mardi 10 novembre 2020

Auguste Mariette (1821-1881). Des berges de la Liane aux Rives du Nil : une biographie passionnante du grand égyptologue

"AUGUSTE MARIETTE (1821-1881)  Des berges de la Liane aux rives du Nil" par Jean-Louis Podvin
(publié aux éditions L'Harmattan)

 

Auguste Mariette, découvreur notamment du Serapeum de Sakkarah, créateur du service de conservation des antiquités, fondateur du premier musée d'antiquités égyptiennes à Boulak, auteur du livret d'Aïda … Comment s'est tracé le destin de cet homme qui a posé les bases de la préservation des monuments en terre des pharaons ? Comment est née cette passion ? Comment a-t-elle pu s'épanouir, entre vie familiale, difficultés financières, intrigues politiques et soucis de santé ? De la Liane, fleuve qui se jette dans la Manche à Boulogne-sur-Mer sa ville natale, au Nil qu'il a tant sillonné sur le "Samanoud" ou le "Menshieh", ce Nil auprès duquel il repose à jamais, nous suivons ce géant, ce "sanguin" au cœur tendre… Une vie au long cours qui nous transporte dans un siècle, pas si lointain, où les temples étaient sous les sables, où les statues n'attendaient qu'un coup de pioche pour être découvertes, où les momies n'étaient pas respectées, où les monuments étaient abandonnés… Au-delà de ses réalisations, de ses découvertes, de ses écrits, que reste-t-il, aujourd'hui de Mariette dans "ses" deux pays ?

Jean-Louis Podvin*, docteur en égyptologie et professeur d'histoire ancienne à l'Université Littoral Côte d'Opale, répond à ces questions et à bien d'autres, dans l'ouvrage qu'il vient de faire paraître chez L'Harmattan, à l'occasion du bicentenaire de la naissance du grand égyptologue.

 


EA : Auguste Mariette, fonctionnaire et journaliste, doué pour le dessin, sera "mené" vers l'Egypte par deux faits marquants : l'acquisition, en 1837 par le musée de sa ville de Boulogne d'une momie égyptienne de la collection de Vivant Denon, et surtout par l'étude qu'on lui confie, en 1842, des archives de Nestor L'Hôte, qui fut notamment le dessinateur de Champollion et Rosellini lors de l'expédition franco-toscane de 1828-1829 ?

 

JLP : Né à Boulogne-sur-Mer en 1821, fils d’un secrétaire de mairie, Auguste fait ses études au collège qui vient d’ouvrir, puis devient un temps aide-rédacteur à la mairie, avant de partir un an enseigner le français en Angleterre. De retour en France, il passe le baccalauréat en 1841 et devient professeur de français, métier qu’il mène en parallèle avec une activité de journaliste et de professeur de dessin. Il se passionne pour l’Égypte en examinant la collection du musée de Boulogne qui a acquis par souscription une momie et ses sarcophages en 1837, et en classant les documents et croquis d’un collaborateur de Champollion, Nestor L’Hôte, en 1842. L’Égypte devient une obsession pour celui qui a épluché tous les ouvrages de la riche bibliothèque de sa ville (une des plus importantes hors de Paris), s’est fait connaître des milieux parisiens par ses publications, en particulier celle de la collection égyptienne du musée, et il obtient en 1848 un petit poste au musée du Louvre pour classer les papyrus. Il vit chichement à Paris avec son épouse et ses enfants sans cesse plus nombreux depuis son mariage en 1845. 

 

EA : Après plusieurs demandes - justifiées par ses études et publications - et après avoir essuyé quelques refus, le Louvre finit par lui octroyer un poste d'auxiliaire de conservation, puis à lui confier, en 1850, une mission en Egypte : l'achat de manuscrits coptes. Mais les finances serviront à tout autre chose ? 

 

JLP : En 1850, son opiniâtreté est récompensée : il est envoyé en Égypte y acheter des manuscrits coptes avec une somme de 6000 francs. Arrivé sur place, il ne peut les acquérir, car les autorités religieuses, échaudées par une mauvaise expérience avec des Britanniques, le font patienter encore et encore. Le bouillant Mariette décide alors d’utiliser son argent à d’autres fins. Subjugué par le paysage des pyramides qui s’offre à lui, il se lance dans des fouilles à Sakkarah, là où on lui a dit avoir retrouvé des sphinx. Lui qui n’a jamais fouillé a la chance du débutant : il découvre un, puis plusieurs sphinx et une allée menant à des catacombes, le Serapeum de Memphis, enseveli sous plusieurs mètres de sable. L’affaire prend aussitôt une tournure diplomatique, car il n’avait pas d’autorisation. Finalement, après moult négociations, la France obtient que les objets découverts par Mariette rejoignent le Louvre (1854). Il a mis au jour le Serapeum de Memphis, avec les énormes sarcophages des taureaux Apis et le mobilier funéraire qui les accompagne.

Le couloir des grands souterrains du Serapeum
publié dans "Choix de monuments et de dessins" d'Auguste Mariette", 1856

EA : Ses fouilles, au Serapeum et aux pyramides, permettent de découvrir des centaines de statues et des monuments inconnus jusqu'alors … A son retour en France la reconnaissance dont il jouit est grande… mais cependant fragile… Entre "protections" et jalousies, entre intérêts et diplomatie, il œuvre pour revenir en Egypte… C'est finalement Ferdinand de Lesseps, qui interviendra, en 1857, afin qu'il y prépare le voyage du Prince Napoléon "Plonplon" ? 

 

JLP : Il s’ennuie très vite à son retour en France, à la fin de l’année 1854. Certes, il classe et inventorie les pièces qu’il a rapportées d’Égypte, il visite de grandes collections européennes, prépare des publications sur les découvertes qu’il a réalisées, reçoit des récompenses prestigieuses, mais il se sent à l’étroit, et en vient même à regretter l’inconfort de la maison Mariette à Sakkarah, où il vivait avec sa femme qui n’avait pas hésité à le rejoindre. En 1857, il bondit sur l’occasion qui lui est offerte de repartir sur les bords du Nil, même si préparer une collection pour le Prince Napoléon n’était sans doute pas ce qu’il espérait.

 

Bijoux et armes découverts dans le cercueil de la reine Ahhotep I 
Auguste Mariette, Album du musée de Boulaq, Paris 1872

EA :  Avec cette importante mission "diplomatique", Mariette est "rentré en grâce" auprès du Vice-Roi et a réussi à le sensibiliser à la nécessité de protéger les monuments : il est nommé Mamour (directeur des antiquités de l'Egypte) le 1er juin 1858 : un travail énorme l'attend ? 

 

JLP : Mariette obtient en effet de retourner en Egypte en 1857 avec une idée forte qu’il avait dû cacher dans son projet pour le faire aboutir : que les antiquités découvertes dans le pays restent sur place et qu’elles soient conservées dans un musée national. Dès l’année suivante, il est nommé par le Vice-Roi directeur du Service des Antiquités qui organise des fouilles dans tout le pays, et il est placé à la tête du musée à créer. Il fouille à Gizeh, Abydos, Dendérah, Karnak, Edfou… Les découvertes s’enchaînent, même si Mariette doit batailler - au propre comme au figuré - avec les autorités locales et avec les "marchands" (le terme "pilleurs" serait plus adapté) d’antiquités. L’épisode de la découverte de la sépulture de la reine Aahhotep en 1859 est particulièrement emblématique : il n’hésite pas à en venir aux mains avec les équipes du gouverneur local pour apporter lui-même au Vice-Roi les bijoux de la reine, et de pouvoir ainsi les conserver pour le musée qui va naître. En 1867, lors de la présentation des bijoux de la reine Aahhotep en France, il refuse de les offrir à l’impératrice Eugénie, quitte à se brouiller avec la famille impériale. 

La cour du musée de Boulaq - photo L. Fiorillo


EA : Avec bien des difficultés, engendrant bien des retards, il ouvre enfin "son" musée, à Boulak, dans des entrepôts désaffectés réhabilités à moindres frais : ce premier musée d'antiquités égyptiennes, inauguré le 16 octobre 1863, il le considère clairement comme l'œuvre de sa vie ?

 

JLP : Ce musée, il y tenait par-dessus tout. C’était le prolongement de sa politique de fouilles, pour que le plus grand musée sur l’Égypte soit en Égypte même et puisse accueillir des visiteurs. Des musées avaient bien existé avant lui, mais les Vice-Rois en avaient distribué le contenu à des visiteurs prestigieux. Avec Mariette, le but est vraiment la conservation. Il a ses idées sur la muséographie, prévoit le décor des salles, celui des vitrines d’exposition. Au passage, il a mis cette expérience muséographique au service de sa ville natale en conseillant la commission du musée boulonnais à la fin de sa vie.

Son musée, installé dans d’anciens entrepôts désaffectés à Boulak, subit à plusieurs reprises des inondations. À chaque fois, Mariette relève le défi et le réinstalle, suscitant l’admiration des visiteurs prestigieux comme Félicien de Saulcy ou Émile Guimet.

Auguste Mariette supervisant une fouille à Sakkarah 


EA : Les chantiers de fouilles s'ouvrent, partout le long du Nil qu'il sillonne au moyen des vapeurs mis à sa disposition par le vice-roi : grâce à lui, l'histoire de l'Egypte sort des sables… Il écrit, il découvre, il présente l'Egypte aux expositions universelles, de Londres, de Paris, il la met en scène dans le livret d'Aïda, dont il crée décors et costumes pour l'inauguration du Canal de Suez. Et il s'épuise : son diabète est là, ses problèmes d'ophtalmie aussi ?

 

JLP : Il est chargé par le gouvernement égyptien de faire rayonner le pays lors des expositions universelles, une tâche dont il s’acquitte avec brio à Paris en 1867 et 1878, mais aussi à Vienne en 1873. En 1869, il organise un itinéraire pour les personnalités à l’occasion de l’inauguration du Canal de Suez creusé par Ferdinand de Lesseps, et il les conduit à travers les sites de la vallée du Nil. Il est encore l’auteur de l’histoire de l’opéra Aïda, mis en musique par Verdi et initialement prévu pour l’inauguration. C’est lui aussi qui en réalise les costumes. Pour ces costumes comme pour les décors des pavillons égyptiens aux expositions universelles, il se montre d’une exigence et d’une rigueur redoutables.

 

EA : Ce "grand" homme, a été un mari aimant, un père affectueux… une vie de famille qui lui apportera amour et réconfort, mais aussi désespoir et tristesse : en 20 ans il perdra son épouse et 6 de ses enfants, seuls 4 survivront… 

 

JLP : Sa femme a joué un rôle essentiel auprès de lui, le soutenant et s’occupant de certains aspects matériels. Le couple a des enfants nombreux, et Auguste espère même qu’un de ses fils, Tady, prenne la relève, mais il meurt prématurément. Nous sommes au XIXe siècle, et la mortalité fait des ravages. Son épouse, Éléonore, est fauchée au Caire lors d’une épidémie de choléra en 1865. Il perd plusieurs de ses enfants, les veille jusqu’au bout quand il le peut à Boulogne, mais doit parfois apprendre leur disparation alors qu’il est en route vers l’Égypte. 

 

EA : Et il est resté très attaché à sa région natale ?

 

JLP : Ses retours réguliers en France sont en effet l’occasion de revenir dans le Nord, en particulier à Boulogne, sur les bords de la Liane. Cela explique l’importance de sa mémoire dans la ville portuaire, et l’inauguration d’un monument à sa gloire en 1882 aux pieds des remparts de la ville haute. Un boulevard, un square, un collège devenu ensuite lycée y portent son nom.

Ce monument à la mémoire d'Auguste Mariette a été installé, en 1904, dans la cour du Musée du Caire, Place Tahrir 

EA : Auguste Mariette meurt le 18 janvier 1881 à Boulak… Des funérailles nationales sont organisées, en Egypte, pour ce professeur boulonnais devenu pacha… Que reste-t-il de lui aujourd'hui dans "nos" deux pays ?

 

JLP : Il meurt en 1881, épuisé par l’immense travail accompli, par les drames familiaux qui l’ont vu perdre 6 de ses 10 enfants ainsi que son épouse, et par la maladie (diabète et ophtalmies). Son tombeau est placé dans la cour du musée de Boulak ; il est aujourd’hui dans celle du musée des antiquités du Caire.

Sa postérité est réelle. Un aérostat en 1882 et un paquebot en 1925 portent son nom. Mais Mariette était même entré dans les programmes scolaires de son vivant dès 1880, au même titre que Champollion : il faut dire que sa vie est une aventure, et les passages sur certaines de ses découvertes ne peuvent que passionner grands et petits. Théophile Gautier s’en est même inspiré pour son Roman de la momie.

 

Auguste Mariette, égyptologue français (portrait daté de 1862)
(11 février 1821, Boulogne-sur Mer - 18 janvier 1881, Le Caire)

La mémoire de Mariette est aussi le thème du colloque "Mariette : deux siècles après" que j’organise avec mon collègue lillois Didier Devauchelle en mai 2021 à Boulogne-sur-Mer. Ce sera justement l’occasion de s’interroger sur l’apport de Mariette et ce qu’il en reste. Une trentaine de chercheurs internationaux y exposeront leurs travaux : de beaux moments en perspective !


interview réalisée par marie grillot

 

*Présentation de l'auteur : Jean-Louis Podvin est Professeur d’histoire ancienne à l’Université du Littoral Côte d’Opale, Titulaire d’une thèse de doctorat portant sur le mobilier funéraire en Égypte ancienne (Lille, 1997), et d’une Habilitation à Diriger des Recherches sur le luminaire isiaque (Toulouse, 2011). Il est également auteur ou directeur de sept ouvrages, notamment "L’Égypte ancienne" (2009), "Luminaire et cultes isiaques" (2011) et "Louis Carton. De Saint-Omer à Tunis" (2017), et de plus de 140 articles.

https://hlli.univ-littoral.fr/wp-content/uploads/2020/06/Podvin_fiche-HLLI-2020.pdf

et 

https://univ-littoral.academia.edu/JeanLouisPodvin/Books



AUGUSTE MARIETTE (1821-1881)

Des berges de la Liane aux rives du Nil - Jean-Louis Podvin

publié aux éditions L'Harmattan

https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=67115


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