"Chéops, Je suis l’éternité" par Zahi Hawass et Véronique Verneuil publié chez Orients Editions, 2023 |
Cette saga politique et familiale se déroule donc au coeur du pouvoir, vers 2600 avant J.-C… Là se croisent les destins de : Snéfrou et Hétepherès, le père et la mère ; Merititès, la sœur et épouse malheureuse ; Hemiounou le génial architecte et son collaborateur et amant Ânkhhaef ; Perniankhou le nain subtile et précieux ; Nefertiabet, icône de la mode, aussi belle qu'ambitieuse ; Rahotep, Merer, et tant d'autres qui "gravitent" avec "réalisme", sensibilité et humour … Et bien sûr, celle qui illumine autant le cœur du roi que ce roman, la belle paysanne Hénoutsen …
Les 273 pages de ce récit conjuguent avec subtilité des bases égyptologiques solides et une fiction intelligente qui fait de ces personnages que la pierre avait figés, des êtres vivants, des êtres pensants, avec leurs doutes, leurs turpitudes, leur intelligence, leurs faiblesses, et surtout, ce qui guide tous les êtres humains depuis la nuit des temps, leurs sentiments…
VV - Pour l’égyptologue les connaissances historiques et les trouvailles archéologiques sont un carcan dans lequel il doit se mouvoir. Pour le romancier c’est au contraire une source infinie d’inspiration. Chéops, le pharaon le plus illustre est en même temps un parfait inconnu, ce qui nous a laissé toute latitude pour lui inventer une vie, des pensées, une intimité, le tout à l’aune des connaissances que nous avons de la IV° dynastie, c’est-à-dire en restant fidèle à l’esprit du temps d’il y a 4600 ans. Il est d’un côté le bâtisseur de la seule merveille du monde encore debout, le pharaon qui dans sa titulature est nommé "Maître de la connaissance", celui qui a joui d’un culte posthume pendant des décennies et de l’autre un monarque vilipendé par la tradition grecque (Hérodote) qui en a fait un mégalomane et un proxénète, abîmé aussi par la tradition égyptienne qui dans le Papyrus Westcar le dépeint comme un roi cruel qui est prêt à faire tuer un prisonnier pour son seul amusement. Voilà une personnalité intéressante ! Qui était-il vraiment ? Un tyran ? Un visionnaire ? Un sage ? Comment a-t-il fédéré son pays pendant 30 ans autour de la construction de son complexe funéraire dont la célébrissime pyramide ne constitue qu’une infime partie ?
On dit souvent que derrière un grand homme il y a une femme. Qui était-elle ? Nous nous sommes emparés du personnage de Hénoutsen qui a réellement existé. Son nom signifie : "leur servante". La servante de qui ? Nous en avons fait une Evita Peron de l’antiquité, une personne issue de la classe paysanne qui sera toute sa vie animée du désir d’améliorer les conditions de vie et de travail, les conditions, même d’inhumation, des classes sociales inférieures.
Chéops et Hénoutsen : les deux pivots de notre histoire.
Il a suffi de faire graviter autour d’eux toute une galerie de personnages que nous avons voulu réels. C’est toute une société que nous avons souhaité faire revivre. Nous nous sommes inspirés des études économiques et sociales de Juan Carlos Moreno Garcia, mais aussi des études de Pierre Tallet, le découvreur des papyri de la mer Rouge ainsi que du livre co-écrit récemment, en anglais, sur Giza par Zahi Hawass et Mark Lehner (Giza and the pyramids).
Nous nous sommes nourris des textes de Sagesses, d’Enseignements, des romans et des contes et de la subtile poésie égyptienne, même si ces écrits sont postérieurs au règne de Chéops, pour insuffler des sentiments à nos personnages.
Nous avons puisé dans l’abondante statuaire de l’époque, souvent hyperréaliste. Perniankhou, le nain de compagnie, Intichédou le charpentier ont été découverts par Zahi Hawass. Snéfrou, Hemiounou, Ânkhaef, Nefertiabet, Rahotep, Djedefrê, Khafrê sont des incontournables de la IV° dynastie. Nous les avons incarnés et dotés de parole. Ils témoignent tous à la personne de ce que fut leur existence. Ils sont bien vivants parce qu’ils doutent, parce qu’ils aiment, parce qu’ils se racontent avec humour, dureté ou indulgence.
Nous avons voulu montrer combien ces hommes et ces femmes étaient proches de nous, sans pécher par anachronisme.
Quant à l’apprentissage politique du roi, nous savons que Chéops est monté tardivement sur le trône. Il a donc eu tout le temps d’être formaté par son père Snéfrou et par sa mère Hétepherès. C’est un animal politique. Mais de la même façon qu’il va surpasser son père le plus grand constructeur avec 4 pyramides, en bâtissant la pyramide la plus majestueuse et la plus haute qui intégrera toutes les connaissances architecturales de l’époque plus des innovations comme la voûte à chevrons, de même, il va le surpasser par son ingéniosité politique en organisant sa propagande. Le problème pour le pharaon égyptien était toujours d’assurer l’équilibre du pays donc du cosmos en respectant l’harmonie générale : la Maât. Faire du grandiose sans être mégalomane. Ordonner sans être tyrannique. Tout est question de mesure et donc d’habileté politique. C’est pourquoi nous avons accordé une importance toute particulière au personnage de Djédi qui est connu dans la tradition littéraire égyptienne comme étant un magicien. Nous en avons fait aussi un coach politique car il y a de la magie finalement à savoir régner en manipulant les foules et en écartant ses adversaires. Effectivement, si on lit entre les lignes, on trouvera dans ce roman un traité de rhétorique et un traité politique. L’idée défendue étant celle d’un peuple respecté, entretenu et choyé pour plus de productivité.
Quant aux courtisans et aux courtisanes, il nous a semblé que ceux du temps de Chéops étaient mus par les mêmes ambitions et la même avidité que ceux de Versailles ou de l’Élysée…
"Chéops, Je suis l’éternité", publié chez Orients Editions, 2023 est co-écrit par Véronique Verneuil et Zahi Hawass |
En ce qui concerne les opposants politiques au pharaon pourtant tout puissant, nous avons extrapolé à partir de ce que nous enseigne l’histoire de la fin de la IV° dynastie et du début de la V° dynastie ainsi que le Papyrus Westcar qui prédit l’avènement d’un pharaon, fils d’un grand prêtre de Ré. Nous avons imaginé qu’il y avait déjà des prémices sous le règne de Chéops avec d’un côté les ambitions théocratiques du clergé de Ré (comme plus tard le clergé d’Amon) et de l’autre un contre-pouvoir provincial en la personne des nomarques, gouverneurs des régions qui finirent par se comporter comme des roitelets à la fin de l’Ancien Empire.
MG-EA : La construction de la pyramide occupe une place majeure de ce récit. Vous imaginez ainsi le dialogue entre Chéops et son architecte Hemiounou : "Je surpasserai mon père non pas en quantité puisqu’il a construit à lui seul quatre pyramides mais en qualité. Le monument que tu m’élèveras devra être le plus haut, et le plus complexe jamais imaginé". N'est-ce pas… facile d'avoir une vision prémonitoire lorsqu'elle est… avérée ?
VV : Oui, la construction de la pyramide occupe une place majeure dans notre récit car elle est liée au devenir post mortem du pharaon et à sa divinisation. La pyramide fait partie d’un complexe funéraire qui est une énorme machinerie magico-religieuse qui va seule permettre au roi défunt de monter au ciel s’unir à son père Ré, le soleil et en même temps aux étoiles du Nord, les Impérissables, qui ne disparaissent jamais.
La Grande Pyramide qui est la seule merveille du monde encore debout est l’image même du règne de Chéops. Elle se nomme l’Horizon de Chéops, là où il va se lever et se coucher chaque jour, tel le soleil. L’obsession de tout le règne de Chéops sera de rendre sa pyramide inviolable. A défaut, sa chambre funéraire inviolable. Car il est avéré que les Égyptiens, les plus religieux de tous les hommes, étaient aussi les plus grands voleurs. Les tombes étaient pillées peu de temps après les enterrements, sans doute par ceux qui les avaient construites. A l’époque de Chéops, la tombe de sa mère a été pillée et il a fait procéder à une ré-inhumation. Nous n’avons rien inventé. Si nous avons tenu à la version du mystère qui voudrait que la chambre funéraire que l’on visite aujourd’hui, ne soit pas la véritable chambre, nous ne nous sommes pas engagés à révéler le lieu où le pharaon aurait pu être enterré. Parce que nous sommes persuadés, comme Chéops, que le mystère est plus important que sa résolution. Seule la mission scientifique ScanPyramids qui vient de révéler la photo d’un petit corridor de 9 m, placé au-dessus de l’entrée originelle de la pyramide et avec une voûte à chevrons, a relancé le débat et la quête, peut-être au sein du monument, du trésor caché de Chéops.
MG-EA : La vie de Chéops sera bouleversée par sa rencontre furtive, sur le marché d'Ineb-Hedj, avec Hénoutsen, une ravissante vendeuse de fruits et légumes. Ne pouvant la retrouver, il se pense malade… en fait il est tout simplement "en manque" d'elle … Et là vous excellez à raconter ce sentiment amoureux et comment il change la vision des choses
VV : La rencontre de Chéops et de Hénoutsen était inévitable. Comment écrire un péplum populaire sans une magnifique histoire d’amour ?
Nous avons juste inventé un tandem improbable entre un pharaon et une paysanne.
Ce fut aussi pour nous l’occasion de relire la poésie amoureuse du temps des pharaons, postérieure dans sa documentation, encore une fois, au règne de Chéops. La chanson que fredonne Hénoutsen n’est autre qu’un extrait du Vase de Deir el-Medineh.
Le poème que découvre Chéops dans sa bibliothèque et qui lui donne la clé de tous les maux dont il souffre, est un authentique poème du Nouvel Empire.
Notre couple est complémentaire : Chéops ne sait pas aimer et Hénoutsen aime trop.
Chéops, en animal politique, va s’inspirer de l’empathie de son épouse, celle que l’on nomme "la princesse des cœurs" pour séduire et attendrir son peuple.
C’est aussi uniquement parce qu’il est amoureux que Chéops transgresse les codes de la cour. Il déménage et quitte Ineb-Hedj pour aller s’installer sur le plateau de Giza dans un nouveau palais et une nouvelle ville au pied de son futur monument d’éternité. C’est une rupture politique importante. C’est aller se positionner face à Héliopolis, la ville du dieu Ré où un contre-pouvoir a commencé à naître. C’est un choix politique en apparence. En réalité un choix amoureux pour vivre comme un bourgeois, loin de la pesante étiquette royale avec la femme qu’il aime.
Véronique Verneuil et Zahi Hawass, co-auteurs de "Chéops, Je suis l’éternité" |
Nous sommes pourtant amis depuis de longues années.
Je savais que Zahi voulait depuis longtemps écrire un livre sur Chéops, son pharaon favori. Mais c’était impossible d’écrire une biographie historique puisque nous ne possédons presqu’aucun document sur son règne.
Restait donc le roman. Dépoussiérer le genre du péplum, un péplum toutefois nourri d’archéologie et d’histoire, voilà ce que nous nous sommes mis dans l’idée de faire. Avec aussi certaines arrière-pensées cinématographiques : Chéops serait un Gladiator !
Pour que notre tandem fonctionne, j’ai fait plusieurs séjours au Caire pour mettre sur pied le roman. Nous avons travaillé ensemble dans le bureau de Zahi Hawass à Mohandisseen, au Caire, bureau souvent envahi de visiteurs, journalistes, photographes ou égyptologues. Zahi Hawass est arabophone et anglophone. Nous communiquons en anglais . Ce qui, je l’espère m’aura aussi permis de progresser dans cette langue.
Nous écrivons chacun de notre côté. Nous mélangeons, nous améliorons, nous jetons. Une fois les grandes lignes du récit retenues, nous avons correspondu par mails. C’est finalement amusant et instructif de mêler des points de vue masculins et féminins. C’est important pour la construction des personnages. Comme vous l’avez constaté, ils sont nombreux, comme si au fil du temps ils étaient venus nous supplier de les faire rentrer dans notre péplum. De les immortaliser à nouveau !
Nous avons commencé à écrire les mémoires de Chéops, des mémoires d’Outre-Tombe.
C’était un discours uniforme à la première personne mais pas assez varié ni dynamique.
C’est alors que nous est venu cette idée d’écrire un roman choral où tous les personnages parleraient à la première personne, comme des témoins que l’on aurait interrogés. J’ignore si quelqu’un a déjà utilisé ce procédé, mais cela donne véritablement un coup de fouet au texte et permet certaines ellipses. Car il aurait été assommant de raconter par le menu 30 ans de construction sur le plateau de Giza.
Zahi Hawass avait à cœur de faire revivre l’École d’art de Giza, un peu comme les ateliers de la Renaissance et de faire comprendre au lecteur que Chéops avait régné depuis Giza comme un Louis XIV depuis Versailles. Moi je voulais que notre héros soit sympathique. C’est pourquoi nous l’avons fait douter. C’est pourquoi nous l’avons représenté terrassé par le sentiment amoureux. C’est pourquoi nous avons souhaité écrire une histoire d’amour qui soit immortelle, comme la pyramide…
propos recueillis par marie grillot pour Egypte-actualités & egyptophile
Les auteurs :
Pendant plus de trente ans, Zahi Hawass a fouillé le plateau de Giza. Il a découvert le village et la nécropole des bâtisseurs de la Grande Pyramide, prouvant qu’il s’agissait d’hommes libres et d’ouvriers spécialisés, organisés selon une hiérarchie et une logistique exemplaires.
Après des études d’égyptologie à l’Université de Genève et à l’école Pratique des Hautes Etudes à Paris, Véronique Verneuil s’est établie au Caire puis à Damas, villes où elle s’est spécialisée dans la réhabili- tation de bâtiments anciens. Elle vit depuis 10 ans à Marrakech et se consacre désormais à l’écriture.
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