"L’Egyptien ancien était un être qui vivait dans un monde où le sacré était essentiel, un être pour qui il était indispensable au terme de sa vie terrestre de se préparer à sa seconde vie, dans ce que nous appelons peut-être improprement le paradis d’Osiris. Et pour y parvenir, l’usage des cosmétiques, fards, onguents, et autres pommades lui était indispensable" rappelle Thierry Morant dans "Parfums et cosmétiques dans l’Egypte ancienne".
Ainsi, les huiles et onguents, qui étaient utilisés à profusion lors de la momification, faisaient-ils également partie intégrante du trousseau funéraire.
Les découvreurs de la tombe de Toutankhamon Lord Carnarvon (à gauche) et Howard Carter près de la KV 62 (photo (Harry Burton?) prise entre novembre 1922 et avril 1923) |
Dans la tombe de Toutankhamon, dont le trésor recelait les merveilles que l'on connaît, Howard Carter estima que, avant le passage des voleurs, se trouvaient dans la seule petite pièce dénommée "annexe" : "au moins 350 litres d'huiles, de graisses et d'autres matières onctueuses stockés là pour le roi" (N’oublions pas, précise Christiane Desroches Noblecourt : "que les pillards qui, par deux fois pénétrèrent dans la tombe, prélevèrent avant tout les onguents et s’emparèrent de l’or").
Ces liquides et substances, rares et onéreux, très souvent importés, étaient eux-mêmes, eu égard à leur valeur, placés dans des contenants en matériaux précieux et fragiles, comme l'anhydrite ou le calcite (albâtre égyptien). Leur forme, le plus souvent esthétique et originale, s'inspirait généralement de la flore et de la faune…
Lorsque l'on se penche sur les photos prises par Harry Burton dans l'annexe, on se rend bien compte du désordre qui y régnait et il apparaît miraculeux que des objets aussi délicats et fragiles aient "survécu"… Ainsi : "coincés entre des boîtes et sous des objets de formes diverses, étaient un bateau d'albâtre, un lion et une figure d'un bouquetin bêlant" se souvient le découvreur.
Et il précisera ensuite : "Parmi les vaisselles les plus remarquables, il faut citer l'exemple suivant : Un vase en forme de lion mythique debout dans une attitude agressive, étrangement héraldique comme un 'lion gardien'; patte droite griffe à l'air dans la rage noble, tandis que sa gauche repose sur un symbole 'sa', ce qui signifie 'protection' et, monté sur la couronne de la tête du lion, se trouve le 'col' du vase qui représente une fleur de lotus prenant elle aussi la forme d'une couronne. Le décor de ce vase représentant un lion est incisé et rempli de pigments, la langue et les dents sont en ivoire ("The Tomb of Tutankhamun - Volume 3 : The Annexe and Treasury").
Ce lion de calcite, d'or et d'ivoire, d'une hauteur de 60 cm et d'une largeur de 19,8 cm, debout sur son tabouret joliment ouvragé paraît, selon Zahi Hawass "aujourd'hui plus touchant que féroce"… En effet, langue tirée et patte avant droite levée en signe de salut, il semble défier, avec une ironie affichée, ceux qui veulent bien le regarder…
Christiane Desroches Noblecourt ("Toutankhamon et son temps") en fait une description très circonstanciée, dont voici quelques extraits : "La collerette de poils qui encadre la gueule, les détails des oreilles, les deux petits durillons de chair des pattes antérieures, les griffes de l’animal, la touffe terminale de queue, les petites rosettes de poils sur les épaules, tout cela est rehaussé de couleur bleu-noir. Le nez, jadis peint en noir, possède encore des traces de rouge qui indiquaient les narines, les yeux cernés de noir, sont entièrement dorés, en quelque sorte des yeux phosphorescents. La gueule ouverte montre huit crocs d'ivoire blanc, de même que les muqueuses latérales et la langue pendante, peintes en rouge. Sur la poitrine un petit tableau surmonté par le signe du ciel, porte les deux cartouches du roi et celui de la reine, introduits par leurs titres habituels. Les oreilles de l’animal, percées, devaient avoir reçu des anneaux d’or, comme on le voit encore souvent sur les statuettes de chats sacrés. Les griffes (cinq pour chaque patte) avaient été rapportées (peut-être de l’ivoire) : il ne reste plus dans les cavités qu’une matière rougeâtre"…
La coiffe de l'animal constitue le réceptacle aux précieux onguents que le félin était censé protéger, tenant à distance, par sa posture qui se voulait menaçante, ceux qui auraient voulu s'en emparer… Mais, par sa "composition" elle permet également l'identification du dieu : "La coiffure florale, la nature même du lion, et surtout ses yeux d’or, perçants, qui d’une façon très exceptionnelle sont représentés ici, permettent d'identifier cette image animale à celle du dieu Nefertoum (fils de Ptah et de Sekhmet), dans un rôle de protecteur redoutable contre les puissances du mal… Dressé sur ses pattes antérieures, il peut attaquer les ennemis et leur dévorer la tête. Le dieu-fleur originel, sous la forme duquel Nefertoum est la plupart du temps considéré, est aussi le dieu des parfums prophylactiques 'l’Agréable au nez des dieux, rempli d’onguents', car ces onguents purifiaient à la fois et constituaient les plus puissants remèdes contre les influences néfastes".
Quant à I.E.S. Edward ("Tutankhamun : his tomb and its treasures") , il voit plutôt là une représentation du dieu Bès : "Les jarres d'onguent incarnaient souvent des figures de Bes, une divinité domestique associée aux plaisirs et généralement représentée comme un nain aux jambes arquées avec des oreilles, une crinière et une queue de lion et portant parfois une peau de lion. Ce vase à onguent a probablement été sculpté sous la forme d'un lion à couronne florale en raison du lien entre les animaux et Bes".
Et, pour Abeer El-Shahawy ("The Egyptian Museum in Cairo") : "Le lion est parfois représenté comme le dieu Rê lui-même, comme au chapitre 62 du 'Livre des morts', qui dit: 'Je suis celui qui est le ciel, je suis le lion de Rê'".
Si ce lion n'a pas réussi à protéger son riche "contenu", il nous offre cependant quelque chose de tout aussi précieux : un condensé subtil de protection magique et d'ironie intemporelle … Référencé 579 par Carter, il été enregistré au Journal des Entrées du Musée du Caire sous la référence JE 62119.
marie grillot
sources :
Christiane Desroches Noblecourt, Vie et mort d'un pharaon, Hachette, 1963
Christiane Desroches Noblecourt, Toutankhamon et son époque, Petit Palais, Paris, 17 février-juillet 1967, Ministère d'État Affaires Culturelles, 1967
Iorwerth Eiddon Stephen Edwards, Tutankhamun : his tomb and its treasures, The Metropolitan Museum of Art, 1977
Tutankhamun: Anatomy of an Excavation, The Howard Carter Archives, Photographs by Harry Burton, The Griffith Institute
http://www.griffith.ox.ac.uk/gri/carter/579.html
Nicholas Reeves, Toutankhamon, vie, mort et découverte d'un pharaon, Editions Errance, 2003
Abeer El-Shahawy, The Egyptian Museum in Cairo, Matḥaf al-Miṣrī, American Univ in Cairo Press, 2005
Thierry Morant, Parfums et cosmétiques dans l’Egypte ancienne. Travaux & documents, 2010, Journée de l’Antiquité 2009-2010, 36, pp.97-108
https://hal.univ-reunion.fr/hal-02184481/document
Howard Carter, The Tomb of Tutankhamun, volume 3 : The Annexe and Treasury, Bloomsbury Academic, 2014
Zahi Hawass, Découvrir Toutankhamon, Editions du Rocher, 2015
Zahi Hawass, Catalogue de l'exposition "Toutankhamon, trésors du pharaon d'or", Zahi Hawass, IMG Melcher Media, 2018
Florence Quentin Dans l'intimité de Toutankhamon - ce que révèlent les objets de son trésor, Editions First, 2019
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