Sur le frêle esquif fait de bottes de roseaux liés, à la proue et à la poupe légèrement relevées, se trouvent trois personnages évoluant dans l'univers luxuriant d'un marais, riche de végétation, de volatiles, d'oiseaux, de papillons, et de poissons… Leur présence - et celle du chat qui les accompagne - semble avoir agité cette faune colorée et bigarrée qui s'égaie dans un bruissement d'ailes.
Nebamon, scribe et comptable du grain dans le grenier des offrandes divines du temple d'Amon à Karnak, sous la XVIIIe dynastie, est au centre. Il est représenté debout dans une position lui assurant l'équilibre nécessaire au lancement du boomerang qu'il tient dans sa main gauche. De son poing droit, il enserre les pattes de plusieurs oiseaux qu'il vient de capturer et qui se débattent pour recouvrer leur liberté.
Son visage est éclairé par un œil étiré, cerné de kohol. Il est coiffé d'une belle perruque à frisons. Vêtu d'un pagne de lin blanc, joliment noué sur le devant, il porte un collier ousekh dans les tons vert, blanc et rouge, ainsi que de larges bracelets. Trois longues tiges de lotus - un central, dont la fleur est épanouie, les deux autres en bouton - tombent de son épaule.
Entre ses jambes écartées, occupant le centre de la petite embarcation, une jeune fille - probablement une enfant du couple - se tient agenouillée. Elle est représentée nue et porte la mèche de l'enfance, composée de tresses serrées qui laissent apparaître une infime partie d'une grande boucle d'oreille. Il ne s'agit pas là du seul bijou qui la pare : elle a de multiples anneaux d'or autour des bras, un collier ousekh qui lui couvre en partie les épaules, et une autre parure dont le pendentif doré arrive à hauteur de son nombril …
Son attitude est curieuse : son visage, animé par un œil étiré en amande, est tourné vers l'arrière, alors que l'action se déroule devant elle... De charmants détails sont à noter, tels que : sa main droite qui enserre le mollet de son père comme pour se raccrocher à lui ; ses petits doigts de pied en éventail, et ce bouquet de lotus, un ouvert et trois en boutons, qu'elle tient dans sa main gauche…
A la poupe, debout, se trouve Hatshepsout, l'épouse de Nebamon et vraisemblablement la mère de l'enfant. Elle est vêtue d'une élégante robe longue plissée et d'un châle, plissé également, de couleur jaune. Sa jolie perruque aux tresses fines, agrémentée d'un serre-tête et de tiges de lotus, est surmontée d'un cône d'onguent. Son bras gauche est tendu le long du corps alors que sa main enserre un ou deux "accessoires" en partie détériorés : une menat, un sistre ? Son bras droit est plié et, dans sa main, ramenée sur sa poitrine, elle tient un magnifique bouquet de lotus. Ces fleurs - symboles de renaissance - sont extrêmement présentes sur l'ensemble du "tableau".
L'environnement est magnifique. Sur un fond blanc, de multiples espèces d'oiseaux, aux plumages colorés s'envolent. L'un, plus téméraire sans doute, s'est posé à la proue de l'embarcation, alors que trois autres, moins chanceux, sont la proie du chat fauve tigré… "Les chats étaient des animaux de compagnie de la famille, mais il est montré ici car un chat pouvait également représenter le dieu Soleil chassant les ennemis de la lumière et de l'ordre. Son œil doré inhabituel fait allusion aux significations religieuses de cette scène" précise le British Museum.
Des œufs, ovales et blancs, sont dans un nid qui semble posé sur le magnifique bouquet de papyrus qui s'épanouit dans une grâce infinie… A cela s'ajoute la présence de quelques papillons aux ailes déployées qu'il nous semble voir voleter…
La vie aquatique apparaît tout aussi dense… Dans le fleuve bleu, dont l'onde est joliment rendue, de gros poissons nagent entre les lotus…
Il nous faut bien assimiler que les différences de tailles dans le traitement des sujets est volontaire : ainsi, Nebamon apparaît très imposant par rapport à son épouse ; il en va de même pour les oiseaux ou poissons qui semblent plus "grands que nature"…
Cette scène est d'une fraîcheur qui relève d'un art accompli. Nul doute qu'elle est l'oeuvre d'un artiste (ou de plusieurs ?) de grand talent : un naturaliste aussi doué qu'un portraitiste, et traçant à merveille les hiéroglyphes comme le prouvent les huit registres verticaux de grande qualité également …
Détail de la scène de chasse et de pêche dans les marais dans la tombe de Nakht et de son épouse Taouy (TT 52) Nécropole thébaine - Sheikh Abd el-Gournah |
Cette chasse et cette pêche dans les marais se retrouvent dans l'iconographie de nombreuses tombes. On ne peut s'empêcher de rapprocher cette scène-ci de celles quee l'on peut notamment admirer dans les tombes de Nakht (TT 52) et de Menna (TT 69). Le style, tout comme l'esprit et la composition sont vraiment ressemblants, même si tout, ici, semble plus "abouti".
Le British Museum analyse de façon plus profonde ce "tableau" : "C'est plus qu'une simple image de loisirs. Les marais fertiles étaient considérés comme un lieu de renaissance et d'érotisme. La chasse aux animaux pourrait représenter le triomphe de Nebamun sur les forces de la nature alors qu’il renaissait. L'immense figure 'enjambée' de Nebamun domine, toujours heureux et toujours jeune, entouré par la vie riche et variée du marais".
Quant à Thierry Benderitter, dans son excellent site Osirisnet.net, il analyse ainsi la scène identique de la TT 52 : "Le marécage et ses hauts papyrus (qu'on ne trouve que dans le Delta) représentent la même chose pour le défunt que les marais de Chemmis pour l'enfant Horus, un lieu à l'écart, où il peut grandir, et qui doit être protégé de l'Isfet. Nous retrouvons tout cela : les forces du mal (l'Isfet), représentées par les oiseaux (qui n'appartiennent pas à un monde organisé) doivent être combattues, car elles menacent le défunt renaissant comme Seth menaçait Horus".
Henry Salt (Lichfield,UK - 14-6-1780 - Alexandrie, Égypte - 30-10-1827 ) diplomate, consul d'Angleterre en Egypte de 1816 à 1835, collectionneur d'antiquités |
La tombe de Nebamon a été découverte, au début du XIXe, par Giovanni d'Athanasi. De son vrai nom Demetrio Papandriopulos, ce fils d'un commerçant grec installé à Alexandrie puis au Caire, entra au service du distingué et élégant consul général britannique, Henry Salt alors qu'il avait à peine 20 ans. Pendant près d'une décennie, ce collectionneur féru d'antiquités, et son principal "agent" Giovanni Battista Belzoni, emmèneront "Yanni" dans leurs déplacements, leurs voyages, lui communiquant leur passion pour les fouilles et les antiquités. "Avec une autorisation générale accordée par Muhammad Ali, Pacha d'Egypte, Belzoni a mené des campagnes principalement dans la région thébaine, et dans les années 1817-19, il a constitué une collection remarquable de grandes et importantes sculptures des rives orientale et occidentale de Thèbes" (N. Strudwick, Masterpieces of Ancient Egypt, London 2006).
Lorsque la collaboration de Salt et de Belzoni se termine, en 1819, Athanasi, tout naturellement le remplace sur le terrain. Salt lui fait entière confiance, il apprécie ses capacités à estimer la qualité et la valeur des antiquités ainsi que son sens du commerce. Ainsi, il approvisionne les collections Salt, tout en se constituant sa propre collection personnelle.
La maison construite par le consul Henry Salt à Gournah dans les années 1815-1820 et dans laquelle, s'installa notamment Yanni - Giovanni d'Athanasi |
Le consul fait construire à Gournah une maison, une petite forteresse dans laquelle Athanasi s'installe au milieu des villageois. Il est très bien intégré, bénéficie de leur bonne connaissance de la montagne thébaine, leur propose du travail dans les chantiers de fouilles et est informé de tous les trafics. Il est également le voisin de John Gardner Wilkinson avec lequel, semble-t-il, il entretient de bonnes relations.
Est-ce grâce à cet "environnement relationnel" positif qu'il découvre, en 1820, la tombe de Nebamon ?
Plan de la rive ouest de Louqsor (source narmer.info) : la nécropole de Dra Abu el-Naga se trouve en haut à droite) |
Son emplacement est malheureusement perdu aujourd'hui, mais on la situe plutôt dans la nécropole de Dra Abu el-Naga et on la date d'une période aux arts florissants : "Stylistiquement, les magnifiques peintures murales peuvent être datées soit des dernières années du règne d'Amenhotep III (1390-1352 avant notre ère), soit des premières années de son successeur".
Ce sont onze panneaux peints sur plâtre qui seront prélevés de la chapelle et vendus par le Consul Salt au British Museum, en 1821. Cette scène de chasse dans les marais, de 83 x 98 cm, a été enregistrée sous la référence EA37977. Le Musée précise d'ailleurs que "d'autres fragments se sont retrouvés à Berlin et peut-être même au Caire"…
marie grillot
sources :
British Museum - tomb-painting
https://www.britishmuseum.org/collection/object/Y_EA37977
The conservation and redisplay of the Nebamun Wall paintings
https://m.britishmuseum.org/research/research_projects/complete_projects/nebamun_wall_paintings.aspx?fbclid=IwAR3M-6gXA5if6zUMMnTkx3KpnVVinf1U4ctMZVReNWFczJrWsW8lfLEsnTE
Project team R. B. Parkinson, project leader
http://www.britishmuseum.org/explore/galleries/ancient_egypt/room_61_tomb-chapel_nebamun/nebamun_animation.aspx
Ian Shaw, Paul Nicholson, The British Museum Dictionary of Ancient Egypt, 1995
https://archive.org/stream/THEBRITISHMUSEUMDICTIONARYOFANCIENTEGYPTBYIANSHAWPAULNICHOLSON/THE%20BRITISH%20MUSEUM-DICTIONARY%20OF%20ANCIENT%20EGYPT-%20BY%20IAN%20SHAW-PAUL%20NICHOLSON_djvu.txt
Nigel Strudwick, Masterpieces of Ancient Egypt, London 2006, pp. 170-3.
https://www.khanacademy.org/humanities/ancient-art-civilizations/egypt-art/new-kingdom/a/paintings-from-the-tomb-chapel-of-nebamun
Arielle P. Kozloff, Betsy Bryan, Lawrence M. Berman, Paintings from the Tomb-chapel of Nebamun, Egypt's Dazzling Sun, Cleveland 1992, p. 299 [Pl.31] = Le Pharaon-Soleil, Paris 1993, p.238 [Fig.IX.23].
Vassilis Chrysikopoulos, A l’aube de l’égyptologie hellénique et de la constitution des collections égyptiennes : Des nouvelles découvertes sur Giovanni d’Anastasi et Tassos Neroutsos, Tenth International Congress of Egyptologists, 2015
https://www.academia.edu/2000910/A_l_aube_de_l_égyptologie_hellénique_et_de_la_constitution_des_collections_égyptiennes_Des_nouvelles_découvertes_sur_Giovanni_d_Anastasi_et_Tassos_Neroutsos_Tenth_International_Congress_of_Egyptologists
Site osirisnet.net
https://www.osirisnet.net/tombes/nobles/nakht52/nakht_05.htm
Osirisnet.net
https://www.osirisnet.net/tombes/nobles/menna69/menna_08.htm
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