Pièce de lin peint représentant le prêtre Tjanefer et sa famille face à la déesse Hathor - lin et peinture
XIXe dynastie (vers 1300-1250 av. J.-C.)
provenance possible : Temple d'Hathor à Deir el-Bahari - rive ouest de Thèbes
acquise en 1906 par Robert de Rustafjaell puis, après être passée dans différentes collections, entrée au Metropolitan Museum of Art de New York en 2022 sous le n° 2022.332 - photo du musée
Cette fine pièce de lin, délicatement peinte, est longue de 54 cm et large de 32 cm. Les contours irréguliers sont le signe qu'elle a été découpée, de façon peu méticuleuse, dans une pièce plus grande. Sa partie supérieure et son côté droit sont bordés de franges : peut-être s'agit-il là de l'angle supérieur droit de ce tissu votif ?
La scène qui y est représentée, riche en symbolique, est déclinée dans une "vignette" rectangulaire dont l'espace est composé harmonieusement.
Elle se déroule sous une guirlande florale qui fait se succéder des pétales lancéolés de lotus pointés vers le bas. Quant à sa partie basse, elle est délimitée par une ligne noire.
A gauche, occupant un tiers de la surface et la majeure partie de la hauteur, se trouve la déesse Hathor sous sa forme de vache. Debout sur une élégante barque vert et or, à la proue et la poupe recourbées, elle est abritée par un dais de résille à dominante rouge, aux motifs en losange (qui rappelle notamment la résille recouvrant la déesse Mehet-Ouret dans la tombe d'Irynefer). Le haut de ce dais est orné d'une guirlande florale, du même type que la précédente.
La vache sacrée émerge du marais, symbolisé par un fourré de hauts papyrus, merveilleusement traités dans des tons doux, de vert et de bleu. Son pelage or est parsemé de motifs noirs et elle porte la coiffe qui la caractérise : des cornes de vache enserrant le disque solaire. Au-dessus de la déesse, est inscrit en hiéroglyphes : "Hathor, maîtresse du ciel qui est à la tête de Thèbes". Sous son mufle se tient un personnage dans l'attitude de la marche, jambe gauche avancée. Le cartouche peint devant lui l'identifie comme étant le pharaon Nebhepetrê (Montouhotep II). Ses chairs sont noires car il s'agit de sa représentation divinisée. On le retrouve également agenouillé, sous la vache céleste, s'abreuvant à son pis.
On ne peut que rapprocher cette scène de celle de la "chapelle de la vache sacrée d'Hathor" découverte le 7 février 1906, dans le temple de Thoutmosis III, à Deir el-Bahari, par Edouard Naville pour l'Egypt Exploration Found (Musée égyptien du Caire - JE 38574 - JE 38575). Dans "Symboles de l'Egypte", Christiane Desroches Noblecourt l'interprète ainsi : "Lorsqu'il est enterré, le défunt momifié s'unit à la Grande Vache. Le petit enfant allaité représente le fœtus du placenta céleste. Ayant accompli dans le giron de la vache le temps de sa gestation, l'enfant va renaître et apparaît donc protégé par sa 'mère' céleste, sortant comme elle des marécages de l'au-delà, encore tout noir du limon fécondateur"…
Montouhotep II ("Montou est satisfait") a régné entre 2061 et 2010 avant J.-C., et cette pièce de lin est datée de la XIXe dynastie, vers 1300 - 1250 avant J.-C. Elle témoigne que, à Deir el-Bahari, on honorait alors, conjointement, Hathor et le pharaon divinisé. Tjanefer, qui leur dédie cette étoffe votive, était prêtre des deux cultes. Placé face à eux, et à la table d'offrandes qu'il leur consacre, il est accompagné par sa famille qui se tient derrière lui.
Le Metropolitan Museum of Art de New York où cette pièce de lin est exposée sous le numéro 2022.332 décrit ainsi la "procession familiale" qui occupe les deux tiers du décor, prenant place sous dix courtes colonnes de hiéroglyphes identifiant les "participants" : "Tjanefer fait face à Hathor, les mains levées en signe de respect, tandis que trois générations de sa famille, dont sa femme, ses enfants et sa belle-mère, portent des cadeaux pour la déesse".
Le prêtre et ses trois fils sont traités de façon quasi identique. Représentés debout, leur crâne est rasé et leur corps mince est simplement vêtu d'un pagne de lin blanc plissé. Les fils portent un collier bleu et tiennent dans leur main droite une grappe de raisin et dans l'autre une grande tige de papyrus. On observera que si le premier et le troisième sont désignés par leurs noms, le deuxième en revanche est resté étrangement anonyme, comme l'indique sous sa qualité de "fils" un large espace resté vide dans la colonne.
Les trois femmes (deux derrière Tjanefer et une fermant la marche) sont ravissantes. Leur perruque sombre, qui se termine par de fines tresses, est ornée d'une guirlande florale bleue, tout comme le collier qui orne leur cou. Leur robe de lin blanc, transparent laisse deviner leur anatomie. Elles tiennent également dans leur main droite une grappe de raisin (dont l'une avec des feuilles) et dans la gauche la même tige de papyrus que les frères. Le tout compose un charmant cortège, avançant par ordre décroissant de taille, et joliment rythmé par les touches florales…
Le Metropolitan Museum souligne la "superbe conservation du textile" et donne ces indications sur sa réalisation : "L'artiste a raidi et lissé sa surface avec de la huntite (un minéral d'un blanc intense), il a esquissé la scène en rouge et noir et a utilisé différentes couleurs pour compléter le schéma décoratif".
Quel était le rôle, la destination de cette pièce de lin ? Si "l'ensemble" dont elle a été détachée nous était parvenu il serait bien évidemment plus facile de l'interpréter, de le définir... mais cette information demeure inconnue…
Nigel Strudwick ("Masterpieces of Ancient Egypt") précise que : "De nombreux types d'objets votifs ont été déposés dans les temples de toute l'Égypte en tant que cadeaux exprimant la dévotion aux divinités, qui, espérait-on, favoriseraient à leur tour le donateur…"
La provenance "probable" indiquée pour cette pièce de lin par le Metropolitan Museum est la suivante : "site du temple d'Hathor à Deir el-Bahari" ; elle est entrée ensuite dans la collection de Robert de Rustafjaell en 1906".
Les travaux d'Edouard Naville (mentionnés plus haut), menés début 1906 dans le temple de Thoutmosis III ont "justement" livré "un certain nombre de tissus et autres textiles votifs (ainsi que de nombreux autres objets votifs) liés au culte ultérieur d'Hathor, pratiqué là-bas au moins à partir du Nouvel Empire" précise le British Museum qui en a acquis plusieurs. Parallèlement, la même année, le musée londonien faisait l'acquisition, auprès du Révérend Chauncey Murch (alors membre de la Mission Presbytérienne Américaine de Louxor) d'une tunique en lin, avec une image d'Hathor (EA4307)… Il n'exclut pas la possibilité "qu'elle ait pu être découverte lors d'une fouille clandestine contemporaine réalisée sur le même site"…
Ce pourrait éventuellement être le cas pour ce magnifique fragment… dont l'histoire "mouvementée" a continué à s'écrire…
Son "premier propriétaire" Robert de Rustafjaell, précise le Metropolitan, "l'a présenté chez Sotheby's à Londres en janvier 1913, puis aux Anderson Galleries, à New York en novembre-décembre 1915, où il fut acquis par G. M. Heckscher puis par le Heckscher Museum of Art, Huntington, Long Island en 1959. Il a ensuite été exposé au Dallas Museum of Art entre 1993 et 2005, puis cédé et vendu chez Christie's en 2012 à Hilary David. Il est entré dans collections du Metropolitan en 2022, grâce à un don de Liana Weindling".
marie grillot
sources :
Painted Linen Depicting the Priest Tjanefer and his Family before the Goddess Hathor
https://www.metmuseum.org/art/collection/search/591133
Gaston Maspero, Essais sur l'art égyptien, E. Guilmoto Editeur, Paris, 1912?
https://archive.org/details/essaissurlartg00maspuoft
Georges Foucart, Note de M. Naville sur ses découvertes à Deir el Bahari (Égypte), Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 50e année, N. 2, 1906. p. 110;
https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1906_num_50_2_71782
Statue de la déesse Hathor sous l'apparence d'une vache et chapelle
http://www.globalegyptianmuseum.org/record.aspx?id=15118
http://www.globalegyptianmuseum.org/record.aspx?id=15654
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William C. Hayes, The sceptre of Egypt. A background for the study of the Egyptian antiquities in the Metropolitan Museum of Art, v. II, The Hyksos period and the New Kingdom (1675-1080 B.C.), New York, 4e édition revue, 1990
https://www.metmuseum.org/art/metpublications/The_Scepter_of_Egypt_Vol_2_The_Hyksos_Period_and_the_New_Kingdom_1675_1080_BC?Tag=&title=&author=&pt=0&tc=%7bAD9356EC-5405-4B7F-8553-AE512ADC84F1%7d&dept=0&fmt=0
Géraldine Pinch, Votive offerings to Hathor, Oxford, 1993
https://www.academia.edu/3645492/_Votive_Practices_with_Geraldine_Pinch_
Fernand Schwarz, La grotte sacrée, Pharaon magazine, n° 4, http://fernand.schwarz.free.fr/IMG/pdf/Ph4_grotte_sacree_FS.pdf
Nigel Strudwick, Masterpieces of Ancient Egypt, London 2006, pp. 208-9
Christiane Desroches Noblecourt, Symboles de l'Egypte, Le Livre de Poche, 2008
Christian Leblanc, Angelo Sesana, Le Bel Occident de Thèbes, Imentet Neferet, L'Harmattan, 2022
Miniature linen tunic; painted representation of the Hathor-cow and Hieroglyphic text
https://www.britishmuseum.org/collection/object/Y_EA43071
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