Si les palettes des scribes sont pourvues de deux "godets", l'un pour le rouge et l'autre pour le noir, celles des peintres en contiennent un nombre variant le plus souvent entre six et neuf.
Les pigments qu'ils accueillent sont à la fois d'origine naturelle et "synthétique". Si la notion de couleurs primaires n'est peut-être pas alors connue en tant que telle, elle est présente par le bleu, le vert, le jaune, le rouge auxquelles s'ajoutent les deux "valeurs" : le blanc et le noir …
Dans son ouvrage "L'art égyptien" publié en 1879, le grand peintre Emile Prisse d'Avennes formulait cette analyse : "Ainsi la palette des peintres égyptiens était fort restreinte : Le rouge, le bleu, le jaune, le blanc, le noir, voilà qu'elles étaient ses couleurs principales ; le vert, qui vient presque sur la même ligne est néanmoins plus rarement employé ; au moins dans l'ancien empire : du temps des pharaons, c'est le rouge, le bleu et le jaune qu'on voit employés avec une véritable prédilection; tandis que dans les peintures des bas-reliefs ptolémaïques, c'est généralement le bleu et le vert qui dominent".
Cyril Aldred ("L'art égyptien") apporte quant à lui ces intéressantes précisions techniques : "Les ocres jaune, rouge et brune - pigments provenant de la terre - ont été peu altérées au cours des siècles. Un blanc de chaux jouait un rôle très semblable au blanc de zinc de la gouache moderne : il était utilisé seul ou mélangé à d’autres couleurs pour les éclaircir et les rendre plus opaques. Le vert était obtenu en mélangeant du bleu avec de l’ocre jaune ou de l’orpiment. Il était aussi fabriqué à partir de sel de cuivre, généralement des carbonates, mais ce pigment n’a pas toujours bien vieilli et a parfois viré à une teinte rouille. Le bleu était difficile à fabriquer ; on l’obtenait le plus fréquemment à partir d’une fritte à base de cuivre qu’on réduisait en poudre fine tirant souvent sur le vert. On parvenait à un meilleur résultat en réduisant en poudre une autre substance artificielle, le 'bleu égyptien' ou tétrasiliate de cuivre et de calcium, qui donnait une teinte bleu outremer. Le support était dans tous les cas une gomme soluble dans l’eau: la peinture égyptienne est par conséquent une sorte de détrempe à la colle. Le noir était en général fabriqué à partir de suie, et quelquefois à partir de plombagine".
Par les bienfaits d'un climat sec, la peinture égyptienne des tombes et des temples a traversé les années, les siècles, et même les millénaires, sans trop souffrir. Elle offre à nos yeux émerveillés des scènes d'une fraîcheur qui nous subjugue, rendant vivant un quotidien éteint depuis longtemps ou évoquant un monde de divinités, de pharaons, de reines, devenus ainsi immortels…
Les peintres, tout comme les scribes, emportaient leur "matériel professionnel" dans l'au-delà… Ainsi, de nombreuses palettes ont-elles été retrouvées dans les tombes.
Cette palette-ci, notamment, nous fait ressentir une émotion toute particulière car elle conserve des restes de pigments rendant factuel et réel le fait qu'elle ait été utilisée… Un artiste, à jamais anonyme, du Nouvel Empire, y a mélangé ses couleurs pour donner naissance à des œuvres que nous ne pourrons jamais identifier… Qu'a-t-il bien pu peindre sous le règne florissant, si fécond et si propice aux arts d'Amenhotep III : des parois d'hypogées ? les murs de temples ou de chapelles ? des statues ou autres artefacts ?
A sa mort, ses proches ont souhaité que cette palette, objet de son quotidien, repose près de lui dans son au-delà…
Longue de 17,7 cm , large de 4,4 cm et épaisse de 0, 9 cm, elle n'est pas en bois comme la majorité de celles répertoriées mais présente un aspect plus "luxueux" qui se traduit notamment par deux éléments : son matériau et la délicatesse du cartouche qui se trouve tout en haut.
"Elle est inscrite au nom d'Amenhotep III (Neb-Maât-Rê, aimé de Rê) ce qui a laissé autrefois à penser qu'elle pouvait provenir de sa propre tombe, mais il apparaît désormais qu'elle est d'une autre source. Ce bel objet, taillé dans une seule pièce d'ivoire et délicatement teinté de rouge et de noir, s'avère avoir été largement utilisé par son ancien propriétaire, plusieurs des restes de pigments minéraux présents dans ses six godets ovales étant presque épuisés. De haut en bas, les couleurs de ces pigments sont le bleu, le vert, le marron (?), le jaune, le rouge et le noir, la transition progressive de la couleur froide à la couleur chaude étant sans aucun doute intentionnelle"( William C. Hayes, Scepter of Egypt II).
Le Metropolitan Museum of Art de New York où elle est référencée 26.7.1294 indique ainsi son lieu de provenance : "probablement de Haute-Égypte, Thèbes". Et elle est d'ailleurs mentionnée dans le Porter & Moss "The Theban Necropolis. Royal Tombs and Smaller Cemeteries" : "Amenophis III, ivory water-colour palette, in New York, M.M.A. 26.7.1294".
On ne sait ni quand ni comment cette palette s'est retrouvée entre les mains du grand collectionneur qu'était Lord Carnarvon. Mais ce qui est avéré, c'est qu'elle figurait dans sa collection qui a été vendue, trois ans après son décès, par sa veuve Lady Almina au Metropolitan…
marie grillot
sources :
Painter's Palette Inscribed with the Name of Amenhotep III
https://www.metmuseum.org/art/collection/search/544518
L'art égyptien d'après les monuments depuis les temps les plus reculés jusqu'à la domination romaine par Prisse d'Avennes, ouvrage publié sous les auspices du Ministère de l'Instruction Publique, des Cultes, 1879
https://books.google.co.uk/books?id=NgLMU2U2v1wC&pg=PA5&focus=viewport&hl=fr&output=text#c_top
L'art égyptien, Cyril Aldred, Éditions Thames & Hudson
Hayes, William C. 1959. Scepter of Egypt II: A Background for the Study of the Egyptian Antiquities in the Metropolitan Museum of Art: The Hyksos Period and the New Kingdom (1675-1080 B.C.). Cambridge, Mass.: The Metropolitan Museum of Art, p. 257.
https://books.google.fr/books?id=2lrrqjkkWWEC&printsec=frontcover&redir_esc=y&hl=fr#v=onepage&q&f=false
Porter, Bertha and Rosalind L.B. Moss 1964. Topographical Bibliography of Ancient Egyptian Hieroglyphic Texts, Reliefs, and Paintings: The Theban Necropolis. Royal Tombs and Smaller Cemeteries, vol. I part 2a. Oxford, 843.
http://www.griffith.ox.ac.uk/topbib/pdf/pm1-2.pdf
Les pigments dans la peinture égyptienne, Daniel Le Fur
https://books.openedition.org/editionscnrs/8163?lang=fr&fbclid=IwAR35cYPxNEB1ConJ8TqTAp-p0Xm_dO2IMqUqyzTkCcKhItf_VMLWtBFuFtw
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