Ce groupe familial représente Sennefer et son épouse Senetnaÿ, ainsi qu'une de leurs filles. Sculpté dans le granite noir, il a une hauteur d'1,20 m et une largeur de 0,75 m.
De Sennefer, on connaît la magnifique tombe (TT 96) creusée dans les entrailles de la montagne de Thèbes, à laquelle le plafond, orné d'une treille prolifique, a donné le nom de "tombe aux vignes"…
Au cours de la XVIIIe dynastie, plus précisément sous le règne d'Amenhotep II, Sennefer a été une personnalité influente de la thébaïde.
Voici la présentation qu'en fait Christian Leblanc dans le chapitre qu'il consacre aux "Gouverneurs ou maires de Thèbes au Nouvel Empire" dans son ouvrage "Regards Croisés sur la civilisation égyptienne" : "Frère du vizir précédent (Amenemipet dit PA-irj), Sennefer avait de multiples charges dans la région thébaine. Gouverneur de la ville du Sud, il reprit également certaines tâches qui avaient été confiées à son père. Surintendant des prêtres d’Ahmès-Nefertari et des prophètes attachés aux épouses du dieu, il fut encore premier pontife d’Amon dans la Mn-zt (temple consacré à Ahmès-Nefertari) et intendant affecté au culte d’Amenhotep Ier." Il était également, comme l'indiquent des inscriptions dans sa tombe : 'Directeur du jardin d'Amon' et 'Directeur du Double Grenier'".
Cette position proche du pouvoir lui permit d'avoir accès aux meilleurs artisans, peintres et sculpteurs, pour sa demeure d'éternité ainsi que pour ses représentations. Elle lui permit également - privilège extrêmement rare -, de pouvoir déposer cette statue dans le temple d'Amon à Karnak. C'est là qu'elle fut découverte par Georges Legrain, au nord de la salle hypostyle, le 18 décembre 1903.
Dans leur "Catalogue officiel du Musée Egyptien du Caire", Mohamed Saleh et Hourig Sourouzian précisent : "Fonctionnaire de rang supérieur, grandement loué par le roi, Sennefer avait reçu, par faveur royale, le droit de déposer dans le temple de Karnak cette double-statue imitée des représentations de couples royaux, afin de participer aux offrandes du temple et de capter les prières des visiteurs."
Sennefer est représenté assis, aux cotés de son épouse Senetnaÿ, le couple s'enlaçant dans un geste tendre mais conventionnel. Leur découvreur analyse ainsi leur attitude : "Sonnofir, assis sur un vaste siège cubique, passe son bras gauche derrière la taille et s'appuie sur l'épaule de Sonaî assise à sa gauche. Celle-ci passe son bras droit derrière Sonnofir et, par un geste symétrique, appuie sa main derrière l'épaule droite de Sonnofir."
Le maire de Thèbes porte une riche perruque à frisons qui lui couvre une bonne partie du front et qui est ensuite rejetée derrière les oreilles. Elle s'évase alors en tresses plus larges qui tombent aux épaules.
Son visage, parfaitement symétrique, est serein, empreint de l'assurance de l'homme qui a réussi. Ses yeux en amande, prolongés par une ligne de fard tombante, sont surmontés de longs sourcils qui en épousent la forme. Son nez est relativement petit et aplati et sa bouche est menue. Son cou disparaît sous le collier shebiou, à quatre rangs de perles. Il s'agit de "l'or de l'honneur", distinction accordée par pharaon à des courtisans ou militaires ayant accompli des actes de bravoure ou de vaillance.
Sennefer, maire de Thèbes sous Amenhotep II, représenté ici dans sa magnifique tombe de la nécropole thébaine (TT 96) |
Sous ce collier se trouve une chaîne, plus longue, ornée de deux cœurs : l'un d'or, l'autre d'argent, frappés en leur centre du cartouche d'Amenhotep II. Dans l'Egypte ancienne, le cœur "ib" était l’organe le plus important pour l'individu. "Siège de ses pensées, de sa conscience et de sa volonté, il était aussi le réceptacle de sa mémoire, le témoin de toute son existence" (Isabelle Franco, "Dictionnaire de mythologie égyptienne").
Le fait que ces coeurs soient inscrits au nom du pharaon témoigne d'un attachement, d'une loyauté et d'une reconnaissance infaillibles. Dans sa tombe, Sennefer les porte d'ailleurs sur la plupart de ses représentations. D'autres signes de ce dévouement sont également lisibles, ainsi : "L’épaule droite de Sennefer est tamponnée de deux cartouches au nom de couronnement d’Aménophis II" (Mohamed Saleh et Hourig Sourouzian).
Sous la poitrine saillante, l'abdomen est marqué par des plis qui identifient un embonpoint lié à l'aisance et à la prospérité.…
"Les reins et les jambes sont serrés dans une étoffe frangée à sa partie supérieure et serrée au moyen d’une boucle d’étoffe qui paraît près du nombril" précise Georges Legrain.
Senetnaÿ, qui se trouve à la gauche de son époux, a occupé, elle aussi, une position bien en vue : "Nourrice du roi Thoutmès IV ; elle vivait donc sous Aménophis II et au commencement du règne de Thoutmès IV" nous indique Jean Capart.
Sa représentation est "classique", perruque tripartite à tresses très serrées qui cache les oreilles mais laisse toute son importance au beau modelé du visage. Son apparence est empreinte de sérénité. Ses grands yeux sont étirés, ses sourcils sont fins et longs, son nez est bien dessiné et ses lèvres pulpeuses. Elle porte un collier à multiples rangs qui semble répondre au bas de sa chevelure. Sa robe longue est maintenue par de larges bretelles. Sa main gauche repose à plat sur son genou gauche.
Dans son "Manuel d’archéologie égyptienne, Jacques Vandier nous livre cette intéressante analyse : "Sennéfer ressemble beaucoup à sa femme, mais les traits sont plus gros, et le visage, plus rond. Ce qui frappe, dans ces deux visages, c’est le demi-sourire, non pas qu’il soit particulièrement mystérieux, ni même intelligent, mais il exprime, cependant, un sentiment 'retenu', et c’est lui qui donne au visage quelque chose de véritablement vivant".
Mohamed Saleh et Hourig Sourouzian précisent par ailleurs que : "sur les vêtements du couple les formules d’offrande invoquent des 'milliers de pain, bière, vin, veaux, volailles et toutes choses pures et bonnes' pour le Ka des deux conjoints".
Debout entre les jambes du couple se tient une jeune fille, Moutnefret, dont le visage a souffert. Sa coiffure imposante se termine par de minces tresses et elle est joliment vêtue d’une longue tunique qui laisse deviner son corps fin et menu.
"La même Moutnofret apparaît gravée sur le côté droite du siège, à genoux devant une table d’offrandes, respirant une fleur de lotus et accompagnée d’une formule d’offrande; sur le côté gauche une représentation analogue figure sa sœur Nofretari" (Mohamed Saleh, Hourig Sourouzian).
Les avis sur la qualité de l'œuvre divergent : "Technique : Excellente" ou encore "Très beau groupe de granit" pour Georges Legrain. Pour Gaston Maspero : "Le groupe est l'œuvre d'un habile ouvrier, mais sans originalité" (présentation sous le n° 500 du "Guide du visiteur au Musée du Caire", 1915). "Cette oeuvre, qui ne manque pas de défauts, est, cependant, intéressante et mérite, dans une certaine mesure, les éloges qui lui ont été souvent décernés" (Jacques Vandier).
Ce groupe statuaire recèle en outre une particularité rare que Jean Capart nous présente ainsi : "Les inscriptions ont révélé un détail qui mérite d'être signalé. On y lit que le groupe a été exécuté par deux sculpteurs attachés au temple d'Amon et qui portaient le nom de Amenmes et Djed-khonsou". Ce fait est quasi exceptionnel car les artistes d'alors restaient discrets sur leur identité, n'indiquant pas leur nom sur leurs créations, les œuvres restant ainsi anonymes.
Ce groupe familial a été enregistré au Journal des Entrées du Musée du Caire JE 36574 et au Catalogue Général CG 42126.
marie grillot
sources :
Georges Legrain, Rapport sur les travaux exécutés à Karnak du 28 septembre 1903 au 6 juillet 1904
https://www.nakala.fr/nakala/data/11280/53a0dcd4
Georges Legrain, Renseignements sur les dernières découvertes faites à Karnak, 1905
https://www.nakala.fr/nakala/data/11280/8af3e27b
Georges Legrain, Henri Hauthier, Statues et statuettes de rois et de particuliers, tome 1, IFAO, Le Caire, 1906
https://archive.org/details/StatuesEtStatuettesDeRoisEtDeParticuliers.v.30/mode/2up
Gaston Maspero, Guide du visiteur au Musée du Caire, IFAO, Le Caire, 1915
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57248808.texteImage
Jean Capart, Leçons sur l'art égyptien, Impr. H. Vaillant-Carmanne, Liège, 1920
https://archive.org/details/leonssurlart00capa/page/352/mode/2up
Jacques Vandier, Manuel d'archéologie égyptienne, tome III, Les grandes époques, la statuaire, Editions A. et J. Picard, Paris, 1958
Cachette de Karnak, base de données IFAO
https://www.ifao.egnet.net/bases/cachette/?&os=0
Mohamed Saleh, Hourig Sourouzian, Catalogue officiel du Musée Egyptien du Caire, Verlag Philippe von Zabern, 1997
Zahi Hawass, Inside the Egyptian Museum, Zahi Hawass, The American University in Cairo Press, 2010
https://books.google.fr/books?id=xblJH8xeOpwC&pg=PA288&lpg=PA288&dq=cairo+museum+gold+earrings+sethi+II&source=bl&ots=klytkKySql&sig=5pcn6cRQu2qEmdlQtkf86mzFx9Q&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjRiozMh8rKAhUL1xoKHXT1AvAQ6AEIUzAL#v=onepage&q=cairo%20museum%20gold%20earrings%20sethi%20II&f=false
Emmanuel Jambon, Les fouilles de Georges Legrain dans la Cachette de Karnak (1903-1907). Nouvelles données sur la chronologie des découvertes et le destin des objets, BIFAO 109, 2010, p. 239-279
https://www.ifao.egnet.net/bifao/109/13/
Isabelle Franco, Dictionnaire de mythologie égyptienne, Pygmalion, 1999
Kent Weeks, Guide illustré de Louxor, tombes, temples et musées, White Star Publishers, 2005
Christian Leblanc, Regards croisés sur la civilisation égyptienne, Pages choisies d’archéologie et d’histoire, L'Harmattan, 2024
https://www.editions-harmattan.fr/catalogue/livre/regards-croises-sur-la-civilisation-egyptienne/76432
TT 96 - Tombe de Sennefer - Site osirisnet.net de Thierry Benderitter
https://www.osirisnet.net/tombes/nobles/sennefer/sennefer_01.htm
Theban Mapping Project - KV 42 - Hatshepsut-Meryet-Ra
https://thebanmappingproject.com/tombs/kv-42-hatshepsut-meryet-ra
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