Le sphinx, "entité protectrice et positive", est une statue "hybride", le plus souvent composée d'un corps de lion couché sur lequel repose une tête humaine, portrait du pharaon auquel il est dédié.
Sculpté en ronde bosse dans du calcaire celui-ci, haut de 0,87 m, large de 0,47 m et long de 1,72 m, est à l'image de Ramsès II. Le roi est coiffé du némès rayé, dont l'uraeus central et la natte terminale ont disparu. Son visage serein est d'une symétrie parfaite, avec des yeux et des lèvres bien dessinés. Le nez est mutilé alors que le menton est privé de la barbe postiche qui l'ornait. Ses épaules sont recouvertes de ce qui semble être une étoffe plissée qui laisse deviner un collier large, de type "ousekh". La musculature du félin est rendue très fidèlement. Ses pattes arrière sont repliées sous son corps et sa queue, dans un joli mouvement, revient s'enrouler autour de sa patte droite. Ses membres antérieurs tendus sont, eux, munis de mains.
Son visage et ses bras "humains", font qu'il est qualifié d'"anthroposphinx". Dans "Les voies processionnelles de Thèbes" Agnès Cabrol nous fournit ces précieuses informations : "Lorsqu’un souverain décide de pérenniser sa participation à une liturgie précise, il dispose de statues de tous types offrant de nombreux vases accessoires, dont ces anthroposphinx couchés, alors dotés de bras. Ils peuvent ainsi se consacrer à toutes sortes d’activités qui consistent le plus souvent en la présentation d'un accessoire liturgique ou celle d’une offrande"… Et elle rappelle que : "À Thèbes, l’accessoire de prédilection que présentent ces sphinx est le vase-nms.t, orné d'un bouchon figurant une tête de bélier d’Amon".
C'est typiquement le cas ici, où le bélier, l'une des hypostases - ou "manifestations" - d'Amon est représenté de façon réaliste. Même s'il a beaucoup souffert, les grands traits de sa morphologie subsistent : sa tête, de forme quasi triangulaire au chanfrein légèrement busqué, surmontée de cornes spiralées dirigées vers l'avant du museau, ses oreilles horizontales, ses yeux étirés vers le haut... Sur la panse de ce vase nemset criocéphale, "un texte fournit les noms de Ramsès dans des cartouches, ainsi que l'épithète "aimé d'Amon-Rê, roi des dieux" précise Zahi Hawass dans le "Catalogue de l'exposition Ramsès & l'or des pharaons".
Dans "L'Egypte des pharaons au musée du Caire", Jean-Pierre Corteggiani présentant un sphinx de Ramsès II à l'iconographie identique (CG 42146) apporte cette précision relative au couvercle du vase à l'image du bélier d'Amon : "Il en existait de semblables à tête de femme pour Mout et à tête de faucon pour Khonsou. Des représentations murales et des textes nous apprennent que ces ustensiles sacrés, qui étaient 'en argent, en or, en fer et en cuivre', étaient portés en procession lors des cérémonies du Nouvel An qui coïncidaient à peu près avec le début de la montée des eaux du Nil. Le cortège des prêtres quittait le temple pour se rendre jusqu'au fleuve où l'on puisait l'eau fécondante de la crue, qui ne venait, dit un hymne à Amon-Rê, que par la volonté du dieu". Ainsi, ajoute-t-il ce type de sphinx rappelle "l'importance rituelle de l'eau dans la liturgie quotidienne, mais aussi le rôle essentiel du roi dans la vie de l'Égypte puisque la crue, qui devait être ni insuffisante, ni surabondante, dépendait de lui, et qu'il avait le pouvoir d'intervenir directement auprès de 'son père Amon' pour que les eaux atteignent les seize coudées réputées idéales".
Ce sphinx provient du Grand Temple d'Amon à Karnak, dédié à la triade thébaine formée par Amon, Mout et Khonsou. Il a été trouvé par Georges Legrain et référencé K 28. Le site de l'IFAO consacré à la "Cachette de Karnak" développe longuement les difficultés rencontrées pour retrouver la date et le lieu précis de sa découverte : "Le JdF 1903-1904, 38 est la première source a fournir une information sur K28, dont l'attribution n'était pas connue jusque-là. Cette information qui apparaît dans la 2e partie de la 'Liste des statues découvertes' est toutefois extrêmement sommaire : '28. Sphinx de Ramsès'. L'absence de plus de précision plaide pour l'attribution de cet objet au plus célèbre des rois ayant porté ce nom : Ramsès II. Le JdF n'atteste aucune découverte d'un tel objet, dans ou hors de la Cachette, entre le 17/12/1903 et le 3/4/1904. Il est donc possible que cette statue ait été découverte ailleurs dans Karnak (cf. K 29, temple de Ramsès III = CK 27). Étant donné que le dernier objet de cette même liste (K 38 = CK 29) est suivi de la date du 11/2/1904, on a établi que le sphinx ne pouvait avoir été découvert après cette date. En JdF 1903-1904, 48, la liste de ce qui a été 'Envoyé par la barque Isis le 12 Mars 1904' comprend '3. Sphinx à vase - sur la panse : [copie des textes]. Cette description et les textes du vase copiés assurent qu'il s'agit bien du sphinx JE 36811, qui a été enregistré comme provenant de la 'Karnak Cachette'".
C'est le 26 décembre 1903 que, dans la cour du septième pylône, Georges Legrain découvrit cette cachette, une "favissa", profonde de 10 à 15 mètres, et emplie d'eaux d'infiltration, de laquelle seront extraites, au cours de cinq saisons consécutives, "près de 800 statues de toutes matières, pierres diverses, bois et bois pétrifié et quelque 17.000 statuettes de bronze".
Dans "Thèbes, Karnak et Louxor", Maurice Pillet s'interroge : "Quel événement contraignit les prêtres d'Amon à se défaire de ces milliers d'ex-voto, de ces centaines d'effigies royales vénérées et à quelle date eut lieu ce grand dépouillement du temple ? La question reste controversée : Maspero pense que c'est dans les années troublées du règne de Ptolémée V Epiphane (205-181 avant J.-C.), mais Legrain rapporte qu'il a trouvé, outre des monnaies et des statuettes ptolémaïques et grecques, une statue assez fruste et d'allure romaine. Faudrait-il donc reculer la date d'enfouissement de tous ces trésors jusqu'au pillage de Thèbes par les armées de Ptolémée Lathyre (84 avant J.-C.) ou même jusqu'à l'époque chrétienne et aux édits de Théodose (384-392) ?"
Dans l'interview qu'il nous avait accordée en 2016 année de la parution de son ouvrage "La Cachette de Karnak - Nouvelles perspectives sur les découvertes de Georges Legrain", Laurent Coulon, actuel directeur de l'IFAO, évoquait ainsi cette représentation : "L'une des plus expressives parmi les statues royales est celle de Ramsès II en sphinx tenant un vase coiffé d'une tête de bélier, car elle est représentative de la fonction de ces statues : elle se présente comme un monument de commémoration et d'auto-glorification, mais elle participe aussi aux rituels destinés au dieu Amon"…
Ce sphinx a été enregistré CK 680 dans le référencement de la Cachette de Karnak, puis JE 36811 au Journal des Entrées du Musée du Caire.
marie grillot
sources :
Maurice Pillet, Thèbes, Karnak et Louxor, 1928
https://archive.org/stream/Pillet1928/Pillet%2C%20Maurice%20-%20Thèbes%2C%20Karnak%20et%20Louxor%20%281928%29%20LR_djvu.txt
https://www.ifao.egnet.net/bases/cachette/
Jean-Pierre Corteggiani, L'Egypte des pharaons au musée du Caire, Hachette Paris, 1986
Marie-Ange Bonhême, Les eaux rituelles en Égypte pharaonique, Archéo-Nil Année 1995 5 pp. 129-139
Le rituel spécifique de l'eau observé au grand temple d'Amon-Rê à Kamak est celui de la procession du vase sacré d'Amon de Karnak, allant puiser l'eau du Nil pendant les fêtes du Nouvel An
Agnès Cabrol, Les voies processionnelles de Thèbes, Leuven 2001, OLA 97
Laurent Coulon, "La Cachette de Karnak - Nouvelles perspectives sur les découvertes de Georges Legrain", ouvrage collectif IFAO, 2016, 616 pages
Egypte-actualités, interview "Laurent Coulon présente l'ouvrage 'La Cachette de Karnak - Nouvelles perspectives sur les découvertes de Georges Legrain'"
https://egyptophile.blogspot.com/2016/11/laurent-coulon-presente-louvrage-la.html
Zahi Hawass, Catalogue de l'exposition Ramsès & l'or des pharaons, Laboratoriorosso, 2021, pp.146-147
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