Dans le culte aux divinités de l'époque pharaonique, la fumigation est, avec la libation d'eau, l'un des rituels de purification les plus importants de la liturgie. Supposé être une "émission du corps d'Osiris", l'encens avait notamment pour fonction de donner ou redonner vie aux défunts.
Il s'agissait cependant d'un produit fort rare en Égypte et l'on se souvient de l'expédition, menée au lointain Pays de Pount, par la reine Hatshepsout pour en rapporter, en l'an 9 de son règne, les précieux arbres le produisant.
Ce pouvait être comme dans ce cas précis, de l'oliban, mais aussi de la térébinthe, de la myrrhe, ou du styrax... Mais le plus recherché, le plus prisé, était le kyphi, produit par un mélange de 10 à 50 substances. "Idéalement, il comportait 16 ingrédients parmi lesquels figuraient, entre autres, du vin vieux, du miel, des raisins secs épépinés, de la résine de térébinthe, de l'asphalte, de la myrrhe, du lentisque, deux espèces de genièvre et de cardamome." (Jean-Pierre Corteggiani, L'Égypte ancienne et ses dieux).
Des "ustensiles" spéciaux étaient dédiés à la combustion ou au "brûlage" de ces précieux "ingrédients" Ainsi, peu à peu, aux cassolettes ont succédé les encensoirs ou "Bras d'Horus", ou bien encore les braseros, dans lesquels brûlaient des boulettes de résines odoriférantes…
C'est à l'époque grecque - même si parfois on lui attribue plutôt une origine moyen-orientale - que l'ont vit apparaître en Egypte ce genre d' "autel à cornes" ou "à acrotères" qui, par la suite comme le précise le Musée du Louvre, se propagera : "dans tout l’Empire romain, grâce à la diffusion du culte d’Isis et de Sarapis".
L'usage de l'encens s'étant pour ainsi dire "démocratisé", on l'utilisa pour le parfum du corps, mais aussi pour un usage "domestique" … Ainsi brûlait-il pour que la demeure sente bon, pour qu'elle soit purifiée ou bien encore protégée contre les serpents ou les scorpions. L'offrande de l'encens était également dédiée aux défunts.
Ce petit autel à cornes en terre cuite, que l'on peut assimiler à un brûle-parfum portatif, est haut de 15 cm et large de 12 cm. La notice du Musée du Louvre, rédigée par Marie France Aubert, le décrit ainsi : "De section carrée, le petit autel est massif et trapu. Le foyer est rempli d’une substance dure et compacte gris foncé. La polychromie est bien conservée : des bandes rouges, grises et vertes à la partie supérieure et des écailles imbriquées à la partie centrale. Ce type d’autel, destiné au culte funéraire ou, plus rarement, domestique, servait à brûler encens ou aromates. Des échancrures rectangulaires découpent la base évasée. Un double tore prononcé délimite la partie centrale. Le couronnement de la partie supérieure est caractérisé par quatre pointes, correspondant aux angles, reliées par une ligne incurvée. Le tout est souligné par une moulure adoucie. Le centre est creusé en cuvette formant le foyer où sont conservés les restes carbonisés d’encens ou de produits aromatiques".
Il se trouve au Louvre (E 12385) ; daté du IIIe siècle, il a été découvert par Albert Gayet, en 1805 dans la nécropole d'Antinoé.
Autre modèle d'autel brûle encens - Altar incense-burner - calcaire - 300BC - 100AD (circa) British Museum - 1909,1201.4 |
De nombreux autres modèles ont été retrouvés dans le contexte funéraire, ce qu'explique ainsi Marie-France Aubert : "L’offrande de l’encens faisait partie des funérailles et, dans ce cas, l’encensoir était ensuite placé dans la tombe, ce qui explique le grand nombre de ces objets trouvés dans les sépultures. Mais il semble aussi que l’on répétait le rite au cours des visites à la tombe".
Il est intéressant de préciser qu'ils sont, en "miniature", à l'image de ceux beaucoup plus imposants que l'on trouvait dans les temples ou devant les tombeaux. Les officiants accédaient alors à la plateforme par un marchepied ou un escalier, et déposaient, en quantité importante, des produits aromatiques, des pommes de pin par exemple, pour honorer pharaon, dieux et déesses mais aussi pour les défunts…
Celui qui est peut-être le plus connu se trouve en Moyenne Egypte, à Touna el-Gebel, devant le tombeau de Petosiris, grand prêtre de Thot, entre 341 et 332 avant J.-C.. "Un autel se dresse sur le côté est de l'allée, à 11 mètres du tombeau, s'encastrant partiellement dans le dallage qu'il déborde d'environ 0,80 m. Cet autel est surmonté de 4 coins triangulaires, ou cornes, sa hauteur totale est de 2,40 m, y compris les cornes, qui mesurent 0,66 m ; la largeur des côtés est de 1,43 m" ("Le tombeau de Petosiris" par M. Gustave Lefebvre).
Autel "à cornes" ou "à acrotères" se trouvant derrière l'Akhmenou à Karnak
On en trouve également dans le domaine d'Amon à Karnak. Ainsi, dans "Les voies processionnelles de Thèbes", Agnès Cabrol précise : "Nous savons par exemple que l'autel à cornes du parvis de Karnak-Est est employé pour célébrer les rites en rapport avec Djémé. Un autel en relation avec l'Akhmenou fonctionne également lors de la sortie d'Osiris décrite dans le papyrus Louvre N 3176"…
Il est important de signaler que, dans son intéressant article "Les autels 'à cornes' ou 'à acrotères' en Égypte", publié dans le BIFAO 83, Georges Soukiassian évoque un troisième type que nous n'avons pas abordé, et qui peut être considéré comme un "mobilier" cultuel : "On peut classer les autels à cornes d'Egypte en trois catégories : des autels de pierre ou de maçonnerie qui se trouvaient en plein air devant les tombes ou les temples ; des autels portatifs de bronze utilisés dans les temples ; des autels miniatures de terre suite ou de bronze, utilisés comme brûle-parfums dans le culte funéraire".
marie grillot
sources :
Autels "à cornes"
http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/visite?srv=car_not_frame&idNotice=36821&langue=fr
Portraits de l'Egypte romaine, - AUBERT M.-F., CORTOPASSI R., Louvre/Editions de la Réunion des musées nationaux, Paris, 1998.
Autel à cornes, Marie France Aubert, Musée du Louvre
https://www.louvre.fr/oeuvre-notices/autel-«-cornes-»
Les autels "à cornes" ou "à acrotères" en Égypte, Georges Soukiassian, BIFAO 83, 1983
https://www.ifao.egnet.net/bifao/083/22/
Les voies processionnelles de Thèbes, Agnès Cabrol, Peeters Leuven, 2001
https://books.google.co.uk/books?id=8rgZ3unIA28C&pg=PA663&lpg=PA663&dq=autel+%C3%A0+acrot%C3%A8res&source=bl&ots=1d64AquqQ7&sig=ACfU3U2UDy339pRpulSxSMyxNoIcEjYhkw&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjwltqepavvAhU88uAKHbolDOwQ6AEwGHoECBgQAw#v=onepage&q=autel%20%C3%A0%20acrot%C3%A8res&f=false
Le tombeau de Petosiris par M. Gustave Lefebvre, Première partie description, Service des antiquités de l'Eypte, Le Caire Imprimerie de l'Institut Français d'Archéologie Orientale, 1924
https://archive.org/details/letombeaudepetos00lefeuoft/page/n25/mode/2up
Autel à acrotères anépigraphe - (KIU 8855) - Projet Karnak
http://sith.huma-num.fr/karnak/8855?fbclid=IwAR23r4Kgx8HBpjwnOe0iwy7N5aACSKrdSVIh4YQEvkBK-Q7_EwlibYT0Wxc
Déonna Waldemar. Mobilier délien. In: Bulletin de correspondance hellénique. Volume 58, 1934. pp. 381-447; doi :
https://www.persee.fr/doc/bch_0007-4217_1934_num_58_1_2806
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