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Elle est ravissante, tellement féminine avec son visage à la forme parfaite, ses grands yeux étirés, son nez fin et droit et ses lèvres charnues…
Et sa coiffure imposante est une pure merveille : des tresses savamment travaillées dont l'arrangement a dû prendre des heures, et qui sont séparées, disciplinées, par un double ruban central avant de retomber sur les épaules dans un équilibre parfait …
Son cou est fin ; un léger vêtement découvre - ou recouvre - sa poitrine délicate. Dans sa main gauche, elle tient une tige de lotus dont le bouton s'épanouit entre ses seins.
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Cette statuette est sculptée dans un calcaire d'un blanc pur et l'on ne peut que regretter qu'elle soit brisée, ne nous offrant que ce fragment de 30 cm de haut, nous privant à jamais du plaisir de voir, en entier, cette charmante thébaine du Nouvel Empire…
Gaston Maspero se montre totalement admiratif de cette pièce, entrée au musée du Caire, en 1903, sous le numéro JE 36550. Il lui consacre les pages 225 à 231 de son ouvrage "Essais sur l'art égyptien", dont deux photographies pleine page, l'une de face l'autre de profil. Cette étude, sera d'ailleurs reprise dans "La Revue de I'Art ancien et moderne, 1905, t. XVII"… Une consécration…
"Elle est du type égyptien le plus pur, non pas le type lourd et brutal qui prédomine à l'âge memphite et chez les fellahs d'aujourd'hui, mais un type élégant et doux, dont les statuettes de toutes les époques nous fournissent des exemples nombreux" écrit-il…
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Et il se montre lyrique dans la description de son visage : "Vu de face, il est rond et plein, sans surabondance ni mollesse des chairs : c'est la bonne petite bourgeoise de Thèbes, jolie, mais vulgaire de facture et d'expression. Vu de côté, entre les marteaux de sa perruque, comme entre deux longues anglaises qui retombent sur les épaules, il prend soudain une finesse malicieuse et mutine, qu'on ne connaît pas d'ordinaire aux Egyptiennes : on dirait une de nos contemporaines, coiffée et parée à l'antique par caprice ou par recherche de coquetterie".
Charles Boreux, qui fut à la tête du Département des Antiquités Égyptiennes du Louvre 1926 à 1940, lui aussi sous le charme, évoque : "ses yeux fendus en amande, et relevés obliquement vers les tempes directement empruntés à l'iconographie traditionnelle d'Aménophis I, et surtout le demi-sourire qui pare souvent d'une sorte d'attrait mystérieux les effigies de ce roi, anime aussi ce visage énigmatique, au charme délicat et un peu morbide, que l'échafaudage compliqué de la perruque aux boucles en zigzag ne parvient pas à alourdir".
Il en va de même pour André Malraux qui la "nommera" dans la première édition (1946) de son ouvrage "Le Musée Imaginaire"…
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Cette statuette a été découverte par les équipes de Sir Robert Ludwig Mond, chimiste de grand renom qui, suite à une rencontre en 1896 à Londres avec Percy Edward Newberry, se passionnera pour l'égyptologie. Dès 1899, il obtiendra une concession dans la nécropole thébaine avec, pour objectif : "de déblayer et de restaurer autant qu'il le pourra les tombes thébaines, oeuvre urgente alors".
C'est près de la tombe de Menna (TT 69) que ses ouvriers "dégagèrent ce buste brisé de femme."
Gaston Maspero relate ainsi les faits : "Les déblaiements entrepris par M. Mond au versant oriental des monticules de Cheikh-Abd-el-Gournah, dans l'un des plus riches, entre les cimetières thébains de la XVIIIe et de la XIXe dynastie, ont valu déjà plusieurs monuments précieux au Service des Antiquités ; ils ne lui ont rien rendu qui surpasse, ni même qui égale ce fragment... La statuette d'où il provient a été rompue par le milieu. Les hanches et les jambes ont disparu, aussi le bras droit et la plinthe à laquelle le dos s'appuyait, et c'est en vain que M. Mond s'est acharné à les rechercher parmi les résidus de sa fouille ; il ne les a pas trouvées, et sans doute les pièces en ont-elles été détruites dès l'antiquité ou emportées par quelque amateur au cours du XIXe siècle"....
Ce sont précisément ces constatations qui : "mirent la puce à l’oreille des conservateurs qui succédèrent à Maspero".
Jean-Jacques Fiechter qui consacre un passionnant ouvrage aux "Faussaires d'Egypte" nous dévoile une autre facette de l'histoire : La belle thébaine, n'est pas celle que nous pensons…
En effet explique-t-il : "Les circonstances de la découverte de ce buste auraient dû logiquement exclure tout doute sur son authenticité. Cependant, des bruits, des rumeurs couraient. On racontait dans les milieux archéologiques que cette statue avait été fabriquée à Gournah et implantée dans le chantier entrepris par Mond par ses ouvriers, qui craignaient que l'homme anglais n'abandonnât ses fouilles s'il continuait à ne rien découvrir d'intéressant"…
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"Néanmoins, l’œuvre était plaisante et resta en exposition, avec, paraît-il, une étiquette formulant certaines réserves, jusqu’à tout récemment. En 1934, Ahmed Fakhry, inspecteur des antiquités de Louqsor de 1932-1936 avait recueilli les confidences d’un des ouvriers de Gournah qui lui avoua avoir participé à cette duperie"... Dans les notes qu'il a laissées, il livre par ailleurs cette autre explication : "Il arrivait du reste aux ouvriers, poussés par l’habitude qu'avaient certains fouilleurs de Haute-Egypte de récompenser les trouvailles, d’implanter de fausses antiquités dans les chantiers, pratique, on en conviendra, fort problématique quand il s’agit d’une belle pièce à laquelle est ainsi conférée un pedigree impeccable"…
Qu'est-elle devenue ensuite ? Le Docteur Mohamed Saleh, qui a dirigé le Musée Égyptien du Caire, que nous avons consulté l'année dernière, avait alors bien voulu nous répondre que : "Cette sculpture était désormais conservée dans l'un des magasins du Musée Égyptien de Tahrir et que les échanges qu'il avait eus, il y a bien des années avec feu le Professeur Henry G. Fischer, avaient confirmé l'expertise qu'il s'agissait bien là d'un faux …"
Et si, en conclusion, l'on peut interpréter cette "pseudo-découverte" comme une duperie conjuguée à une légère pointe d'immoralité, n'y a-t-il pas lieu, aussi, d'être admiratifs des faussaires de Gournah qui ont réalisé une œuvre digne des artistes de pharaon, et d'un rendu si parfait qu'ils ont réussi à tromper les plus grands experts ?
marie grillot
sources :
Essais sur l'art égyptien, Gaston Maspero, 1912, publié chez E. Guilmoto
https://archive.org/details/essaissurlartg00maspuoft
La Revue de I' Art ancien et moderne, 1905, t. XVII, p. 403.
Faussaires d'Egypte, Jean-Jacques Flechter, Flammarion, 2009
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