Avec sa silhouette lourde et son apparence, il faut bien le reconnaître, un peu monstrueuse, elle est bien loin de l'image que l'on peut avoir d'une déesse "protectrice"… Il nous faut adopter un autre raisonnement, une toute autre lecture. C'est justement cette image menaçante qui est, comme l'explique le Metropolitan Museum of Art de New York "destinée à effrayer les démons et autres créatures mortelles". Thouéris (Taourèt - Taweret) est ainsi présentée par Isabelle Franco dans son "Dictionnaire de mythologie égyptienne" : "Entité féminine dont le nom signifie simplement la 'Grande', épithète qui peut qualifier n’importe quelle déesse et désigner la couronne royale. Ses représentations les plus fréquentes figurent sous la forme d’un hippopotame gravide, auquel sont ajoutés un dos de crocodile et des pattes de lion. Mère du roi et des défunts, Taourèt incarne toutes les fonctions de fertilité et de reproduction dévolues aux déesses en général".
Ainsi son rôle "premier" est-il de protéger la femme pendant les mois de grossesse, au moment de l'accouchement, puis au cours de la phase d'allaitement, cette protection s'étendant également au nourrisson.
De ce fait, elle fut, en Egypte, une déesse "populaire", vénérée de l'Ancien Empire aux époques tardives. Gaston Maspero ("Guide du visiteur au Musée du Caire", 1915) précise d'ailleurs que : "Les Thébains de l'époque saïte et ptolémaïque entretenaient à son égard une vénération particulière ; un de ses temples, datant des Ptolémées, existe encore presque intact à l'ouest de celui de Khonsou à Karnak".
Ses représentations sont de tailles diverses : elles peuvent tout aussi bien être imposantes, comme celle de schiste vert du Musée égyptien du Caire (CG 39194) qui mesure près d'un mètre, ou bien prendre la forme d'une amulette de quelques centimètres…
Cette Thouéris est, elle, haute de 11 cm et large d'un peu plus de 3 cm. Elle est en faïence vitreuse : "La couleur bleu pâle de la glaçure aide à attribuer une date de période ptolémaïque". Son exécution est très soignée, proche de la perfection. Ainsi le Metropolitan précise : "Bien que Taweret ait été vénérée à la fois dans un cadre profane et sacré, l'état presque parfait de cette statuette, son savoir-faire exceptionnel, sa taille et son iconographie suggèrent qu'elle a été créée pour un temple - peut-être pour un 'mammisi' où cette déesse était liée à Isis."
Pour James Allen ("Taweret in the Art of Medicine in Ancient Egypt") : "Elle aurait pu être offerte en cadeau à une femme enceinte ou présentée dans un temple pour invoquer l’aide de Taweret à une naissance réussie".
La déesse est représentée debout, dressée sur ses courtes pattes de lion. Ses longs bras "humains", qui se terminent également par des pattes léonines, reposent sur le signe hiéroglyphique "sa". Il s'agit là d'une amulette de protection qui s'apparente à "une natte de papyrus que l'on a roulée et, malgré la relative rigidité du matériau, pliée de façon à former une grande boucle dont les extrémités jointives sont ligaturées" précise Jean-Pierre Corteggiani. Il ajoute par ailleurs que : "C'est pour affirmer leur caractère de déesses protectrices que Thouéris et Ipet sont représentées appuyant chacune de leurs pattes antérieures sur un signe sa".
Sa tête plate, épaisse et allongée, est celle d'un hippopotame. Elle porte une perruque tripartite dont la masse la plus imposante, rejetée en arrière, se termine par une queue de crocodile descendant jusqu'aux pattes. Une partie de la coiffe qui la surmontait est manquante : "Le petit élément cylindrique sur sa tête supportait probablement une couronne métallique en forme de disque solaire, surmontée soit de plumes, soit de cornes" (Metropolitan).
Ses oreilles, anormalement petites, se trouvent curieusement juste derrière ses yeux, en constituant presque un prolongement. Sa gueule entrouverte laisse voir ses dents menaçantes…
Son corps est flasque et bedonnant avec des mamelles pendantes. A cet aspect peu esthétique se joint l'étonnement de voir "debout" un animal "composite" qui normalement devrait s'appuyer sur ses quatre pattes…
Dans "Taweret" : une déesse égyptienne non traditionnelle", Candace A. Reilly émet cette analyse : "La plupart des chercheurs suggèrent que Taweret est enceinte, ce qui ajoute à son symbolisme en tant que protectrice de la grossesse ; cependant pour ma part, je pense que les figurines de Taweret ne la représentent pas encore enceinte mais avec un abdomen gonflé pour identifier justement la forme féminine qui est capable de le devenir, c'est-à-dire d'être fertile".
Cette pièce est entrée au Metropolitan Museum of Art de New York en 1926, sous la référence 26.7.1291. En effet, grâce à la générosité de Sir Edward S. Harkness, le musée a pu, en 1926 et pour la somme de $ 145.000, se porter acquéreur auprès de Lady Carnarvon, de la collection constituée par son défunt mari, dans laquelle elle se trouvait.
Elle avait d'ailleurs figuré sous le n° 21 du "Catalogue of an Exhibition of Ancient Egyptian Art, London, 1922" sous l'intitulé : "FIGURE DE THOUERIS, fine pâte vitreuse bleue", en tant que prêt de Lord Carnarvon. Aucune indication de provenance n'était alors indiquée… Le Musée a vraisemblablement eu accès à certaines informations car il indique que Lord Carnarvon l'avait acquise au Caire et qu'elle était censée provenir : "From Egypt, Northern Upper Egypt, Qena area".
marie grillot
sources :
Statuette of the Goddess Taweret, Glassy faience
https://www.metmuseum.org/art/collection/search/544864?searchField=All&sortBy=Relevance&ft=goddess+egypt&offset=0&rpp=20&pos=8
Gaston Maspero, Guide du visiteur au Musée du Caire, IFAO, Le Caire, 1915
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6572454w/f29.item.r=bracelet.texteImage#
Percy Edward Newberry, Harry Reginald Hall, Catalogue of an Exhibition of Ancient Egyptian Art, London, Burlington Fine Arts Club, 1922, n° 26
https://archive.org/details/catalogueofexhib00burlrich
John Cooney, Glass Sculpture in Ancient Egypt, Journal of Glass Studies, 2, 1960, pp. 29-30, fig. 22
Jean-Pierre Corteggiani, L'Egypte des pharaons au musée du Caire, Hachette Paris, 1986
Isabelle Franco, Dictionnaire de mythologie égyptienne, Pygmalion, 1999
Diana Craig Patch, Ars Vitraria : Glass in the Metropolitan Museum of Art, The Metropolitan Museum of Art Bulletin, new ser., vol. 59, no. 1 Summer 2001, New York, p. 15
James P Allen, Taweret, The Art of Medicine in Ancient Egypt, edited by James P. Allen and David T. Mininberg, New York, The Metropolitan Museum of Art, 2005, p. 32, no. 25
Jean-Pierre Corteggiani, L'Egypte ancienne et ses dieux, Fayard, 2007
Candace A. Reilly, Taweret, An Untraditional Egyptian Goddess, vol. 3 N0 08, 2011
http://www.inquiriesjournal.com/articles/556/taweret-an-untraditional-egyptian-goddess?fbclid=IwAR1C9U44mCiePKS6dy5HNLhSNi5QHegR7T-BvVD1oCFK0a1bwiF7SqNstj0
Peter Lacovara, The World of Ancient Egypt : A Daily Life Encyclopedia, 2 volumes, ABC Clio, 2016
https://books.google.fr/books?id=G7VQDQAAQBAJ&pg=PA152&dq=Statuette+of+the+Goddess+Taweret&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwj13LHav57uAhUizIUKHbkzDVcQ6AEwAHoECAYQAg
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