Cette "pseudo-palette" de Bakenkhonsou est travaillée, en "relief découpé", dans de l'if (Taxus baccata). Elle est fragmentaire (sa partie inférieure manque) et, dans son état actuel, sa hauteur est de 20 cm et sa largeur de 6,2 cm.
Son appellation interpelle bien sûr : pourquoi "pseudo-palette" ? Ou encore "simulacre de palette de scribe" comme la dénomme Jean-François Champollion dans sa "Notice descriptive des monuments égyptiens du Musée Charles X" sous la référence M. 55 ?
Elle n'a effectivement pas la forme habituelle des palettes de scribes dont l'aspect, simple et "classique", n'a quasiment pas évolué au fil des siècles et même des millénaires. Rectangulaires, et peu épaisses, elles sont souvent réalisées dans un bois de bonne qualité, finement poli, plus rarement en ivoire (comme MMA New York - 26.7.1294). De forme ronde, ovale, rectangulaire ou carrée, les cupules (godets) prennent place à leur extrémité. Si les palettes des peintres en comportent entre six et neuf, celles des scribes n'en comportent que deux. L'encre noire était faite à partir de charbon et l'ocre rouge, riche en fer, servait à fabriquer la rouge…
Sous les cupules, au centre et sur environ les 2/3 de la longueur une encoche rectangulaire et peu large est évidée. Elle est destinée au rangement des calames. Ce sont de fins roseaux ou joncs, dont une extrémité est taillée en biais et effilée afin d'absorber l'encre. "Pour écrire, le scribe mâchait le bout du roseau pour en faire un pinceau, le trempait dans l'eau et frottait le pain d'encre. L’encre noire était utilisée pour écrire le texte et l’encre rouge pour les titres ou les corrections" précise l'Université de Memphis dans sa notice de présentation de l'une de ses palettes.
Cette palette ne reproduit en effet que partiellement ces caractéristiques "classiques"… Elle est plus originale, moins conventionnelle, s'apparentant plus à un objet d'art qu'à un accessoire utilitaire. D'autre part, son corps en forme de vase "hes", la tête de canidé qui le coiffe et de ce fait sa ressemblance avec un vase canope, tendent à l'assimiler à un artefact funéraire.
Dans "Des animaux et des pharaons", Patricia Rigault analyse ainsi cette représentation : "Le dieu Anubis, patron des embaumeurs, est omniprésent auprès des défunts. Sous l'aspect d'un canidé sauvage ou d'un homme pourvu d'une tête de canidé, il orne de nombreux monuments funéraires. Celui-ci est d'une grande originalité. Taillé dans un bois d'if, ce qui est peu fréquent, il pourrait évoquer, à première vue, l'un des quatre vases canopes servant à conserver les viscères du défunt, à savoir celui placé sous la protection du dieu Douamoutef à tête de chien. Toutefois, les deux petites cupules et le logement à calames présents sur l'une des faces permettent de l'identifier comme une palette de scribe, placée ici sous la protection d'Anubis dont on retrouve les épithètes habituelles en lien avec la nécropole et la momification"
Le gardien de la nécropole est très finement représenté, profil fièrement tourné vers la droite . Ses oreilles pointues dressées et son museau effilé ne manquent pas d'élégance. Sa crinière est joliment rendue par des incisions qui effacent les veines du bois générant ainsi un relief sur deux tons particulièrement saisissant. Son œil en amande, étiré par une ligne de fard plate, affiche une pointe lacrymale légèrement retombante.
Au centre de la partie supérieure du corps se trouvent deux signes "shen", symboles d'éternité. Placés l'un au-dessus de l'autre, leur "boucle", creuse, fait office de cupule.
Dans sa "Description sommaire des salles du Musée égyptien, (Musée Impérial du Louvre), Emmanuel de Rougé l'évoque ainsi : "Une palette d'une forme singulière est surmontée de la tête de chacal, emblème des hiérogrammates adressées à divers dieux par le possesseur de la palette".
La colonne (incomplète) de beaux hiéroglyphes inscrits de part et d'autre de la fente de rangement des calames et les trois colonnes gravées au dos de l'objet donnent d'intéressantes informations. Ainsi, côté calames peut-on lire : "L'embaumeur" (à droite) "seigneur de la nécropole" (à gauche), ces titres faisant référence à Anubis. Et, en bas : "L'Osiris, le dignitaire, le père divin aimé du dieu, Bak[enkhonsou]". Sur l'autre face se trouve une invocation pour toutes les divinités de la nécropole, adressée par "L'Osiris, le premier pontife d'Amon, Bakenkhonsou".
Dans la préface de son "Histoire des grands prêtres d'Amon de Karnak", Gustave Lefebvre nous fournit ces intéressantes informations : "Seuls les Grands prêtres d’Amon antérieurs à la XXIe dynastie ont une individualité marquée. Ils forment un corps social, dont l’existence est intimement mêlée, pendant près de cinq siècles, à la fortune des rois et aux destinées de l’Etat. On peut observer le développement de leur puissance sous les premiers souverains de la XVIIIe dynastie, leur effondrement au moment du schisme atonien, leur redressement, d’abord timide sous des rois de l’envergure de Ramsès II et de Ramsès III, puis leur audace croissant de jour en jour sous les Pharaons qui suivirent, jusqu’à ce qu’ enfin la faiblesse des derniers Ramessides leur suggéra l’idée et leur fournit les moyens de s’emparer de la couronne"…
Bakenkhonsou - il faut d'ailleurs le nommer plus précisément "Bakenkhonsou II" car plusieurs grands-prêtres portent ce même nom - fut Grand prêtre d’Amon sous Ramsès II. Il occupa ses fonctions pendant vingt-sept ans et c'est à lui que revint la mise en œuvre du sanctuaire d'"Amon-qui-écoute-les-prières" situé à l'est du grand domaine d'Amon à Karnak. Son "sacerdoce" prit fin à sa mort, à moins que d'autres raisons - santé ou politique - ne l'aient contraint à renoncer à sa charge à la fin du règne du pharaon.
Il semble qu'il ait gravi tous les degrés de la prêtrise. Gustave Lefèvre précise que "Deux Grands prêtres seulement paraissent avoir suivi la filière, à peu près complète, Bakenkhonsou (II) et Romê-Roÿ, qui furent successivement, l'un et l'autre, prêtre-ouab, père divin, Troisième prophète, Deuxième prophète, Premier prophète"…
Le contexte de la découverte de cette palette à son nom n'est pas connu. Cependant, le Porter & Moss "Topographical Bibliography of Ancient Egyptian Hieroglyphic Texts, Reliefs, and Paintings - The Theban Necropolis Part 1. Private Tombs" l'évoque comme un artefact "pouvant provenir" de sa tombe - TT 35 - située à Dra Abou el-Naga. Son père aurait été prophète d'Amon, sa mère, chanteuse d'Amon et son épouse, chef du harem d'Amon…
Elle était l'un des 4014 objets de la collection constituée par le consul britannique Henry Salt, acquise par le roi Charles X en 1826. Elle est entrée au Louvre sous le n° d'inventaire N 3018 et est exposée dans la salle 335 consacrée à "L'écriture et les scribes".
marie grillot
sources :
palette de scribe ; simulacre
https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010006489
Théodule Devéria, Bakenkhonsou grand prêtre d'Ammon et architecte principal de Thèbes contemporain de Moïse, Revue Archéologique, Nouvelle Série, Vol. 6 (Juillet à Décembre 1862), pp. 101-104 (4 pages)
https://www.jstor.org/stable/41746911?seq=4
Emmanuel de Rougé, Description sommaire des salles du Musée égyptien, [Musée Impérial du Louvre], Paris, Librairies-imprimeries réunies, 1895, p. 97
https://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/rouge1895/0119/image,info,text_ocr,thumbs
Gustave Lefebvre, Histoire des grands prêtres d'Amon de Karnak, Librairie Orientaliste Paul Geuthner, Paris,1929
https://archive.org/stream/Lefebvre-Histoire-Grands-Pretres-DAmon/Lefebvre,%20Gustave%20-%20Histoire%20des%20grands%20prêtres%20d%27Amon%20(1929)%20LR_djvu.txt
Charles Boreux, Guide-catalogue sommaire, 2, Salles du premier étage (salles Charles X), [Musée du Louvre, Paris. Département des Antiquités égyptiennes.], Paris, Musées Nationaux, 1932, p. 611
https://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/boreux1932bd2/0072/text_ocr
Bertha Porter and Rosalind L. B. Moss, Topographical Bibliography of Ancient Egyptian Hieroglyphic Texts, Reliefs, and Paintings - I. The Theban Necropolis Part 1. Private Tombs - Second edition revised and augmented - Griffith Institute Ashmolean Museum Oxford, 1960, p. 62
http://www.griffith.ox.ac.uk/topbib/pdf/pm1-1.pdf
Sylvie Guichard, Champollion, Jean-François, Notice descriptive des monuments égyptiens du Musée Charles X, Paris, Louvre éditions / éditions Khéops, 2013, p. 227, ill. p. 227, M. 55
Hélène Guichard, Des animaux et des pharaons, le règne animal dans l'Egypte ancienne, cat. expo, Somogy éditions d'art, Paris, 2014, p. 209, n° 185
Scribal Palette, University of Memphis Institute of Egyptian Art and Archaeology
https://www.memphis.edu/egypt/exhibit/palette.php
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