Masque d'une momie de femme - toile, plâtre peint - Epoque romaine - IIe siècle ap. J.-C. provenant de Nazali Ganoub près de Meir (Moyenne-Egypte) entré au Musée du Caire en 1888 - CG 33130 |
Avec la dynastie macédonienne d'Alexandre le Grand, avec les Lagides et leur cortège de Ptolémées et de Cléopâtres, avec les empereurs romains, l'Égypte devint le "réceptacle" de nouvelles populations… Si elles s'assimilèrent bien au pays, elles ne manquèrent pas d'importer une nouvelle façon de vivre, ainsi que traditions et coutumes…
La vie quotidienne, et bien sûr la culture et les arts, furent impactés. Cela se ressent dans l'architecture mais aussi de manière plus "intimiste" dans cette perpétuelle quête d'éternité qui se traduit notamment dans les rituels funéraires…
Dans "Ta Set Neferou" (volume 5), Christian Leblanc nous livre son intéressante lecture : "Ce qui frappe l'esprit lorsqu’on parvient précisément à cette époque tardive, c'est ce nécessaire besoin, pour ne pas dire cette volonté, de vouloir préserver l'essentiel de la pensée égyptienne, comme si l'on pressentait sa disparition imminente". Et il ajoute : "Pour sa part, le concept d'immortalité, qui n’a rien perdu de sa vitalité, se perpétue et le 'devenir osirien' ne touche plus seulement les élites de la société. Désormais, comme une sorte de 'démocratisation', tout individu peut prétendre à une vie éternelle"…
Si les nouveaux "maîtres" du pays ont "adhéré", dans leur ensemble, aux pratiques de la momification, ils en ont aussi modifié certains aspects, les adaptant à leurs propres canons esthétiques.
Ainsi, après la sobriété et le recueillement des masques de momies ou de sarcophages de l'époque "pharaonique", nous voici face à de nouvelles représentations du défunt.
Si les portraits dits du Fayoum nous fascinent avec leur regard profond et leur présence sublimée par une véritable technique picturale, nous ne manquons pas d'être surpris par ce type de masque de momie …
Eugène Grébaut l'exprime très bien ainsi : "On sait combien, à partir du premier siècle avant notre ère, la décoration des cercueils et des momies se modifia sous l'influence du goût alexandrin. Tandis qu'au Fayoum on remplaçait le masque traditionnel par un portrait, peint à la cire sur un panneau de bois qu'on fixait au-dessus de l'endroit où la tête de la momie se trouvait, ailleurs on conservait l'usage du relief, mais on substituait à la représentation osirienne du mort son buste vêtu de l'habit d'apparat".
Daté du IIe siècle ap. J.-C., ce masque de momie de femme est haut de 52 cm, large de 34 et, avec son dosseret, profond de 44 cm.
Il est en toile et plâtre peint et sa conception est d'un style très particulier, comme le traduisent si bien Mohamed Saleh et Hourig Sourouzian dans leur "Catalogue officiel du Musée Egyptien du Caire" : "La technique en est curieuse. Toute la portion que la tête emboîtait avait pour substratum une ou plusieurs épaisseurs de toile grossière, tendues sur une légère carcasse en bois, bâtie de manière à figurer d'une manière générale la forme de la moitié supérieure de la momie. On répandait sur la partie correspondante à la poitrine une couche mince de plâtre fin ou de terre qu'on recouvrait d'un lait de chaux. Deux saillies médiocres levées symétriquement simulaient le sein des femmes d'une façon plus que sommaire, mais les parties du corps qui sont découvertes à l'ordinaire, les mains et la face, étaient exécutées avec un soin réel. On les préparait à part, et on les appliquait à l'endroit voulu, la main gauche allongée sur le creux de la poitrine, la main droite fermée, un peu au-dessus de la main gauche; on donnait au masque la ressemblance du vivant autant du moins qu'on le pouvait, et, après l'avoir fixé solidement à sa place, on appliquait autour de lui les accessoires de coiffure, de toilette, ou de couronne que le modèle comportait".
Même si l'expression de ce portrait est difficile à qualifier, on ne relève aucune note de tristesse dans le regard, pas plus que le sentiment d'un questionnement relatif à un au-delà inconnu.
Les sourcils sont épais, matérialisés par une large ligne noire et traités comme s'ils étaient "brossés" à coups de petits traits entrecroisés.
Le nez est quelconque et la bouche est petite. Les lèvres fines sont "maquillées" de rose et les commissures accusent un curieux pli d'expression. Les oreilles sont bien dessinées. Quant à la coiffure, elle a souffert et s'est délitée… "Les cheveux, qui pendent de chaque côté du cou, étaient composés de fibre végétale, peinte en noir. Il y a une couronne sur le dessus de la tête, faite de minces morceaux de plâtre torsadés (comme des pétales de rose) fixés sur une saillie en forme de rouleau et teintée de rose sur le dessus" (Edgar Campbell Cowan, "Graeco-Egyptian coffins, masks and portraits").
La gorge est ornée de deux colliers. Le premier est un ras de cou à deux rangs alors que le second est long et descend entre les seins. Il est composé de perles diverses, rondes et allongées et de différentes couleurs, ponctuées de carrés verts.
Au bas de son vêtement, un chiton rouge orné de bandes noires, sont plaquées ses deux mains. Les plis des doigts ainsi que le contour des ongles sont peints en rouge. A chaque poignet est enroulé un bracelet en forme de serpent. L'auriculaire et l'annulaire gauches portent une bague. Les bijoux sont peints en jaune pour restituer l'apparence de l'or.
Ce qui est resté purement égyptien, précisent Mohamed Saleh et Hourig Sourouzian : "C’est la décoration du 'coussin' qui supporte le masque et enferme la tête de la momie. On y voit des divinités protectrices comme Osiris, Isis et Horus, Anubis, Sokar et Nephthys et en tête, un faucon aux ailes déployées"…
La provenance indiquée pour ce masque de l'époque romaine est Nazali Ganoub, qui se trouve à une vingtaine de kilomètres de la nécropole de Meir, sur la rive ouest du Nil, en Moyenne-Egypte. Dans "The Beautiful Burial in Roman Egypt : Art, Identity, and Funerary Religion", Christina Riggs nous apporte ces indications précieuses : "Le site est surtout connu des égyptologues pour ses tombes de l'Ancien et du Moyen Empire, décorées de manière vivante, taillées dans l'escarpement de pierre qui s'élève abruptement du plateau désertique. Certaines parties de la nécropole de Meir ont continué à être utilisées à l'époque romaine, et entre 1888 et 1914, un certain nombre de masques et de momies y ont été découverts. Au cours de l'année 1888, dix masques de momie ont été envoyés depuis la gare la plus proche, Nazali Ganoub, au Musée égyptien du Caire, qui était alors situé à Boulaq".
Aucune indication plus précise n'est portée sur le lieu de la découverte, pas plus que sur l'identité de la défunte…
Ce masque a été enregistré, en 1888, au Catalogue Général du Musée du Caire sous la référence CG 33130.
marie grillot
sources :
Eugène Grébaut, Le Musée égyptien - Recueil de monuments et de notices sur les fouilles d'Egypte, Tome premier, IFAO, Le Caire, 1890-1900
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5808100r/f35.item.r=MASQUE
Gaston Maspero, Le Musée Égyptien - Recueil de monuments et de notices sur les fouilles d'Égypte, Tome second, Le Caire, IFAO, 1904
https://archive.org/details/lemusegyptie02egyp/page/n1/mode/2up
Campbell Cowan Edgar, Catalogue Général des Antiquités Egyptiennes du Musée du Caire, Graeco-Egyptian coffins, masks and portraits, IFAO, Le Caire, 1905
https://archive.org/stream/graecoegyptianco00edga/graecoegyptianco00edga_djvu.txt
Mohamed Saleh, Hourig Sourouzian, Catalogue officiel du Musée Egyptien du Caire, Verlag Philippe von Zabern, 1997
Christian Leblanc, André Macke, Christiane Macke-Ribet, Jacques Connan, Ta Set Neferou", Volume 5, Le Caire, 2002
Christina Riggs, The Beautiful Burial in Roman Egypt: Art, Identity, and Funerary Religion, Oxforrd University Press, 2006
https://books.google.fr/books?id=5pLX9rLqelQC&pg=PA110&lpg=PA110&dq=Meir%2C%20Nazali%20Ganoub&source=bl&ots=RVwZsXPpYt&sig=ACfU3U2801t5sajfmaH4y8aGu35VmsfPiQ&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwiJg6KnxpvtAhUO2BoKHZpWB1QQ6AEwAHoECBAQAg&fbclid=IwAR3ik0x979L4iLGMS0Uq0mo1umwmAB__GDkxqTbUQXOZdkmFRLhVI2NxDTQ#v=onepage&q=Meir%2C%20Nazali%20Ganoub&f=false
https://www.academia.edu/12439626/The_Beautiful_Burial_in_Roman_Egypt_Art_Identity_and_Funerary_Religion_Oxford_and_New_York_Oxford_University_Press_2006
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