol. 24, no. 6 (February), pp. 197-198, frontispiece, 1966.
Christine Lilyquist, Peter F. Dorman, Edna R. Russmann, The Metropolitan Museum of Art Bulletin, vol. 41, no. 3 (Winter), New York : The Metropolitan Museum of Art, p. 20, fig. 19 (PD), 1983
https://www.metmuseum.org/art/metpublications/Egyptian_Art_The_Metropolitan_Museum_of_Art_Bulletin_v_41_no_3_Winter_1983_1984
Dorothea Arnold, The Metropolitan Museum of Art Bulletin, new ser., vol. 52, no. 4 (Spring), New York: The Metropolitan Museum of Art, pp. 5, 34, no. 36, 1995.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire