mercredi 9 décembre 2020

Une statue royale portant la couronne rouge découverte à Lisht

"Guardian Figure" découverte entre mars et mai 1914 à Lisht 
dans une chambre du mur d'enceinte de la tombe d'Imhotep 
par l'Expédition du Metropolitan Museum of Art dirigée par Albert Morton Lythgoe 
bois de cèdre - XIIe dynastie - règne d'Amenemhat II
Metropolitan Museum of Art New York - numéro d'entrée : 14.3.17 (photo du Met) 

Cette statue en cèdre, haute de 57 cm, est composée de seize morceaux de bois attachés avec des chevilles. Elle  représente un pharaon dans l'attitude de la marche, jambe gauche avancée, selon la "convention" de la statuaire masculine. L'impression de mouvement est accentuée par le fait qu'il tient fermement, dans sa main gauche, une crosse qui semble accompagner sa progression. Son bras droit repose le long du corps alors que son poing est vide de l'objet qu'il tenait, vraisemblablement un sceptre royal… Les mains et les doigts sont parfaitement sculptés et les ongles sont peints en blanc.


Le corps est d'un magnifique modelé, sublimé par  les nuances que lui apportent les veines du bois. On déplore, du côté gauche, une grande fente verticale qui traverse le torse, de la base du cou à l'aine.

"Guardian Figure" découverte entre mars et mai 1914 à Lisht 
dans une chambre du mur d'enceinte de la tombe d'Imhotep 
par l'Expédition du Metropolitan Museum of Art dirigée par Albert Morton Lythgoe
 bois de cèdre - XIIe dynastie - règne d'Amenemhat II
Metropolitan Museum of Art New York - numéro d'entrée : 14.3.17 (photo du Met)

Les épaules sont larges, la taille mince, les jambes solides… Les pieds nus, aux orteils bien dessinés, reposent sur un socle rectangulaire. 


Pharaon est vêtu d'un pagne, peint en jaune et ocre, qui laisse le nombril apparent. Court, près du corps  et en partie plissé, il a souffert des affres du temps... "Les surfaces du pagne ont été recouvertes de stuc blanc avant l'application de la peinture. Des traces de couleur chair rosée, appliquées directement sur le bois de cèdre fin et foncé, apparaissent sur le corps" précise William C.  Hayes dans "Scepter of Egypt I". 


Le visage du souverain est à la fois rond et large, avec ses pommettes marquées. Les yeux sont  très étirés et la ligne des sourcils épouse leur forme. Le nez a souffert, les lèvres sont épaisses avec des fossettes aux commissures. Le trou apparent sous le menton devait être le point d'accroche de la barbe postiche.

"Guardian Figure" découverte entre mars et mai 1914 à Lisht 
dans une chambre du mur d'enceinte de la tombe d'Imhotep 
par l'Expédition du Metropolitan Museum of Art dirigée par Albert Morton Lythgoe 
bois de cèdre - XIIe dynastie - règne d'Amenemhat II
Metropolitan Museum of Art New York - numéro d'entrée : 14.3.17 (photo du Met)


Autre attribut du pouvoir, Pharaon porte la coiffe de la Basse-Egypte (desheret). "La couronne rouge se présente comme une sorte de mortier dont la partie postérieure remonte à la verticale et dans lequel est fichée une tige terminée en spirale (la khabet)" précise Isabelle Franco dans son dictionnaire. "La couronne est plâtrée et peinte d'ocre rouge" (Metropolitan Museum of Art de New York), mais elle a souffert et accuse de nombreuses lacunes.   


Cette statue a beaucoup de charme, par la qualité de sa réalisation, par sa "plastique"  et également par les contrastes  qu'apportent le jaune du pagne et le rouge de la couronne.

"Guardian Figure" découverte entre mars et mai 1914 à Lisht 
dans une chambre du mur d'enceinte de la tombe d'Imhotep 
par l'Expédition du Metropolitan Museum of Art dirigée par Albert Morton Lythgoe 
bois de cèdre - XIIe dynastie - règne d'Amenemhat II
Metropolitan Museum of Art New York - numéro d'entrée : 14.3.17 (photo du Met)

Christine Lilyquist livre cette merveilleuse analyse : "Cette figure présente la force de la sculpture thébaine de la 11e Dynastie ainsi qu'une subtilité de modelage dans le torse et une finition dans les détails qui la porte presque dans le domaine du portrait. Dans la meilleure tradition de la sculpture égyptienne, elle est stylisée tout en alliant une réserve distante à une virilité vibrante". Elle a été découverte à Lisht qui est, aujourd'hui, le nom d'un petit village situé à 60 km au sud du Caire. C'est de cet endroit que, pendant une certaine période de l'antiquité, rayonna l'Égypte. En effet, cet emplacement fut choisi par Amenemhat Iᵉʳ, fondateur de la XIIᵉ dynastie (vers 1985 -1773 av. J-C.), pour y établir la nouvelle capitale de son royaume. Tj-Taouy (littéralement "Amenemhat-saisit-le-Double-Pays") fut créée, "manifestement ex nihilo, pour y abriter la Résidence royale en lieu et place de Thèbes où siégeaient jusqu'alors les pharaons de la XIᵉ dynastie".

La nécropole royale qui lui est attachée abrite, outre le complexe funéraire de son fondateur, celui de son fils et successeur Sesostris Ier. Ce complexe est composé de sa propre pyramide, ainsi que de neuf autres, plus petites, dédiées aux reines et princesses. Au-delà des murs d'enceinte se trouvent de nombreuses tombes de hauts fonctionnaires.

"Guardian Figure" découverte entre mars et mai 1914 à Lisht 
dans une chambre du mur d'enceinte de la tombe d'Imhotep 
par l'Expédition du Metropolitan Museum of Art dirigée par Albert Morton Lythgoe 
Metropolitan Museum of Art New York - numéro d'entrée : 14.3.17
publiée ici dans "Some Royal Portraits of the Middle Kingdom in Ancient Egypt" 
in Metropolitan Museum Journal, 3, Cyril Aldred ET "attribuée" à Sesostris Ier


Le site fut fouillé, sommairement, dès 1882 par Gaston Maspero, puis plus longuement, en 1894 et 1895, par Etienne Paul Joseph Gautier et Gustave Jéquier de l'IFAO. Il fut ensuite "investi" par le Metropolitan Museum. Pendant neuf saisons - entre 1907 et 1934 -, les fouilles y seront dirigées par le conservateur du musée, Albert Morton Lythgoe, ainsi que par Ambrose Lansing et Arthur Mace.


Entre mars et mai 1914, A.M. Lythgoe "redécouvrit" le grand complexe funéraire du chancelier Imhotep qui n'avait été que partiellement fouillé en 1894 par Gautier. Les investigations entreprises au sud du mur d'enceinte conduisirent à la découverte d'un dépôt contenant deux statues presque identiques, à la différence qu'elles portaient, l'une la couronne rouge de Basse-Egypte (desheret) et l'autre, la couronne blanche de Haute-Egypte (hedjet). Orientées : "face à l’est, elles se tenaient côte à côte derrière un petit naos en bois". 


Le Metropolitan fournit l'explication suivante : "Une chambre avait été aménagée dans la partie sud du mur d'enceinte et les statuettes ainsi que le sanctuaire y étaient cachés, sans doute après avoir joué un rôle dans une cérémonie funéraire".

Statue de Sésostris Ier découverte entre mars et mai 1914 à Lisht 
dans une chambre du mur d'enceinte de la tombe d'Imhotep 
par l'Expédition du Metropolitan Museum of Art dirigée par Albert Morton Lythgoe 
Bois de cèdre - XIIe dynastie - règne d'Amenemhat II - Musée Egyptien du Caire - JE 44951

Lors du partage des fouilles, les statues qui reposaient ensemble depuis plus de 3800 ans furent séparées. Celle à la couronne blanche symbolisant la Haute-Egypte a rejoint le musée du Caire où elle a été enregistrée au Journal des Entrées sous la référence JE 44951. 


Quant à la seconde, portant la couronne rouge symbolisant la Basse-Egypte, elle est partie vers le Metropolitan Museum of Art de New York où elle est exposée sous le n° d'entrée 14.3-17.


Ces deux statues étaient anépigraphes : elles ont été attribuées à Sesostris Ier parce qu'elles ont été trouvées près de sa pyramide, mais il arrive qu'elles soient attribuées à un autre pharaon, comme Amenemhat II ou encore Sesostris II. 


Il est à noter que, si clairement le Musée du Caire attribue "sa" statue à Sésostris Ier, le Metropolitan, lui,  attribue à la sienne le nom de "Guardian Figure".


marie grillot

 

sources :


The Metropolitan Museum of Art New York

https://www.metmuseum.org/art/collection/search/543864

https://books.google.fr/books?id=a08kkuWhv7wC&printsec=frontcover&redir_esc=y&hl=fr#v=onepage&q=bahari&f=false

Hayes, William C. 1953. Scepter of Egypt I: A Background for the Study of the Egyptian Antiquities in The Metropolitan Museum of Art: From the Earliest Times to the End of the Middle Kingdom. Cambridge, Mass.: The Metropolitan Museum of Art, p. 192, fig. 117.

https://www.metmuseum.org/art/metpublications/The_Scepter_of_Egypt_Vol_1_From_the_Earliest_Times_to_the_End_of_the_Middle_Kingdom?fbclid=IwAR3C3MQZlsj_PIWEfnEqB5MwfBDjZcJhMEwOr8s9ijRwtXrOZWepwlAY-5M

Lilyquist, Christine, Peter F. Dorman, and Edna R. Russmann 1983. The Metropolitan Museum of Art Bulletin, vol. 41, no. 3 (Winter)

https://www.metmuseum.org/art/metpublications/Egyptian_Art_The_Metropolitan_Museum_of_Art_Bulletin_v_41_no_3_Winter_1983_1984?Tag=&title=&author=&pt=%7B05598FA1-8F02-4579-A088-9F7BC7165316%7D&tc=&dept=

Aldred, Cyril 1970. "Some Royal Portraits of the Middle Kingdom in Ancient Egypt." In Metropolitan Museum Journal, 3

https://www.metmuseum.org/art/metpublications/Royal_Portraits_of_the_Middle_Kingdom_in_Ancient_Egypt_The_Metropolitan_Museum_Journal_v_3_1970

Vandier, Jacques 1958. Manuel d'archéologie égyptienne: Les grandes époques: La statuaire, 3. Paris, 174, 215, 358; pl. 59.

el-Licht : Capitale et Résidence royale de l'Égypte ancienne" (IFAO)

https://www.ifao.egnet.net/recherche/activites-passees/axes2012/espaces-pouvoir/2012-lisht/

Musée Égyptien du Caire

http://www.globalegyptianmuseum.org/record.aspx?id=14858


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