mercredi 30 septembre 2020

Mykérinos et sa "reine"

Dyade de Mykérinos et d'une reine - grauwacke - IVe dynastie - règne de Mykérinos
provenant de son temple de la Vallée à Gizeh - découverte par George Andrew Reisner
Harvard University-Museum of Fine Arts de Boston, en 1910
affectée en 1911 par le gouvernement égyptien au Museum of Fine Art de Boston - Référence 11.1738 - photo du MFA

Le couple a l'assurance que donne le pouvoir, la force que confère le fait d'être liés, la conviction et la certitude de partager un destin hors du commun immortalisé pour l'éternité.

L'expression "se tenir côte à côte" est sublimée par cet élan, cette attitude de marche suggérée dans la pierre grâce au talent de ce  sculpteur qui travailla, avec un art affirmé, un bloc de grauwacke, il y a 4500 ans environ… Cette pierre permet, il est vrai, une sculpture minutieuse, précise, avec un rendu poli et lisse…

Cette "dyade", conforme aux canons esthétiques idéalisés de l'Ancien Empire a une hauteur 142,2 cm, une largeur 57,1 et une profondeur de 55,2 cm. Les deux personnages, debout sur un socle carré, sont adossés à un large pilier qui s'arrête au niveau des épaules. Nous sommes à n'en pas douter face à un couple royal. 
Dyade de Mykérinos et d'une reine - grauwacke - IVe dynastie - règne de Mykérinos
provenant de son temple de la Vallée à Gizeh - découverte par George Andrew Reisner
Harvard University-Museum of Fine Arts de Boston, en 1910
affectée en 1911 par le gouvernement égyptien au Museum of Fine Art de Boston - Référence 11.1738 - photo Digital Giza at Harvard University

Le souverain porte des attributs caractéristiques de sa fonction : le némès (uni), et une courte barbe postiche, striée horizontalement. Son visage, impassible, est d'une symétrie parfaite ; il est rehaussé par des pommettes légèrement saillantes. Ses yeux sont délimités par des incisions profondes ; son nez est épaté. Sa bouche, aux lèvres closes, est joliment dessinée. Ses oreilles sont dégagées et son cou est puissant.

Son corps, campé sur ses jambes musclées, est d'une grande perfection. Il est vêtu d'un pagne shendit uni maintenu par une large ceinture. Ses bras sont droits le long du corps et il tient dans ses poings serrés ce qui doit être également les insignes de sa fonction, probablement le mékès (rouleau de papyrus contenant le "testament des dieux" ou" testament de Geb", texte confiant l'Egypte au roi).
Dyade de Mykérinos et d'une reine - grauwacke - IVe dynastie - règne de Mykérinos
provenant de son temple de la Vallée à Gizeh - découverte par George Andrew Reisner
Harvard University-Museum of Fine Arts de Boston, en 1910
affectée, en 191 par le gouvernement égyptien  au Museum of Fine Art de Boston - Référence 11.1738
photo Digital Giza at Harvard University (prise à Harvard Camp peu de temps après la découverte)


La reine est à sa gauche et elle lui étreint la taille de son bras droit ; sa main apparaît d'ailleurs parfaitement sculptée. Quant à sa main gauche, doigts serrés, elle est posée bien à plat sur son humérus. Ce double geste de tendresse et de protection a l'incroyable faculté d'insuffler douceur et tendresse à cette représentation plutôt solennelle.

Son apparence ne manque pas de nous rappeler les représentations féminines des "Triades de Mykérinos" et nous conforte à penser que l'ensemble des statues provient du même atelier. Sa perruque tripartite lisse, renvoyée derrière les oreilles, ne laisse apparente qu'une partie du front. Le visage, plutôt rond, est animé par des yeux étirés. Elle est vêtue d'une robe fourreau assez longue, qui laisse deviner la perfection de son corps. Ses seins ronds, son ventre légèrement renflé, le triangle pubien, ainsi que les articulations de ses genoux sont bien rendus. L'ensemble de ces détails, que la douceur de la pierre traduit de façon plus perceptible, démontre que l'artisan qui l'a créée possédait une parfaite maîtrise de l'anatomie humaine.

Même si la sculpture est inachevée, elle atteint un degré de perfection que Christiane Ziegler exprime parfaitement dans "L'art égyptien au temps des pyramides" : "La simplicité des volumes et de la composition s'accompagne d’une délicatesse extraordinaire dans le modelé des corps et d’une précision inégalée dans la notation de la musculature. En dépit d’un traitement identique s’attachant à cerner le contour de l’œil, traité de façon naturaliste, à reproduire soigneusement les inflexions de la bouche, à restituer la tension des chairs, les deux visages diffèrent ; ils ont les caractéristiques d’un portrait : contour carré, signes de maturité et bouche ferme pour le roi, qui se tourne légèrement sur sa droite, rondeurs juvéniles pour la reine. Lors de la découverte, des restes de couleur ocre-rouge rehaussaient encore le visage du roi, les oreilles et le cou ; la chevelure de la reine porte des traces de noir".
Dyade de Mykérinos et d'une reine - grauwacke - IVe dynastie - règne de Mykérinos
provenant de son temple de la Vallée à Gizeh - découverte par George Andrew Reisner, Harvard University-Museum of Fine Arts de Boston, en 1910
affectée, en 1911, par le gouvernement égyptien au Museum of Fine Art de Boston - Référence 11.1738
photo Digital Giza at Harvard University (prise à Harvard Camp peu de temps après la découverte)

L'inachèvement de cette sculpture soulève en outre des questions sur l'identité des personnages. Le Musée de Boston où elle est exposée émet ces hypothèses : "La base de la statue qui est généralement inscrite avec les noms et les titres du sujet représenté, a été laissée inachevée et n'a jamais reçu le vernis final de la plupart du reste de la statue. Parce qu'il a été trouvé dans le temple de la vallée de Mykérinos) et parce qu'il ressemble à d'autres statues du même lieu de découverte portant son nom, il ne fait aucun doute que la figure masculine est le roi Mykérinos. Reisner a suggéré que la femme était la reine Khamerernebty II, la seule des reines de Mykérinos connue sous son nom. Cependant, elle n'avait qu'un tombeau à mastaba, tandis que deux reines non identifiées de Menkaura avaient de petites pyramides. D'autres ont suggéré qu'elle représentait la déesse Hathor, bien qu'elle n'affiche aucun attribut divin. Parce que les rois ultérieurs sont souvent montrés avec leur mère, d'autres chercheurs ont suggéré que la femme aux côtés de Mykérinos pourrait être sa mère".
Dyade de Mykérinos et d'une reine - grauwacke - IVe dynastie - règne de Mykérinos
provenant de son temple de la Vallée à Gizeh - découverte par George Andrew Reisner
Harvard University-Museum of Fine Arts de Boston, en 1910
affectée, en 1911, par le gouvernement égyptien au Museum of Fine Art de Boston - Référence 11.1738 
photo Digital Giza at Harvard University (prise à Harvard Camp peu de temps après la découverte

L'analyse du Dr Amy Calvert ("King Menkaure (Mycerinus) and queen") est aussi intéressante que pertinente : "En se basant sur la comparaison avec d'autres représentations, il ne fait aucun doute que cette sculpture représente Mykérinos, mais l'identité de la reine est une autre affaire. Il s'agit clairement d'une femme royale. Elle se tient à peu près à la même hauteur que le roi et, des deux, c'est elle qui est présentée de manière entièrement frontale. En fait, il se peut que cette dyade se concentre sur la reine comme figure centrale plutôt que sur Mykérinos. L'importance qui lui est donnée - à hauteur égale et en représentation frontale - conjuguée au geste protecteur qu'elle accomplit, suggère que, plutôt que l'une des épouses de Mykérinos, il pourrait en fait s'agir de sa reine-mère. La fonction de la sculpture était en tout cas d'assurer la renaissance du roi dans l'au-delà".

Pendant plusieurs décennies, l'égyptologue américain George Andrew Reisner a fouillé le plateau de Guizeh, pour l'Université de Harvard et le Musée de Boston. Il a notamment mis au jour, en 1908, le temple funéraire de la pyramide de Mykérinos. Dans cet édifice, il découvrit de nombreuses statues, dont les très connues "Triades de Mykérinos"… La découverte de cette dyade prend place deux années plus tard. 
Dyade de Mykérinos et d'une reine - grauwacke - IVe dynastie - règne de Mykérinos
provenant de son temple de la Vallée à Gizeh - découverte par George Andrew Reisner
 Harvard University-Museum of Fine Arts de Boston, en 1910
affectée en 1911 par le gouvernement égyptien au Museum of Fine Art de Boston - Référence 11.1738
photo du MFA - photo Digital Giza at Harvard University


Si comme l'indique "The Giza Project at Harvard University" : "Cet objet n’a été inscrit dans aucun registre"…, sa découverte est cependant ainsi relatée : "Giza, 18 janvier 1910 : dans la soirée, juste avant que le travail ne s'achève, un jeune garçon appartenant à l’équipe qui fouille le "trou de voleur" dans la couche n° 1 apparut soudain près de moi et dit : venez ! Au fond du trou la tête d’une statue féminine (aux 3/4 de la taille humaine) venait juste d’émerger du sable. Il était trop tard pour la dégager. Mais un bloc de décombres s'effondra immédiatement et révéla une tête masculine sur la droite : c’est un couple, un roi et une reine. Un photographe fut dépêché dans le jour déclinant et une troupe de vingt gardiens armés fut postée pour la nuit" .

Lors du partage des fouilles le gouvernement égyptien attribuera cette statue à l'équipe américaine qui l'avait mise au jour. C'est ainsi qu'elle a rejoint, dès 1911, le Musée des Beaux-Arts de Boston où elle a été enregistrée sous la référence 11.1738.

marie grillot

sources :
King Menkaura (Mycerinus) and queen
https://collections.mfa.org/objects/230/king-menkaura-mycerinus-and-queen?ctx=5355b348-c2fc-4bb4-95bc-4ece0b0e5905&idx=4
Greywacke pair statue of Menkaure and Queen, Digital Giza - The Giza Project at Harvard University
http://giza.fas.harvard.edu/objects/25316/full/
Christiane Ziegler, L'art égyptien au temps des pyramides, Réunion des Musées Nationaux, 1999, 
Dr Amy Calvert, King Menkaure (Mycerinus) and queen, Khan Academy 
https://www.khanacademy.org/humanities/ap-art-history/ancient-mediterranean-ap/ancient-egypt-ap/a/king-menkaure-mycerinus-and-queen
King Menkaura (Mycerinus) and Queen
https://history2701.fandom.com/wiki/King_Menkaura_(Mycerinus)_and_Queen
Christopher L. C. E. Witcombe, Menkaure and His Queen, Art History Resources
http://arthistoryresources.net/menkaure/menkaurediscovery.html

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