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Ils sont quarante hommes, quarante archers nubiens, qui avancent en rangs serrés de quatre, sur dix lignes, prêts à affronter l'ennemi. Ils vont pieds nus, leur pas est décidé et, on l'imagine, rapide. Leur regard est attentif et vigilant, presque féroce pour certains. Sans "protections" de corps, armés simplement d'arcs et de flèches en bois, ils affichent leur force et leur puissance, unis pour la cause qu'ils doivent défendre ou le territoire qu'ils doivent protéger…
Une armée est en marche…
Gaston Maspero dans son "Guide du visiteur au Musée du Caire" 1902, décrit ainsi ces soldats nubiens : "Ils ont tous la grosse perruque ajustée à la tête par un ruban, et autour des reins le pagne très court, tantôt jaune, tantôt rouge, uni ou semé de losanges bleu clair, fixé à la taille par une ceinture rouge ou bleue ou bariolée de couleurs diverses, comme si elle était brodée ou décorée de verroteries : le tablier étroit de cuir rouge, avec une bande de losanges bleus, est plus long que le tablier de la grosse infanterie. Aucun d'eux n'a ni bouclier, ni poignard, mais ils tiennent l'arc à la main gauche, et, dans la main droite, un paquet de quatre à six flèches à pointe coupante de silex".
L'artisan du Moyen Empire qui a réalisé cette importante maquette en bois, de 1,90 m de long, 0,72 m de large et 0,55 m de hauteur, a eu ce talent merveilleux de traduire une "unité" dans le mouvement tout en concédant, à chaque "personnage", un caractère individuel et unique.
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Sculptés avec réalisme, les corps sont énergiques, musclés ; ils révèlent des différences de taille ou de corpulence. De même la diversité de couleur des pagnes, la présence ou non d'un collier ou d'un bracelet de cheville, sont autant de détails qui les distinguent individuellement. Leur visage sombre, au nez épaté et aux lèvres charnues, est animé par de grands yeux dont l'iris et la pupille noirs ressortent vivement sur la cornée colorée de blanc.
Cette maquette provient de Moyenne-Egypte, plus précisément de la nécropole d'Assiout. "La 'Saout' de l'antiquité fut la capitale du XIIIe nome ("Nome supérieur du Sycomore"). Sa nécropole s'étend : "dans la falaise qui longe la Vallée du Nil, là où la pierre stratifiée horizontalement est de qualité particulièrement bonne" précise Dietrich Wildung dans son ouvrage "Le Moyen Empire".
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Selon Gaston Maspero, "Masahiti" était "un grand chef militaire de la XIe ou de la XIIe (dynastie), prince de Siout". Le Porter & Moss présente "Mesehti" comme étant : "Maire, Chancelier du roi de Basse-Égypte, Lecteur, Surveillant des prophètes. Dyn. IX ou X".
Un personnage important donc, qui pour son au-delà, souhaitait être entouré de militaires. "On sait que pendant la période de désordre, les chefs de nomes devenus indépendants, entraînaient aux armes leurs jeunes sujets et recrutaient des auxiliaires étrangers pour leur compte personnel. Ainsi, ce prince d’Assiout s’était fait accompagner dans sa tombe de soldats de bois, qui ne sont qu’une transposition en ronde bosse des compagnies d’archers et de piquiers, autrement représentées sur les murs des tombes" précisent Mohamed Saleh et Hourig Sourouzian dans leur "Catalogue officiel du Musée Egyptien du Caire".
On ne peut que s'interroger sur ce besoin de "protection militaire" pour le défunt… Dans "Les merveilles du musée égyptien du Caire", Rosanna Pirelli émet cette fort intéressante analyse : "La présence de modèles de troupes armées dans les tombes de cette période reflète assurément de nouveaux équilibres sociaux et politiques, marqués par le pouvoir et l'autonomie de princes locaux qui ressentent la nécessité d'introduire des éléments iconographiques nouveaux dans la représentation qu'ils veulent donner d'eux-mêmes et de leur statut".
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Si l'année de mise au jour de cette tombe - 1893 - est indiquée dans les ouvrages, il a été par contre bien difficile d'en retrouver le "découvreur". L'information en est donnée dans une note de bas de page de l'ouvrage "Une campagne de fouilles dans la nécropole d'Assiout" d'Emile Chassinat (qui fouilla le site, en 1903 avec Charles Palanque), qui indique que : "Cette découverte est due aux fouilles faites par des indigènes". Et il ajoute, fataliste : "En effet, bien que la nécropole d’Assiout ait été pillée à mainte reprise, ce qui en est sorti est fort peu connu et a rarement pris le chemin des musées".
Mais cette maquette - on ne sait précisément comment - a bien rejoint le Musée du Caire, et ce avant l'année 1902, puisqu'elle figure, comme nous l'avons cité, au "Guide" de Maspero sous le numéro 1338. Elle a ensuite été enregistrée au Journal des Entrées JE 30969 et au Catalogue Général : CG 257.
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Elle était accompagnée d'un autre "modèle", composé de façon très ressemblante, mais avec des militaires "égyptiens" armés de lances et de boucliers (JE 30968 - CG 258).
Ses deux maquettes sont précieuses : elles constituent en effet un témoignage aussi intéressant que rare de ce que pouvaient être les "forces armées" d'un nome au Moyen Empire.
marie grillot
sources :
Model of Nubian Archers from the Tomb of Mesehti - JE 30969
https://www.globalegyptianmuseum.org/record.aspx?id=15304
Model of Soldiers of Mesehti, Egyptian Pikemen - JE 30968
https://www.globalegyptianmuseum.org/record.aspx?id=15302
Guide du visiteur au Musée du Caire, Gaston Maspero, 1915
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6572454w/f29.item.r=bracelet.texteImage#
Trésors d'Egypte - Les merveilles du musée égyptien du Caire, Francesco Tiradritti
The Egyptian Museum in Cairo, Abeer El-Shahawy, Matḥaf al-Miṣrī
Catalogue officiel Musée Egyptien du Caire, Mohamed Saleh, Hourig Sourouzian, Verlag Philippe von Zabern, 1997
L'âge d'or de l'Egypte - Le Moyen Empire, Dietrich Wildung
Une campagne de fouilles dans la nécropole d'Assiout, Emile Chassinat, IFAO, 1911
https://archive.org/stream/MIFAO24/MIFAO%2024%20Chassinat,%20Émile%20Gaston%20-%20Une%20campagne%20de%20fouilles%20dans%20la%20nécropole%20d'Assiout%20(1911)%20LR_djvu.txt
Topographical Bibliography of Ancient Egyptian Hieroglyphic Texts, Reliefs, and Paintings - IV. - Lower and Middle Egypt (Delta And Cairo To Asyut), by the Late Bertha Porter and Rosalind l. B. Moss, Griffith Institute Ashmolean Museum Oxford, 1934
http://www.griffith.ox.ac.uk/topbib/pdf/pm4.pdf
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