Le 15 février 1940, dans la Nécropole Royale de Tanis, aménagée dans l'enceinte même du temple d'Amon, Pierre Montet et son équipe pénètrent dans le tombeau inviolé de Psousennès Ier. Une imposante cuve de granite rose, disposée au fond, occupe la majeure partie de cette pièce étroite. Devant elle, et tout à côté, se trouvent des coffres en bois délité contenant des ouchebtis, le squelette d'un chien, des vases d'albâtre ainsi qu'un magnifique ensemble de vaisselles précieuses… Réalisés en or ou en argent, ces vases, cuvettes, calices, verseuses, pots, coupes, patères, etc… offrent une riche variété de "récipients", profanes ou sacrés, qui sont typiques du contexte funéraire tanite. Dans "Les constructions et le tombeau de Psousennes à Tanis", l'égyptologue révèle avoir été interpellé par une présence très singulière : "L’objet qui nous avait intrigués quand, du vestibule, nous cherchions à voir le contenu du caveau, était un réchaud"…
Ce questionnement est compréhensible car ce "brasero rituel" est en effet l'un des rares modèles qui nous soit parvenu, peut-être même le seul...
Réalisé en bronze, il affiche les dimensions suivantes : une hauteur de 24 cm, une longueur de 33,5 cm et une largeur de 26,5 cm. Dans l'ouvrage cité précédemment, son découvreur le décrit ainsi sous le n° 390 : "Un réchaud. Bronze. La forme est celle d’un coffret à quatre pieds pourvu d’une corniche. L’intérieur est creux. La plaque de dessus présente quatre trous en ligne droite et huit creux sur deux rangs dont un seul est percé, peut-être accidentellement".
La présence d'un tel objet qui, à n'en pas douter, devait provenir du mobilier cultuel d'un temple, ne manque pas de soulever des interrogations, tant sur sa présence dans un contexte funéraire, que sur son mode "d'utilisation". Dans "Tanis Trésors des pharaons", Jean Yoyotte apporte cette interprétation : "Dans le caveau de Psousennès, il servait de socle au grand support à libation et Pierre Montet, se fondant sur une image même du rite de l'eau qui est dessinée sur la paroi de l'antichambre, a formulé une hypothèse séduisante : le réchaud de cuivre aurait été chargé de braises, puis coiffé du support dont la cuvette s'échauffait rapidement. L'eau de la libation, censément parfumée, aurait dégagé son parfum sous l'effet de la chaleur".
Dans le culte aux divinités, la fumigation et la libation d'eau demeurent, au fil des siècles, des rituels fondamentaux. Ainsi, les "braseros", qui empruntent différentes formes, sont très présents dans les objets liturgiques et, par là même dans leurs représentations sur les murs des temples. Par le feu qu'ils consument, par les "essences" qu'ils brûlent, par la substance odoriférante qu'ils libèrent, ils participent à la purification de l'espace divin, tout en engendrant une atmosphère "sanctifiée" propice au sentiment religieux …
Ce pouvait être de l'oliban (ânty), mais aussi de la résine de térébinthe (sonter/senetcher), de la myrrhe, du styrax,... L'encens le plus précieux était le kyphi, que "l'on brûlait à la tombée de la nuit". "Idéalement, il comportait 16 ingrédients parmi lesquels figuraient, entre autres, du vin vieux, du miel, des raisins secs épépinés, de la résine de térébinthe, de l'asphalte, de la myrrhe, du lentisque, deux espèces de genièvre et de cardamome" (Jean-Pierre Corteggiani, "L'Égypte ancienne et ses dieux")…
L'étude de ce réchaud révèle une autre dimension de son riche passé … Avant d'accompagner l'éternité de Psousennès Ier, il était associé à un moment important du règne d'un célèbre pharaon …
En effet, expliquent Henri Stierlin et Christiane Ziegler : "Les deux inscriptions symétriques qui y sont gravées montrent qu'il avait été fabriqué sous Ramsès II, environ deux siècles avant la mort du roi tanite, et plus précisément à l'occasion d'une fête sed ou jubilé du roi. Ramsès s'y affirme en effet l'aimé des divinités maîtresses des 'temples de jubilé', et particulièrement de Rê-Horakhty principal dieu de Pi-Ramsès, et du dieu terre Ptah-tatenen qui fut exalté sous Ramsès comme 'le seigneur de la fête sed', comme un parangon des longévités royales. On sait que le grand roi célébra sa première fête-sed en l'an XXX de son règne, et qu'avant son décès en l'an LXVII, il en renouvela les rites quatorze fois ! Des 'temples' spécialement affectés à ces cérémonies furent édifiés à Pi-Ramsès (comme l'atteste notamment une inscription dédicatoire conservée sur un bloc que Siamon remploya à Tanis). Il fait peu de doute que l'instrument ait fait partie du mobilier de ces édifices. Ce brasero d'un type exceptionnel à l'heure actuelle peut aussi bien avoir servi à l'holocauste de petites offrandes ou à la combustion de résines odoriférantes"…
Ainsi, lors de l'abandon de Pi-Ramsès, les statues, les stèles de la cité, tout comme les biens "cultuels" et autres richesses, ont été transportés à Tanis …
Pour Silvia Einaudi ("Les merveilles du musée égyptien du Caire") : "L'appropriation d'un objet ayant appartenu à un lointain prédécesseur était une pratique assez répandue parmi les souverains de la XXIe dynastie. Il est donc probable qu'à l'époque de Psousennès Ier, ce brasero de Ramsès II était déjà considéré comme une précieuse antiquité".
Ainsi, Psousennès Ier a-t-il pu être charmé par cet objet, témoin des heures de gloire du prestigieux souverain qui régna 66 ans sur le Double Pays au point de souhaiter qu'il l'accompagne dans sa longue éternité, lui, dont le règne avait été de 47 ans…
Daté de la XIXe dynastie, il a été enregistré au Journal des Entrées du Musée du Caire JE 85910 - SR 1/8639.
marie grillot
sources :
Oven of Ramesses the Second
http://www.globalegyptianmuseum.org/detail.aspx?id=15357
Montet Pierre, Vases sacrés et profanes du tombeau de Psousennès. In: Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot, tome 43, 1949. pp. 13-32
http://www.persee.fr/doc/piot_1148-6023_1949_num_43_1_1982
Pierre Montet, Tanis - Douze années de fouilles dans une capitale oubliée du Delta égyptien, 1942
Montet Pierre, La nécropole royale de Tanis d'après les découvertes récentes. In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 89e année, N. 4, 1945. pp. 504-517
Pierre Montet, Les constructions et le tombeau de Psousennes à Tanis (1951)
https://archive.org/stream/Montet1951/Montet%2C%20Pierre%20-%201%20Les%20constructions%20et%20le%20tombeau%20de%20Psousennes%20à%20Tanis%20%281951%29%20LR_djvu.txt
Parrot André. Pierre Montet, Les énigmes de Tanis, Syria. Tome 29 fascicule 3-4, 1952. pp. 361-362
https://www.persee.fr/doc/syria_0039-7946_1952_num_29_3_4794_t1_0361_0000_2
Georges Goyon, La découverte des trésors de Tanis, Pygmalion, 1987
Tanis l'or des pharaons, catalogue de l'exposition Paris, Galeries nationales du Grand Palais, 26 mars - 20 juillet 1987
Henri Stierlin, Christiane Ziegler, Tanis Trésors des pharaons, Seuil, 1987
Pharaons - Catalogue de l'exposition présentée à l'Institut du monde arabe à Paris, du 15 octobre 2004 au 10 avril 2005
Trésors d'Egypte - Les merveilles du musée égyptien du Caire, sous la direction de Francesco Tiradritti
Jean-Pierre Corteggiani, L'Égypte ancienne et ses dieux, 2007
Isabelle Franco, Dictionnaire de mythologie égyptienne, 2013
Memnonia, Cahier Supplémentaire Parfums, onguents et cosmétiques dans l'Egypte ancienne, ASR, Le Caire, 2003
Zahi Hawass, Catalogue de l'exposition Ramsès & l'or des pharaons, Laboratoriorosso, 2021, pp.146-147
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