Ce bracelet, composé de deux parties semi-circulaires rigides, réunies par un système de charnière, a un diamètre de 5,5 cm et une hauteur de 3,4 cm. Il est en or et ses éléments décoratifs semblent se détacher d'un fond lapis-lazuli. Mais la technique de sa conception est infiniment plus complexe et subtile, comme l'explique avec précision Emile Vernier (Bijoux et orfèvreries, Fascicule 2) : "Tous les détails, figures et symboles, ont été ciselés. Ils ont été ensuite garnis de cloisons au revers et découpés. Enfin ils ont été soudés sur le fond, maintenus par les cloisons à une hauteur suffisante pour que l'on puisse, sans les dominer, remplir les cavités d'une matière quelconque. Ces fonds ont été ensuite garnis de morceaux de lapis-lazuli". Il révèle, et démontre aussi, la maîtrise atteinte par ces artisans-orfèvres du début de la XVIIIe dynastie.
Dans "Les merveilles du musée égyptien du Caire", Rosanna Pirelli analyse ainsi les scènes qui composent son décor : "La représentation de la moitié droite est divisée par un éventail posé sur le hiéroglyphe 'shen' en deux scènes symétriques et opposées : sur le trône, le dieu Geb protège le pharaon Ahmès, qui est agenouillé devant lui. Le dieu porte la couronne rouge dans la scène de gauche et la double couronne dans la scène de droite. Au centre, en haut, on peut lire le nom du dieu ; aux deux extrémités, le nom du roi. Sur l'autre moitié du cylindre, on a représenté les âmes de Pe (Basse-Égypte) et de Nékhen (Haute- Égypte) - à tête de faucon et de chacal - ancêtres des rois avant l'unification des Deux Terres, qui lèvent les bras en signe de jubilation et reconnaissent par ce geste le roi couronné comme successeur légitime des pharaons divins".
Ce bijou au nom du pharaon Ahmosis faisait partie du trousseau funéraire de la reine Ahhotep dont l'imposant cercueil momiforme, en bois de sycomore stuqué, entièrement recouvert de feuille d'or, a été découvert le 5 février 1859 à Dra Abou el-Naga (rive ouest de Louqsor). Couché à même le sable, il avait, selon Gaston Maspero : "dû être retiré de son tombeau dès l'antiquité, probablement au temps des derniers Ramessides, et caché là en attendant qu'une occasion favorable s'offrît de le reprendre, et de le dépouiller en sûreté : les voleurs furent sans doute arrêtés et mis à mort, avant d'avoir eu le temps d'exécuter leur dessein, et sans avoir révélé l'emplacement de leur cachette".
Victor Gustave Maunier, qui selon certaine sources "dirigeait les fouilles d’Auguste Mariette pendant son absence", en informa ainsi le directeur des travaux d'antiquités d'Egypte : "Mon cher Monsieur Mariette, j'ai le plaisir de vous donner avis que vos reys de Gourneh ont trouvé à Dra Abou-Naggi, une magnifique boîte de momie … au couvercle entièrement doré … les yeux sont en émail enchâssés dans un cercle d'or ; sur la tête est un serpent uréus en relief, malheureusement la tête du serpent manque, elle devait être en or à en juger à la richesse de la boîte…"
Le cercueil contenait la momie de la "Grande épouse royale, Maîtresse de Haute et de Basse Egypte, Dame des Deux Terres, Douceur d'amour, Dame de Grâce, Epouse du Dieu" ainsi qu'un véritable trésor funéraire. Auguste Mariette ordonne alors que tout soit transporté vers Boulaq. Cependant, Fadil Pacha, le moudir de Qena, a quelque prétention à penser que ce trésor ne doit pas être remis au service des antiquités, mais revenir personnellement au Vice-Roi Saïd Pacha. Il s'empare du sarcophage et commet alors l'irréparable. Gaston Maspero racontera plus tard que : "la momie fut déshabillée dans le harem du moudir et une partie des objets qu'elle portait disparut dans l'opération" … Un sacrilège mené sans plus de soin que de respect … la momie de la reine sera perdue à jamais…
Le moudir ordonne ensuite que soient chargés, sur un bateau à destination du vice-roi, le cercueil et le coffre dans lequel a été placé ce qui reste du trésor. Auguste Mariette, furieux, fait voile vers Louqsor à bord du "Samannoud" afin d'intercepter l'embarcation et son équipage. Théodule Devéria témoin de la scène, raconte : "Après force pourparlers accompagnés de gestes un peu vifs, M. Mariette propose à l'un de le jeter à l'eau, à un autre de lui brûler la cervelle, à un troisième de l'envoyer aux galères et à un quatrième de le faire pendre"!
A l'issue de l'altercation, le cercueil et des bijoux sont récupérés, mais le douloureux constat est acté que la momie de la reine a été détruite et que bon nombre d'objets ont été volés.
Ce qui reste du trésor représente - quand même - plus de deux kilos d'or…
La question se pose toujours de savoir pourquoi plusieurs artefacts au nom d'Ahmosis Ier - comme ce bracelet - se trouvaient près de la souveraine. En effet, si dans "L'archéologie égyptienne" (1887) Gaston Maspero indique que :" Ahhotpou était femme de Kamos, roi de la XVII" dynastie et peut-être mère d'Ahmos Ier", cette filiation qui est souvent "entendue" n'est pas "prouvée". Ainsi dans ses "Reines du Nil", Christian Leblanc émet cette intéressante hypothèse : "On peut se demander si ce n'est pas plutôt lors de la réinhumation de sa vénérable dépouille que l'on déposa également en ce lieu quelques pieuses reliques de l'équipement de son descendant indirect"…
Ce bracelet, présenté par Gaston Maspero sous le n° 3510 de son "Guide du visiteur au musée de Boulaq" (1883) a été enregistré au Journal des Entrées du Musée du Caire JE 4684 et au Catalogue Général CG 52069.
marie grillot
sources :
Gold Inlaid Bracelet of Queen Ahhotep
http://www.globalegyptianmuseum.org/record.aspx?id=15318
Guide du visiteur au musée de Boulaq, Gaston Maspero, 1883
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6305105w.texteImage
Guide du visiteur au Musée du Caire, Gaston Maspero, 1902, Institut français (Le Caire)
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57248808.r=gaston+maspero.langFR
L'archéologie égyptienne Gaston Maspero, 1887
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k331686.texteImage
Catalogue du musée du Caire - Bijoux et orfèvreries - Fascicule 2, Émile Vernier, Ifao le Caire, édition 1907-1927
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58019893/f40.image.r=52069
Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Année 1981 Volume 125 Numéro 3 pp. 487-496, Leclant, Jean
http://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1981_num_125_3_13870
Album du musée de Boulaq : comprenant quarante planches, photographiées par MM. Delié et Béchard ; avec un texte explicatif par Auguste Mariette-Bey, éditeur : Mourès (Le Caire)
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8626090c/f142.item.r=auguste+mariette.langFR
Les reines du Nil, Christian Leblanc, bibliothèque des introuvables, 2009
Mariette Pacha, 1821-1881, Elisabeth David, Pygmalion, 1994
Égypte, Gaston Maspero, collection Ars Una, 1912
Mariette Pacha, 1821-1881, Elisabeth David, Pygmalion, 1994
Mariette Pacha, Claudine Le Tourneur d’Ison, Plon, 1999
Des dieux, des tombeaux, un savant : en Egypte sur les pas de Mariette pacha, somogy, éditions d'art, 2004
Trésors d'Egypte - Les merveilles du musée égyptien du Caire, Francesco Tiradritti
L'Egypte des pharaons au musée du Caire, Jean-Pierre Corteggiani
Mémoires et fragments de Théodule Devéria, Gaston Maspero, Gabriel Devéria, 1896
Editions Leroux, Paris
https://archive.org/details/mmoiresetfragme00maspgoog/page/n14/mode/2up
Institut Français d'Archéologie Orientale, Recueil de travaux relatifs à la philologie et à l'archéologie égyptiennes et assyriennes pour servir de bulletin à la Mission Française du Caire publié sous la direction de Gaston Maspero,1891
https://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/rectrav1892/0224/text_ocr
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