A l'arrière, un marin est assis : il tient un long gouvernail, qu'il dirige par des cordages, alors qu'à l'avant une "vigie", debout, scrute le fleuve, pour en évaluer la profondeur, éviter les bancs de sable ou tout autre obstacle…
Un grand poteau blanc se dresse au milieu du navire : il est orphelin du mât central et de la grand-voile qu'il devait supporter.
Harpiste aveugle et chanteur dans la maquette d'un bateau avec rameurs bois peint, gesso, lin - Moyen Empire (XIIe dynastie) - 1981 - 1975 av. J.-C. |
Pour l'heure : "Meketrê est assis et sent une fleur de lotus à l'ombre d'une petite cabine qui, sur un bateau réel, aurait été faite d'une charpente en bois clair avec des tentures en lin ou en cuir. Ici, les tentures sont montrées partiellement enroulées pour laisser la brise entrer dans la cabine. Des boucliers en bois recouverts de peaux de taureaux sont peints de chaque côté du toit. Un chanteur, la main sur ses lèvres, et un harpiste aveugle divertissent Meketre pendant son voyage. Devant lui se tient un homme, probablement le capitaine du navire, les bras croisés sur la poitrine" précise le Metropolitan Museum of Art de New York.
Cette ravissante maquette, de 128 cm de long et de 37 cm de hauteur, avec sa coque peinte en ocre clair et son plancher marron et blanc, avec son équipage et ses passagers peut restituer, simplement, un agréable voyage de plaisance sur le Nil… Mais elle peut aussi, comme l'explique Christine Lilyquist avoir une signification d'une autre dimension : "Dans l'au-delà, comme dans la vie de tous les jours, le Nil était la voie du commerce et des voyages, et les embarcations fluviales étaient donc un équipement nécessaire pour le défunt".
Et, afin que les voyageurs - ici bas ou dans leur éternité - puissent se sustenter, ce bateau était suivi par un autre, quasi identique. Doté d'un équipage moindre, et d'une cabine moins luxueuse, il transportait le personnel de cuisine avec tout l'équipement et le ravitaillement nécessaires pour satisfaire le maître avec de bons repas…
Meketrê fut un personnage important du Moyen Empire : sous les règnes de Montouhotep II puis d'Amenemhat Ier, il a occupé les fonctions de chancelier et de grand intendant du palais royal.
Il a été inhumé dans les entrailles de la montagne thébaine, au sud de la vallée de l'Assassif. "Une large chaussée escarpée conduit à flanc de colline à l'avant de la tombe, à l'origine protégée par un portique à colonnes. La tombe elle-même est composée d'un long couloir taillé dans la roche-mère qui se termine dans une pièce carrée, qui contenait l'entrée de la chambre funéraire. Des parties de la structure ont été recouvertes d'un calcaire de qualité supérieure et décorées avec soin... Une seconde tombe a été construite, en parallèle, pour un homme nommé Intef, certainement un proche parent de Meketrê. Sur le côté droit du portique, se trouve la petite tombe d'un homme nommé Wah, qui a servi dans la maison de Meketrê" précise le Metropolitan Museum of Art de New York qui a obtenu, début 1920 la concession de fouilles de cette tombe (TT 280).
Tombs of Meketre and Wah. Photograph by Harry Burton, 1920 (MC 185). Archives of the Egyptian Expedition, Department of Egyptian Art |
Dès fin février, sous la direction d'Herbert Eustis Winlock, les égyptologues Ambrose Lansing et Harry Burton débutent le nettoyage de l'hypogée, avec, sous leurs ordres, plus de 200 fellahs recrutés dans le village. Les travaux se poursuivent depuis trois semaines lorsque, le 17 mars, l'un des ouvriers remarque que de petits morceaux de pierre glissent dans une fissure de la roche. "Nous avions déjà regardé dans tant de trous vides, conte Herbert E. Winlock, que la nouvelle ne m'émut guère. Qu'importe ! Je m'étendis à plat ventre, glissai la torche dans le trou, pressai le bouton et collai mon œil contre l'ouverture. Instantanément, le rayon électrique illumina tout un petit monde vieux de quatre mille ans ! Des centaines de Lilliputiens allaient et venaient à leurs affaires. Plusieurs brandissant des bâtons poussaient devant eux des bœufs à la robe tachetée. D'autres, s'arc-boutant sur leurs rames, manoeuvraient toute une flottille de bateaux. Un grand navire, la proue en l'air était sur le point de sombrer."
De cette toute petite chambre, parfois dénommée "serdab", seront extraites vingt-cinq maquettes, des modèles réduits en bois reproduisant un environnement cher à Meketrê, ainsi que tout ce qu'il était possible de mettre en œuvre pour satisfaire ce dont il pouvait avoir besoin dans l'au-delà. "A l'Ancien Empire, les gens de qualité ne se contentèrent pas d'assurer la survie qu'ils souhaitaient en couvrant les murs de leurs tombes de bas-reliefs ; peu à peu l'habitude fut prise de déposer, à côté de la statue du mort, des statuettes représentant des serviteurs en train d'accomplir pour l'éternité leurs tâches de tous les jours … A la Première Période intermédiaire enfin, et au Moyen Empire, ce ne sont plus des effigies isolées mais des scènes complètes, véritables maquettes de la vie paysanne ou artisanale que l'on enterre avec le défunt" précise Jean-Pierre Corteggiani ("L'Egypte des pharaons au musée du Caire").
Procession of objects from the Tomb of Meketre to the Expedition House March 19, 1920 - Harry Burton (British, 1879-1940) |
Il faudra aux découvreurs trois jours entiers pour photographier l'ensemble des maquettes et les transférer de la tombe à la dig house du Metropolitan dans l'Assassif. "Chaque midi et chaque soir une procession d'ouvriers descendait la falaise transportant les maquettes sur des plateaux afin qu'ils soient mis en sécurité sous clé" précise Herbert E. Winlock. Deux mois furent ensuite consacrés à nettoyer et consolider l'ensemble des artefacts.
Puis, le "partage à moitié exacte" des objets fut effectué. C'est ainsi qu'après quarante siècles d'une paisible et silencieuse cohabitation, les objets furent séparés et répartis équitablement entre le Musée Égyptien du Caire et le Metropolitan Museum of Art de New York.
C'est vers ce dernier que ce bateau s'est dirigé ainsi que son "annexe" cuisine ; ils ont respectivement été enregistrés sous les numéros d'entrée : 20.3.1. et 20.3.3.
marie grillot
sources :
Travelling Boat being Rowed
https://www.metmuseum.org/art/collection/search/544214?searchField=All&sortBy=Relevance&ft=MEKETRE&offset=0&rpp=20&pos=5
Kitchen Tender being Rowed
https://www.metmuseum.org/art/collection/search/544212
Herbert Eustis Winlock, Models of daily life in ancient Egypt : from the tomb of Meket-Rēʻ at Thebes, Publications of the Metropolitan Museum of Art Egyptian Expedition, 1955,
https://libmma.contentdm.oclc.org/digital/collection/p15324coll10/id/174360/rec/1
Thomas Campbell, The Metropolitan Museum of Art Guide (French), 2012
https://www.metmuseum.org/art/metpublications/The_Metropolitan_Museum_of_Art_Guide_French
Christine Lilyquist, "Egyptian Art": The Metropolitan Museum of Art Bulletin, v. 41, no. 3 (Winter, 1983–1984)
https://www.metmuseum.org/art/metpublications/Egyptian_Art_The_Metropolitan_Museum_of_Art_Bulletin_v_41_no_3_Winter_1983_1984
Bertha Porter, Rosalind l. b. Moss, Topographical bibliography of ancient egyptian hieroglyphic texts, Griffith Institute, Ashmolean Museum, Oxford, 1960
http://www.griffith.ox.ac.uk/topbib.html
Jean-Pierre Corteggiani, L'Egypte des pharaons au musée du Caire, Hachette Paris, 1986
http://excerpts.numilog.com/books/9782010122972.pdf
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