jeudi 25 février 2021

Un jeune roi à la couronne bleue à Deir el-Medineh ...

Statue d'un roi, Ramsès II ou l'ancien roi divinisé Amenhotep Ier 
bois (de karité ?) enduit et peint, coiffure en perles de faïence siliceuse - règne de Ramsès II
découverte à Deir el-Medineh par Bernard Bruyère en 1939 dans le khenou de Ramsès II - naos de la salle 9 (puits n° 1414 pour le Louvre)
Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - E 16277

En 1939, alors qu'il fouille le "secteur septentrional de Deir el-Médineh", Bernard Bruyère découvre "un bâtiment en brique crue, mitoyen d’un temple d’Hathor datant du règne de Ramsès II". Il le décrit comme "une grande construction civile" ou encore comme "une grande demeure civile remplie d’objets : statues, stèles, etc,..." C'est dans ce qui sera identifié ensuite comme étant le "khenou de Ramsès II" - ce qui peut être traduit comme "la résidence du roi, dans laquelle on exaltait le ka du souverain de son vivant" que se trouvait cette ravissante statue.

Haute de 70 cm, sculptée en ronde-bosse dans un bois de karité stuqué et peint, elle représente un pharaon, debout. Malgré les manques qui l'affectent (pied gauche disparu, jambe droite amputée au-dessous du genou,  bras droit absent), elle restitue un sentiment évident de jeunesse….
Statue d'un roi, Ramsès II ou l'ancien roi divinisé Amenhotep Ier
bois de karité enduit et peint, coiffure en perles de faïence siliceuse - règne de Ramsès II
découverte à Deir el-Medineh par Bernard Bruyère en 1939 dans le khenou de Ramsès II - naos de la salle 9 (puits n° 1414 pour le Louvre)
Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - E 16277

Le souverain, à la silhouette fine et longiligne, est dans l'attitude de la marche, jambe gauche avancée. Son visage aux joues pleines, semble avoir conservé quelques réminiscences de l'enfance. Le nez et la bouche sont minces. Les yeux en amande, à l'iris très sombre, sont cernés de noir et se prolongent par une fine ligne de fard. Les sourcils, arqués, épousent cette forme et cet étirement. Les oreilles, plaquées, sont percées.

La grande originalité de cette statue réside non seulement dans l'apparence peu "conventionnelle" d'un visage royal, mais également dans le traitement de la couronne qu'il porte.

En effet, le khepresh a conservé de nombreuses perles de faïence rondes, qui sont autant de petits boutons bleus, creux en leur centre, et autant de touches de couleur vive. "Les ocelles, en faïence égyptienne bleue sont plaqués sur le bois avec un mastic noir" précise Christophe Barbotin ("Les statues égyptiennes du Nouvel Empire"). Cette coiffe, qui pourrait être la couronne d'avènement du pharaon, a perdu l'uraeus qui se trouvait en son centre, laissant apparent le trou de son emplacement. 
Statue d'un roi, Ramsès II ou l'ancien roi divinisé Amenhotep Ier
bois (de karité ?) enduit et peint, coiffure en perles de faïence siliceuse - règne de Ramsès II 
découverte à Deir el-Medineh par Bernard Bruyère en 1939 dans le khenou de Ramsès II - naos de la salle 9 (puits n° 1414 pour le Louvre)
Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - E 16277 - photo Musée du Louvre

Le cou, dégagé, est orné d'un large collier-ousekh dont subsistent quelques traces de couleurs dans les tons de blanc, de rouge et de bleu.

Les épaules sont relativement marquées, et offrent ainsi un contraste avec la finesse de la taille. Le bras droit est orné de deux bracelets : l'un d'humérus, l'autre de poignet.

Le "pagne blanc plus long derrière que devant est maintenu par une ceinture à pendentif peinte, sur la boucle de laquelle devait être marqué le cartouche aujourd’hui effacé" précise Bernard Bruyère dans son "Rapport sur les fouilles de Deir El-Médineh (1935-1940), Trouvailles d'objets (1952). Le vêtement laisse visibles le nombril ainsi que les genoux. Les motifs qui l'ornaient devaient être ravissants mais sont en partie estompés…

Même avec ses manques, même avec sa polychromie partiellement "fanée", le charme de cette statue demeure.
Statue d'un roi, Ramsès II ou l'ancien roi divinisé Amenhotep Ier
bois (de karité ?) enduit et peint, coiffure en perles de faïence siliceuse - règne de Ramsès II
découverte à Deir el-Medineh par Bernard Bruyère en 1939 dans le khenou de Ramsès II - naos de la salle 9 (puits n° 1414 pour le Louvre)
Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - E 16277

Elle est présentée au musée du Louvre (E 16277), où elle est entrée en 1939, comme étant celle d'un roi, et datée du règne de Ramsès II (1279 - 1213 avant J.-C.).

Dans son "Rapport sur les fouilles…" précédemment mentionné, Bernard Bruyère l'attribue à Ramsès II : "Le visage aux yeux incrustés est celui d’un homme jeune dont les traits sont ceux du roi Ramsès II. Cette statue de culte devait être renfermée dans le naos de la salle 9".

Il se réfère également à des données historiques qui : "certifient qu’une restauration du temple d'Hathor et que la création du hnw (khenou) de Ramsès II eurent lieu au début du règne de ce souverain sous la haute direction du vizir Paser et par les soins de son scribe Ramosé. Celui-ci parle d’une statue en bois qu’il a fait faire et placer dans le naos de ce hnw et pour laquelle il a prodigué les offrandes afin que son nom soit immortel dans la nécropole. Si son souhait s’est trouvé réalisé par les travaux de cette année, on lui doit l'indication de l’existence de la statue royale retrouvée par nous et du même coup la certitude qu'elle représente bien Ramsès II au commencement de son long règne"… 

Cependant, d'autres interprétations l'attribuent à Amenhotep Ier. Ainsi, dans l'ouvrage "Un siècle de fouilles françaises en Egypte 1880 1980 - Ecole du Caire (IFAO)" peut-on lire : "Parmi la dizaine de rois divinisés au cours de l'époque pharaonique, on connaît le culte rendu à Aménophis Ier par les ouvriers de la nécropole thébaine. C'est en effet le premier pharaon enterré dans la vallée des rois et donc le fondateur de leur village et de leur corporation. Si cette statue (d'époque ramesside par son style) n'est pas une effigie de Ramsès II, on peut supposer qu'elle appartient aux nombreuses représentations d'Amenophis Ier divinisé trouvées à Deir el- Médineh. En effet ce roi y est adoré sous deux aspects différents : d'une part avec une perruque courte, l'uraeus et un bandeau frontal, et d'autre part coiffé de la couronne bleue que nous retrouvons ici"…
Statue d'un roi, Ramsès II ou l'ancien roi divinisé Amenhotep Ier
bois (de karité ?) enduit et peint, coiffure en perles de faïence siliceuse - règne de Ramsès II
découverte à Deir el-Medineh par Bernard Bruyère en 1939 dans le khenou de Ramsès II - naos de la salle 9 (puits n° 1414 pour le Louvre)
Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - E 16277

Pour Guillemette Andreu ("Les artistes de pharaon"), cette statue "doit vraisemblablement être attribuée à la production des monuments posthumes d'Aménophis Ier, dont les statues de culte furent nombreuses sous Ramsès II".

Quant à Christian Leblanc, éminent spécialiste de Ramsès II, il nous livre l'analyse suivante : "Il existait bien une statue de culte de Ramsès II dans le khenou ('résidence') de Deir el-Medineh. Ce khenou semble d'ailleurs avoir eu vocation de chapelle de culte en l'honneur de Ramsès II divinisé, et l'on sait que des offrandes y étaient apportées du Ramesseum déjà en l'an 9 de son règne. Mais Deir el-Medineh était aussi un lieu où Amenhotep Ier était vénéré et rendait justice par l'oracle dans le tribunal du village. Il est donc bien difficile de savoir à partir de cette statue, si elle représente Amenhotep Ier ou Ramsès II..."

marie grillot

sources :
Statue roi debout - Louvre E 16277
https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010008673
Bernard Bruyère, Rapport sur les fouilles de Deir El Médineh (1935-1940) Trouvailles d'objets (1952), FIFAO 20.2, Institut français d'archéologie orientale (IFAO), 1952 
https://archive.org/stream/FIFAO20.2/FIFAO%2020.2%20Bruyère%2C%20Bernard%20-%20Trouvailles%20d%27objets%20%281952%29%20LR_djvu.txt
Jaroslav Cerny, Le culte d’Amenophis I chez les ouvriers de la Nécropole thébaine, BIFAO 27, Institut français d'archéologie orientale (IFAO), 1927, p. 159-203
http://www.ifao.egnet.net/bifao/027/14/
Bertha Porter, Rosalind Moss, Topographical Bibliography of Ancient Egyptian Hieroglyphic Texts, Reliefs, and Paintings, 1.2, The Theban Necropolis. Royal Tombs and Smaller Cemeteries, Oxford, At the Clarendon Press, 1964, p. 698
Christiane Desroches Noblecourt, Jean Vercoutter, Un siècle de fouilles françaises en Egypte. 1880 - 1980, catalogue exposition, Le Caire, Institut français d'archéologie orientale (IFAO), 1981, p. 248, ill. p. 249, n° 266
Dominique Valbelle, Le Khénou de Ramsès II, B.J.J. Haring, O.E. Kaper, R. van Walsem (éd.), The Workman’s Progress, Studies in the Village of Deir el-Medina and Other Documents from Western Thebes in Honour of Rob Demarée, Leuven, 2014, p. 237-254
www.nino-leiden.nl/download/5435
Guillemette Andreu, Les artistes de Pharaon. Deir el-Médineh et la Vallée des Rois, catalogue exposition, Turnhout, RMN, Brepols, 2002, p. 255, ill. p. 254, n° 202
Christophe Barbotin, Les statues égyptiennes du Nouvel Empire. 1, Statues royales et divines, Musée du Louvre, Éditions Khéops, 2007, p. 102-103, fig. 1-7 p. 146-149, n° 49
Guillemette Andreu, Dominique Valbelle, Guide de Deir el-Médina. Un village d'artistes, Le Caire, Institut français d'archéologie orientale (IFAO), 2022, p. 15, fig. 135


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