lundi 21 décembre 2020

Une coupe en forme de lotus blanc aux noms d'Amenhotep IV et Nefertiti

Coupe portant les noms du roi Amenhotep IV et de la reine Nefertiti - travertin (albâtre égyptien)
Nouvel Empire - Période Amarnienne - XVIIIe dynastie - 1353-1336 av. J.-C.
Metropolitan Museum of Art de New York - n° d'entrée : 22.9.1 - acquis au Caire, chez Nicholas Tano, en 1922 - photo du Met

Cette ravissante coupe, œuvre d'un artiste de grand talent, est délicatement façonnée dans une roche blanche et translucide qui s'apparente à l'albâtre. "Le travertin utilisé dans l'Égypte ancienne est fréquemment décrit comme 'albâtre égyptien' ou simplement 'albâtre'. Cette terminologie, cependant, est incorrecte, car le véritable albâtre, tel que reconnu par les géologues, est composé de gypse. Le travertin est une roche sédimentaire et une variété de calcaire constitué en grande partie de calcite (carbonate de calcium) ou d'aragonite (une autre forme de carbonate de calcium)… Les carrières de travertin les plus connues sont situées à environ 18 km au sud-est d'Amarna en Moyenne-Egypte" précisent Paul T. Nicholson et Ian Shaw dans "Ancient Egyptian Materials and Technology".

Haute de 14 cm et d'un diamètre de 10,5 cm, elle est composée d'un élégant piédouche sur lequel repose le "réceptacle". Celui-ci s'épanouit généreusement en épousant la forme gracieuse d'une fleur ouverte. Ce type de motif "floral", le lotus - tout comme le papyrus -, se retrouve fréquemment dans l'art égyptien, des chapiteaux de colonnes aux objets de toilette, des bijoux à la vaisselle…
Coupe portant les noms du roi Amenhotep IV et de la reine Nefertiti - travertin (albâtre égyptien)
Nouvel Empire - Période Amarnienne - XVIIIe dynastie - 1353-1336 av. J.-C.
Metropolitan Museum of Art de New York - n° d'entrée : 22.9.1 - acquis au Caire, chez Nicholas Tano, en 1922 - photo du Met

Trois espèces différentes de lotus sont habituellement répertoriées sur le sol égyptien : le lotus bleu, avec ses feuilles à bord linéaire, ses boutons effilés en pointe et ses pétales étroits et aigus, le lotus blanc qui est caractérisé par ses feuilles à bord dentelé, ses boutons arrondis, ses pétales étalés et son odeur forte, et le lotus rose des Indes, qui fut introduit en Égypte par les Perses autour de 500 av. J.-C..

La forme particulière des pétales ne laisse aucun doute : il s'agit bien là d'un lotus  blanc d'Egypte, soit le Nymphœa Lotus L.. Sa représentation est beaucoup plus rare que le bleu qui est synonyme de renouveau, de renaissance, car il s'ouvre au matin, caressé par les rayons du soleil, et se ferme le soir, étant ainsi étroitement lié au cycle de la vie…

Le lotus blanc, lui, ne s'épanouit qu'au crépuscule, ce qui lui confère une toute autre symbolique. Selon certaines sources : "Le lotus blanc qui ne s'ouvre que la nuit était associé au soleil et à la lune et aux forces opposées de la lumière et de l'obscurité". Lié à la nuit, il serait, de ce fait "une fleur d'Osiris" ("The Grammar of the Lotus : A New History of Classic Ornament as a development of sun workship", William Henry Goodyear).
Coupe portant les noms du roi Amenhotep IV et de la reine Nefertiti - travertin (albâtre égyptien)
 Nouvel Empire - Période Amarnienne - XVIIIe dynastie - 1353-1336 av. J.-C.
Metropolitan Museum of Art de New York - n° d'entrée : 22.9.1 - acquis au Caire, chez Nicholas Tano, en 1922 - photo du Met

Cette explication fort intéressante prouve une nouvelle fois, la symbolique dont les anciens Égyptiens "imprégnaient" chaque objet. Ainsi dans "Tutankhamun : his tomb and its treasures", I.E.S. Edwards a-t-il suggéré que les "'vaisselles' apparentées au lotus blanc étaient pour un usage quotidien alors que celles à l'image du lotus bleu étaient à des fins rituelles"…

Sur le devant, au centre du pétale "central" se trouve un rectangle dans lequel sont gravés cinq cartouches (deux grands et trois petits) ainsi que des signes hiéroglyphiques qui nous permettent d'attribuer et de dater cet artefact. "Le nom de roi (Nefer-kheperou-Rê, bien-aimé de Rê) et le nom personnel d'Amenhotep IV sont inscrits dans la partie latérale, entre deux cartouches entourant le premier titre d'Aton (à gauche) et un cartouche nommant la grande reine, Nefertiti (à droite). Ainsi, le récipient doit avoir été fabriqué avant l'an 5 du règne du roi, quand il a changé son nom en Akhenaton" précise le Metropolitan Museum of Art de New York.
Coupe portant les noms du roi Amenhotep IV et de la reine Nefertiti - travertin (albâtre égyptien)
 Nouvel Empire - Période Amarnienne - XVIIIe dynastie - 1353-1336 av. J.-C.
Metropolitan Museum of Art de New York - n° d'entrée : 22.9.1 - acquis au Caire, chez Nicholas Tano, en 1922 - photo du Met

Dans "Scepter of Egypt II", William C. Hayes confirme cette datation : "Le gracieux calice en albâtre a été évidemment sculpté au début du règne. Dans le panneau gravé sur son côté, nous trouvons les cartouches d'Aton donnés dans leur forme antérieure, le roi désigné dans son deuxième cartouche comme 'Amon-hotep', le Dieu, souverain de Thèbes', et le nom de la Grande Epouse Royale, Nefret-ity, écrit sans son nom atonien". 

Ainsi cette coupe est-elle dédiée au couple "solaire" formé par Amenhotep IV devenu Akhenaton, androgyne au visage émacié et au ventre proéminent, et à "sa reine", Nefertiti au port altier et à la beauté qui jamais ne s'altérera… 

Dans "Douze reines d'Égypte", Pierre Tallet nous donne ces informations sur sa présence aux côtés du pharaon : "Nefertiti surgit brutalement dans la documentation pour être systématiquement associée à son époux, en l'an 4 du règne qui marque lui-même le début de la réforme amarnienne"…
Nefertiti, Akhenaton et une de leurs filles dans une scène d'adoration d'Aton 
Musée du Caire - TR 10/11/26/4

La conception de ce récipient est donc concomitante au tout début du règne du couple royal et de la construction d'Akhetaton… "Avant même de quitter Thèbes vers l'an 6 ou 7 du règne, pour la Cité du Globe (Tell el-Amarna), Amenhotep IV change de nom et prend celui d'Akhenaton "Lumière d'Aton". Etant celle en qui se manifeste la beauté du dieu, Nefertiti elle même ajoute à son cartouche celui de Neferneferouaton" précise Christian Leblanc dans ses "Reines du Nil".

Cependant, selon William C. Hayes, ce calice ne semble pas provenir de la cité d'Aton : "On dit qu'il provient, non de Tell el Amarneh, mais d'une tombe 'ailleurs en Haute-Égypte'".

Cette précieuse indication a-t-elle été communiquée au Metropolitan par Nicholas Tano, lors de l'acquisition, en 1922, dans la capitale égyptienne ? 

Ce collectionneur chypriote d'origine grecque était selon le "Who was Who" : "marchand d'antiquités égyptiennes au Caire, 53 Sh. Ibrahim Pacha, anciennement à 7 Sh. Kamel, en face du vieil hôtel Shepheard".

Calice - ou coupe  avec, au centre un lotus blanc et, de chaque côté, un lotus bleu
"Wishing cup" pour l'immortalité du bienfaiteur de Thèbes - calcite
provenant de la tombe de Toutankhamon (KV 62) -  Réf : N° 14 Carter - JE 67465 - GEM 36

Comment ne pas céder à la tentation de le "rapprocher" de l'élément central de la 'wishing cup' de Toutankhamon ? Bien sûr, pour ce dernier artefact, l'artiste a été plus "généreux" dans la forme et a ajouté les anses composées de trois tiges de lotus bleu : mais ne peut-on y voir une source d'inspiration, ou bien une forme plus "aboutie" provenant d'un même atelier ?

marie grillot

sources :
Goblet Inscribed with the Names of King Amenhotep IV and Queen Nefertiti
https://www.metmuseum.org/art/collection/search/545756?searchField=All&sortBy=Relevance&ft=NEFERTITI&offset=0&rpp=20&pos=1
William C. Hayes, Scepter of Egypt II : A Background for the Study of the Egyptian Antiquities in the Metropolitan Museum of Art : The Hyksos Period and the New Kingdom (1675-1080 B.C.), 1959,  Cambridge, Mass.: The Metropolitan Museum of Art, p. 355.
https://books.google.co.uk/books?id=2lrrqjkkWWEC&printsec=frontcover&redir_esc=y#v=snippet&q=ibex&f=false
The Hyksos Period and the New Kingdom (1675–1080 B.C.)
"Ecclesiastical Vestments of the Middle Ages: An Exhibition": The Metropolitan Museum of Art Bulletin, v. 29, no. 7 (March, 1971)
Paul T. Nicholson, Ian Shaw, Ancient Egyptian Materials and Technology, Cambridge University Press, 2009
https://books.google.fr/books?id=Vj7A9jJrZP0C&pg=PA57&lpg=PA57&dq=serpentine+karlshausen&source=bl&ots=zu43rhvGLv&sig=ACfU3U12ojtGokhGEQawyj911OJwTdDDrw&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjmv6jqjIHpAhVEqxoKHUieATkQ6AEwAHoECAoQAQ#v=onepage&q=travertine&f=false
Victor Loret, La flore pharaonique d'après les documents hiéroglyphiques et les spécimens découverts dans les tombes, Annales de la Société botanique de Lyon, tome 15, Notes et Mémoires - 1887. 1888. pp. 1-64
https://doi.org/10.3406/linly.1888.4842 https://www.persee.fr/doc/linly_1160-6436_1888_num_15_1_4842
William Henry Goodyear, The Grammar of the Lotus : A New History of Classic Ornament as a development of sun workship, Partie 1, London 1891
https://books.google.fr/books?id=0rwOAQAAMAAJ&pg=PA18&dq=significance+white+lotus+Egypt&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwirnenM8NftAhVD4YUKHUDqDugQ6AEwA3oECAUQAg#v=onepage&q&f=false
W. Benson Harer Jr., Pharmacological and Biological Properties of the Egyptian Lotus, Journal of the American Research Center in Egypt, Vol. 22 (1985), pp. 49-54 (6 pages)
https://www.jstor.org/stable/40000390?read-now=1&refreqid=excelsior%3Ad89b8e191b866c08dfe65287ea7b69c6&seq=1#page_scan_tab_contents)
Bridget McDermott, Decoding Egyptian Hieroglyphs: How to Read the Secret Language of the Pharaohs, Chronicle Books, 2001
https://books.google.fr/books?id=O66TDgAAQBAJ&pg=PA40&dq=meaning+white+lotus+Egypt&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwievtKp6tftAhWM2BQKHYfMCzMQ6AEwBHoECAQQAg#v=onepage&q=meaning%20white%20lotus%20Egypt&f=false
Iorwerth Eiddon Stephen Edwards, Tutankhamun : his tomb and its treasures, The Metropolitan Museum of Art, 1977
Christian Leblanc, Reines du Nil, La bibliothèque des introuvables, 2009
Pierre Tallet, 12 reines d'Egypte qui ont changé l'histoire, Pygmalion, 2013
Morris L. Bierbrier, Who Was Who in Egyptology, London, Egypt Exploration Society, 2012

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