Il porte la barbe postiche et il est paré d'un large collier "à huit rangs terminés par des grains en forme de perles". Son torse est d'une perfection absolue, rythmée par le renflement de la poitrine et le léger creux du nombril. Il est vêtu d'un seul pagne de lin plissé qui arrive au-dessus du genou. Ses avant-bras, ornés de bracelets, reposent sur ses cuisses et, dans sa main droite, il tient fermement le signe de vie "ankh".
Les jambes, puissantes, contribuent à accentuer l'impression de force et de stabilité ; les pieds sont nus.
Le pharaon qui se tient à côté de lui, est légèrement en retrait. Sa taille, très inférieure, traduit la "reconnaissance" de la toute puissance du dieu et également le fait qu'il se place sous sa protection. De son bras droit, il entoure les épaules de la divinité.
Il porte le némès à uraeus et la barbe postiche. Ses traits sont sculptés de façon aussi précise que délicate. "Le visage modelé d'une façon allongée et triangulaire, la lèvre supérieure arquée avec les extrémités tombantes la lèvre supérieure un peu enflée et saillante, enfin le sillon des lèvres qu 'on ne peut pas dire rectiligne, mais plutôt légèrement sinueux, tous ces traits particuliers de Tout-Ankh-Amon, nous les retrouvons sur le visage de la statue. Ce sont ces mêmes conventions qui marquent l'effigie du pharaon telle qu'elle fut immortalisée dans ses meilleures statues" analyse Ernest Scamuzzi dans "L'art égyptien au musée de Turin".
Son regard porte loin. "Les yeux sont représentés dans des orbites caves avec les paupières mi-closes, à la différence des visages pré-amarniens, dont les traits étaient appliqués graphiquement sur un plan frontal plat et soulignés de tracés fortement artificiels qui rejoignaient les lignes du fard" précise Eleni Vassilika dans "Trésors d'Art du Museo Egizio". Et elle ajoute : "Le roi a la taille haute, l'abdomen proéminent et, pour l'accentuer, la ceinture de son pagne est abaissée par devant". Ainsi, dans la manière dont le sculpteur a traité le corps, on peut également lire les réminiscences de l'art amarnien.
Le vêtement, que l'on imagine de lin fin plissé, est joliment travaillé notamment à la ceinture et sur le devanteau légèrement plus long. Il a, tout comme "son" dieu, les pieds nus.
Le vêtement, que l'on imagine de lin fin plissé, est joliment travaillé notamment à la ceinture et sur le devanteau légèrement plus long. Il a, tout comme "son" dieu, les pieds nus.
Cette statue représente-t-elle vraiment Toutankhamon ? Ou bien son successeur, Horemheb, car il est impossible d'occulter le fait que la statue porte son nom …
"En réalité, les traits amarniens du roi sont si convaincants qu'ils font penser que cette sculpture puisse être un produit du successeur immédiat d'Akhenaton, le roi Toutankhamon" estime Eleni Vassilika.
Il peut, également, s'agir d'une usurpation "phénomène commun dans les cercles royaux"... Et il est intéressant de lire cette interprétation d'Ernest Scamuzzi : "Si le nom du successeur de Tout-Ankh-Amon, Horemheb, dont le règne mit un terme à la XVIIIe dynastie, est gravé à droite et à gauche de la face antérieure du trône d'Amon et dans les deux lignes de texte qui sont gravées en haut et la droite du pharaon, il ne s'ensuit pas qu'on doive, sur le seul témoignage d'une utilisation plus récente, attribuer à Horemheb la première initiative de ce groupe, commencé mais non achevé, peut-être à cause de la brièveté de son règne, par Tout-Ankh-Amon.
Ainsi cette statue est-elle certainement liée à la "restauration" du culte du dieu thébain Amon par les successeurs d'Amenhotep IV - Akhénaton (qui avait, on s'en souvient, imposé le culte d'un dieu unique Aton).
Ce groupe statuaire provient du grand complexe de Karnak. Dédié à la triade thébaine, il est composé de trois principaux ensembles : l'enceinte de Montou, les grands édifices dédiés à Amon Ré et le domaine de Mout. C'est précisément de ce complexe - qui s'étend sur une dizaine d'hectares au sud du grand temple auquel il est relié par un dromos - qu'il a été trouvé.
Comme en témoigne l'inscription gravée sur le côté droit du trône, "N1 Drt par Jq Rifaud sculpteur. 1818 Thèbes AU SERVicE D. M. D", la découverte en revient au marseillais Jean-Jacques Rifaud qui, en 1818, débuta des fouilles à Karnak pour le compte de Bernardino Drovetti (le "M.D." de la gravure).
Drovetti, d'origine italienne, ancien de la campagne d'Egypte, exerçait alors la charge de consul de France en Egypte, poste auquel il avait été nommé en 1803. A l'âge de 26 ans, il avait ainsi retrouvé, avec un immense bonheur, la terre des pharaons.
Dès son arrivée, ce passionné d'antiquités "se ruine en objets antiques et constitue une collection de première valeur qui force l'admiration de Chateaubriand”. Parallèlement, il apporte à Méhémet Ali le soutien de la loge maçonnique qu’il dirige, la "Société Secrète Égyptienne", et devient son conseiller. Cette proximité lui permet d’obtenir facilement les "firman" (permis) pour entreprendre des fouilles.
Ainsi, pour mener à bien ses chantiers, recrute-t-il plusieurs agents. Les principaux sont le sculpteur Jean-Jacques Rifaud et le dessinateur Frédéric Cailliaud - qui fouillent et recherchent pour lui les plus belles pièces. Sur le terrain, et en particulier sur l'ancienne Thèbes, l'équipe se heurte à celle "concurrente" du consul britannique Henry Salt, qui emploie notamment le grand Giovanni Battista Belzoni.
La rivalité est telle que, dans leur course effrénée à la découverte, les protagonistes se montrent souvent sans scrupules, ayant recours à des pratiques peu respectueuses. Ce qui sera nommé la "guerre des consuls" est riche d'épisodes savoureux !
D'ailleurs, le fait que le découvreur grave son nom sur les statues était certainement non seulement une façon de les "référencer", mais aussi un bon moyen de ne pas se faire voler la paternité de la découverte !
Si les consuls constituent leur collection personnelle, ils constituent aussi, parallèlement, des collections très importantes qu'ils proposent aux souverains de quelques pays européens (principalement l'Italie, la France et l'Angleterre) qui souhaitent créer, ou enrichir leurs musées…
C'est précisément en 1824, lorsque Sa Majesté le roi de Sardaigne s'est porté acquéreur de la collection "Drovetti" (la première "drovettiana") que la statue est arrivée à Turin où elle a été référencée C.768.
marie grillot
sources :
Musée de Turin - Statua del re Horemheb con il dio Amon
https://collezioni.museoegizio.it/it-IT/material/Cat_768/?description=AMON&inventoryNumber=&title=&cgt=&yearFrom=&yearTo=&materials=&provenance=&acquisition=&epoch=&dynasty=&pharaoh=
Jean-François Champollion, Lettres à M. le Duc de Blacas d’Aulps relatives au Musée Royal Egyptien de Turin, première lettre - monuments historiques, Turin, Juillet, 1824, Firmin Didot, 1824 (pp. 1-92).
https://fr.wikisource.org/wiki/Lettres_à_M_le_duc_de_Blacas_d’Aups,_première_lettre/1
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65247619
Museo Egizio, Fondazione Museo delle Antichità Egizie di Torino, Franco Cosimo Panini Editore, 2016
Eleni Vassilika, Trésors d'Art du museo Egizio, Allemandi & Co, 2006
Guide museo Egizio, éditions Franco Cosimo Panini, 2016
Le musée égyptien Turin, Federico Garolla Editore, 2016
Ernest Scamuzzi, L’art égyptien au Musée de Turin, Hachette, 1966
Jean-Jacques Fiechter, La moisson des Dieux", Julliard, 1994
Jean-Jacques Rifaud, Tableau de l'Egypte, de la Nubie et des lieux circonvoisins, ou Itinéraire à l'usage des voyageurs qui visitent ces contrées, Treuttel et Würtz Paris, 1830
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5577739k
Bertha Porter and Rosalind L.B. Moss, Topographical bibliography of ancient egyptian hieroglyphic texts, reliefs, and paintings - II - Theban Temples, second edition revised and augmented, Oxford at the Clarendon Press, 1972
http://www.griffith.ox.ac.uk/topbib/pdf/pm2.pdf
Gihane Zaki, Le temple d'Amon-Rê à Karnak - Mini-guide, Commission Européenne, Association pour la Sauvegarde du Ramesseum, National Société Générale Bank (NSGB- Le Caire), Editions Lumina-Abbas Khalil, République Arabe d’Égypte.
http://www.asramesseum.org/medias/files/temple-karnak.f.pdf
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