dimanche 15 octobre 2023

Cet emblème d'Anouket au Louvre atteste son culte à Deir-Medineh

Emblème "biface" d'Anouket (Anoukis) - bois peint (tamaris et karité) - XIXe dynastie (vers 1295 - 1186 av. J.-C.)
provenant de Deir el-Medineh - Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - N 3534
par acquisition de la Collection Salt en 1826 (Salt n°559) - © 2006 Musée du Louvre / Christian Décamps


Associée au dieu Khnoum et à la déesse Satis, Anouket (Anoukis) est la troisième divinité de la triade de la Première Cataracte, ou triade d'Eléphantine. Elle est généralement présentée comme "la fille du couple divin" ou encore "l'épouse du dieu". 


Dans "L'Égypte ancienne et ses dieux", Jean-Pierre Corteggiani précise que l'un de ses titres est : "Maîtresse de To-Seti, c'est-à-dire de la Nubie ; elle est parfois appelée la nubienne, bien que rien ne prouve qu'elle soit vraiment originaire de cette région, une de ses fonctions est de garder la frontière sud de l'Egypte"… Et il ajoute "Comme l'explique clairement un texte du temple d'Edfou, s'il revient à Satis, assimilée à Sothis, de faire monter le flot bénéfique, il incombe à Anoukis (Anouqis) la tâche tout aussi essentielle de le faire diminuer et de permettre ainsi, après le retrait de la crue, aux graines de germer et à la végétation de pousser sur les terres libérées par les eaux." D'elle dépend donc la nourriture et la subsistance de tout un peuple, de tout un pays… Cela peut expliquer la raison de la propagation de son culte vers le nord, notamment à Deir el-Medineh, où il fut probablement introduit "par les ouvriers qui travaillaient dans les carrières de granit d'Assouan".

Emblème "biface" d'Anouket (Anoukis) - bois peint (tamaris et karité) - XIXe dynastie (vers 1295 - 1186 av. J.-C.)
provenant de Deir el-Medineh - Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - N 3534
par acquisition de la Collection Salt en 1826 (Salt n°559) - © 2006 Musée du Louvre / Christian Décamps


Entre les hautes murailles de "Set Maât her imenty Ouaset" ("la Place de Vérité à l’occident de Thèbes", l'actuel Deir el-Medineh), vivaient entre 60 et 120 familles dédiées au creusement et à la décoration des tombes des nécropoles royales. Elles disposaient de maisons de pierre couvertes d'un toit en feuilles de palmier, de leur propre nécropole, et bien sûr de lieux de culte. Amon, Ptah, Meretseger, Hathor y étaient célébrés, mais d'autres divinités y avaient également leur place. En effet, comme le précise Guillemette Andreu dans "Les artistes de Pharaon" : "Khnoum et ses deux parèdres, Satis et Anoukis, connurent une grande faveur dans la communauté, sans que l'on sache si un sanctuaire particulier leur a été édifié. Il est vraisemblable qu'une des nombreuses chapelles de dévotion situées au nord du site ait servi à l'occasion de lieu de culte, mais ces cultes apparaissent essentiellement comme privés et domestiques".

Emblème "biface" d'Anouket (Anoukis) - bois peint (tamaris et karité) - XIXe dynastie (vers 1295 - 1186 av. J.-C.)
provenant de Deir el-Medineh - Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - N 3534 
 par acquisition de la Collection Salt en 1826 (Salt n°559) 
publié ici par Dominique Valbelle dans le BIFAO 75, 1975

Cet emblème "biface" d'Anouket réalisé "Pour le ka du serviteur dans la Place de vérité, Pached, acquitté" témoigne de ce culte. D'autre part, dans leur "Guide de Deir el-Médina", Guillemette Andreu et Dominique Valbelle rappellent que "la procession de l'emblème d'Anouqet est figurée dans la chapelle de la tombe du chef d'équipe Néferhotep".


Deux choses frappent dans les représentations d'Anouket : sa coiffe si particulière et nous y reviendrons et, de manière plus  saisissante, sa ressemblance affichée avec Hathor. "Comme l'a montré D. Valbelle, cet objet, dont l'aspect évoque celui d'un sistre hathorique, illustre un syncrétisme entre Ânouket d'Éléphantine et Hathor de Diospolis Parva dans le cadre d'un culte local à Deir el-Medineh" rappelle Christophe Barbotin dans "Les statues égyptiennes du Nouvel Empire".

Emblème "biface" d'Anouket (Anoukis) - bois peint (tamaris et karité) - XIXe dynastie (vers 1295 - 1186 av. J.-C.)
provenant de Deir el-Medineh - Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - N 3534
par acquisition de la Collection Salt en 1826 (Salt n°559) - © 2006 Musée du Louvre / Christian Décamps


Haut de 27,5 cm, large de 13,5 cm, il est travaillé dans un bois de tamaris, et repose sur un socle en karité. Le support, assimilable à une colonne cannelée, est cerclé de traits horizontaux. Il est surmonté de la tête - en  fait de deux têtes, reproduites à l'identique, "dos à dos" - de la déesse. Son visage adopte la forme d'un losange aux contours arrondis. La partie la plus large se trouve au niveau des oreilles de vache et la plus fine au niveau du menton. Ses grands yeux étirés d'une ligne de fard sont peints en noir avec un grand iris sombre qui laisse peu de place au blanc de l'œil. Ils sont surmontés sur toute leur longueur de sourcils très arqués qui sont creusés et incrustés d'une matière noire. Le nez est épaté et la  bouche aux commissures retombantes affiche une légère  différence sur les deux faces, sur l'une la lèvre supérieure étant plus fine. Le côté gauche de l'un des deux visages est marqué d'une longue et douloureuse balafre.

Emblème "biface" d'Anouket (Anoukis) - bois peint (tamaris et karité) - XIXe dynastie (vers 1295 - 1186 av. J.-C.)
provenant de Deir el-Medineh - Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - N 3534
par acquisition de la Collection Salt en 1826 (Salt n°559) - © 2006 Musée du Louvre / Christian Décamps


Le principal attribut d'Anouket, qui la rend immédiatement identifiable, est sa haute et généreuse coiffe faite de plumes d'autruche. Christophe Barbotin en fait cette description précise : "Le mortier, peint en rouge avec des traits blancs verticaux, est surmonté de plumes avec des traces de peinture bleue et rouge (sept plumes sur chacune des faces, trois sur chaque tranche). Il est posé sur une sorte de calotte peinte en noir visible en haut de chaque face, mais non sur les côtés. Le sommet des plumes constitue une surface parfaitement plane". 

Emblème "biface" d'Anouket (Anoukis) - bois peint (tamaris et karité) - XIXe dynastie (vers 1295 - 1186 av. J.-C.)
provenant de Deir el-Medineh - Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - N 3534
par acquisition de la Collection Salt en 1826 (Salt n°559) - © 2006 Musée du Louvre / Christian Décamps


Cet emblème d'Anouket date de la  XIXe dynastie (vers 1295 - 1186 av. J.-C.). Il est arrivé au Musée du Louvre, en 1826, par l'acquisition par Charles X - pour la somme de 250.000 francs - de la collection du consul britannique Henry Salt. Jean-François Champollion se rendra d'ailleurs à Livourne pour dresser l'inventaire descriptif des 4014 objets, celui-ci portant le n° 559. Dans sa "Notice descriptive des monumens égyptiens du Musée Charles X" (1827), il le présentera sous le A.136, "Bois peint. Tête symbolique de la déesse Anouké". Il est aujourd'hui exposé dans l'aile Sully, dans la salle 336 consacrée au Nil, sous le n° d'inventaire N 3534.


marie grillot

 

sources :

Emblème d'Anouket

https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010024883

Jean-Pierre Corteggiani, L'Egypte ancienne et ses dieux - Dictionnaire illustré, Fayard 2007

Sylvie Guichard, Jean-François Champollion, Notice descriptive des monuments égyptiens du Musée Charles X, Paris, Louvre éditions / éditions Khéops, 2013, p. 87-88, ill. p. 88, A. 136

Guillemette Andreu, Les artistes de Pharaon. Deir el-Médineh et la Vallée des Rois, RMN ; Brepols, 2002, p. 273, ill. p. 272, n° 221a

- Andreu, Guillemette ; Valbelle, Dominique, Guide de Deir el-Médina. Un village d'artistes, Le Caire, Institut français d'archéologie orientale (IFAO), 2022, p. 150, fig. 131

- Barbotin, Christophe, Les statues égyptiennes du Nouvel Empire, 1, Statues royales et divines, [Musée du Louvre, Paris], Paris, Louvre éditions / éditions Khéops, 2007, p. 146-147, fig. 1-15 p. 238-241, n° 85

Dominique Valbelle, Témoignages du Nouvel Empire sur les cultes de Satis et d'Anoukis à Éléphantine et à Deir el-Médineh, Bulletin de l'Institut français d'archéologie orientale (BIFAO), 75, 1975, p. 123-145,

https://www.ifao.egnet.net/bifao/75/7/ , p. 141-145, fig. 7, pl. XXI-XXIIII, Doc. 10

Jean-François Champollion, Notice descriptive des monumens égyptiens du Musée Charles X, Paris, Imprimerie de Crapelet, 1827, p. 7, A. 136

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1040365n

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