En novembre 1922, l'égyptologue anglais Howard Carter et son mécène, l'aristocrate Lord Carnarvon découvrent, dans le ouadi principal de la Vallée des Rois, la tombe de Toutankhamon. Avec ses quatre pièces couvrant à peine 110 m², elle se révélera être l'une des plus petites de la nécropole… Mais le matériel funéraire qu'elle recèle s'avérera, lui, être le plus riche et le plus important ! Dix années de dur et délicat labeur seront nécessaires pour extraire et consolider les 5398 objets qui accompagnaient le jeune roi pour son éternité.
Cette multitude d'artefacts, hétéroclites, devait bien sûr répondre aux besoins "pratiques" du défunt. Mais à cela prédominait une dimension à la fois magique et rituelle qui devait participer à sa renaissance.
Les pillages survenus dans l'antiquité, avaient laissé, pêle-mêle : vêtements, bijoux, statues, vases, jeux, instruments de musique, armes, cannes, chars, et … pièces de mobilier.
Dans la longue liste des meubles figurent des lits, des fauteuils, des tabourets, ainsi qu'une dizaine de chevets, repose-tête ou "appui-tête". Dans l'antiquité, cet accessoire, indispensable au sommeil était dénommé "wrs" (oures). Avec nos notions actuelles du confort, il nous est difficile de concevoir qu'ils aient pu être "confortables"… D'une hauteur moyenne d'environ vingt centimètres, ils se présentent sous la forme d'une base large au centre de laquelle se dresse une "colonne" au sommet de laquelle repose une surface concave destinée à accueillir la tête du dormeur. Cette partie incurvée était couverte de tissus de lin ou d'un coussin, pour en adoucir la dureté.
Christiane Ziegler ("Reines d'Egypte") fait cette analyse : "Utilisé dans la vie courante l'appuie-tête prenait une signification symbolique une fois déposé dans la tombe. Sa silhouette incurvée évoque l'horizon ; elle devient gage de vie éternelle pour le défunt qui renaîtra comme l'astre". Ainsi, dès l'Ancien Empire, cet accessoire accompagna le défunt dans la tombe. Etant alors destiné à un "rôle funéraire" : il pouvait donc être réalisé en un matériaux plus fragile, comme l'albâtre, le verre, ou bien encore l'ivoire.
Quatre "appui-tête" furent retrouvés, en novembre 1927, lors du dégagement de l'annexe. Ils avaient été déposés dans un élégant meuble de cèdre qui sera référencé "403" par Howard Carter. Dans son ouvrage "The Tomb of Tutankhamun, volume 3 : The Annexe and Treasury", il relate ainsi les circonstances de la découverte : "Déposé dans une position très précaire, au milieu de 'miscellanea' se trouvait, au centre de la pièce, un cabinet, debout sur quatre pieds minces, et d'environ vingt-trois pouces de hauteur… Son contenu initial avait été dispersé, ou peut-être même volé, mais il contenait quatre très beaux appui-tête qui y avaient été mis après le vol". L'un est en turquoise opaque (Carter 403-a), un deuxième en lapis-lazuli (403b), un autre en forme de tabouret pliant (403d) et celui-ci (403c) en ivoire avec la représentation du dieu Shou (403c).
Il mesure 0,175 m de hauteur et 0,288 m de largeur, et, dans le catalogue de l'exposition "Toutankhamon et son temps", Christiane Desroches Noblecourt estime qu'il est le plus précieux de tous. Voici une partie de la description qu'elle en fait : "Taillé dans deux grands morceaux d'ivoire, son décor est unique et est composé d'éléments très symboliques comme on s'y attend. L'élégante courbe à la partie supérieure, destinée à soutenir le crâne de la momie, semble surgir, en s'épanouissant, d'un pilier en partie formé par le corps d'une divinité masculine, facilement identifiable, grâce à la position de ses bras et de ses mains. C'est le dieu Shou, l'Atmosphère sans quoi personne ne vivrait, qui soutient de ses mains le cintre du chevet comme, dans la légende, il soutenait la voûte céleste qu'il avait voulu séparer de la terre. Les détails de sa coiffure, son pagne divin et les ligatures de l'étoffe passant autour de chacune de ses épaules et tombant jusqu'au sol (c'est un signe de protection, le signe sa) sont incisés de bleu. Les yeux du dieu étaient peints de couleur bleu-noir". Elle précise également que, au dos : "Le protocole très réduit du roi est mentionné sous son nom de couronnement : Nebkheperourê. Le seul point à signaler est qu'il est mentionné en tant que 'Fils d'Amon'". Puis, elle s'attarde sur la technique de fabrication, empreinte là aussi de symbolique : "L'assemblage des deux morceaux d'ivoire constituant l'objet est obtenu par un tenon et une mortaise mais il est fixé à l'extérieur par deux gros clous d'or, un sous chaque aisselle du dieu Shou et un dans chaque ligature du signe de protection. Le dieu est agenouillé sur une sorte de monticule évoquant les soulèvements de la terre qu'il avait provoqués lui-même au moment où il avait séparé la voûte céleste du sol".
Dans "L'Egypte ancienne et ses dieux", Jean-Pierre Corteggiani présente longuement Shou et la place "vitale" qu'il occupe dans le panthéon égyptien. En voici un extrait : "Il joue un rôle doublement actif puisque, non content, en tant que souffle de vie, d’être le facteur déterminant qui permet l’émergence du démiurge, il lui incombe d'assurer la marche du monde en maintenant les éléments du cosmos à la place qui leur revient de façon à ce que le soleil puisse accomplir sa course quotidienne ; il sépare donc le ciel de la terre et empêche qu'ils se rejoignent, évitant ainsi une catastrophe redoutée qui signifierait la fin des temps".
sources :
Toutankhamon et son temps, Petit Palais, Paris, 17 février-juillet 1967, Ministère d'Etat Affaires Culturelles, 1967
Christiane Desroches Noblecourt, Vie et mort d'un pharaon, Hachette, 1963
Howard Carter, The Tomb of Tutankhamun, volume 3 : The Annexe and Treasury, Bloomsbury Academic, 2014
Tutankhamun: Anatomy of an Excavation, The Howard Carter Archives, Photographs by Harry Burton, The Griffith Institute
http://www.griffith.ox.ac.uk/discoveringTut/
Nicholas Reeves, Toutankhamon, vie, mort et découverte d'un pharaon, Editions Errance, 2003
Iorwerth Eiddon Stephen Edwards, Tutankhamun : his tomb and its treasures, The Metropolitan Museum of Art, 1977
Abeer El-Shahawy, The Egyptian Museum in Cairo, Matḥaf al-Miṣrī, American Univ in Cairo Press, 2005
Jean Capart, Toutankhamon, Vromant & Cie Imprimeurs-Editeurs, 1923
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5611389t/f60.texte
Zahi Hawass, Découvrir Toutankhamon, Editions du Rocher, 2015
Zahi Hawass, Catalogue de l'exposition "Toutankhamon, trésors du pharaon d'or", IMG Melcher Media, 2018
Florence Quentin, Dans l'intimité de Toutankhamon, ce que révèlent les objets de son trésor, éditions First, 2019
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