Ce portrait sculpté de la reine Tiyi, grande épouse royale d'Amenhotep III, mère d’Akhenaton, nous séduit par sa beauté et sa douceur. Le sculpteur qui l'a réalisé semble avoir à peine effleuré, de son ciseau le plus fin, le calcaire blanc, pour en faire une oeuvre d'art empreinte de féminité et de perfection.
La reine est représentée de profil - le gauche - et porte une coiffure d'apparat. Sa perruque tripartite, lisse, est ceinte d'un diadème orné sur le front de deux uraei qui se détachent en relief : l'un porte la couronne rouge (decheret) de la Basse-Egypte, alors que l'autre arbore la couronne blanche (hedjet) de la Haute-Egypte. L'arrière du diadème est agrémenté d'un faucon, finement sculpté, qui déploie ses longues ailes protectrices. Entre ses serres il tient le signe shen, symbole de l'éternité.
La perruque est surmontée d'un mortier cerclé de sept uraei disqués, les trois premiers ont souffert : leur partie supérieure est manquante. Ce modius est surmonté de deux hautes plumes d'autruche dont seule la base demeure.
Le visage de la reine est parfait : son œil en amande surmonté d'un sourcil joliment arqué, son nez de proportions idéales, son oreille délicate, près de laquelle - charmant détail - apparaît une courte mèche de cheveux, et sa bouche dont les lèvres pleines semblent esquisser un léger sourire.
Ses épaules et son sein sont tout en douceur et en rondeur. Du flagellum - chasse-mouches - qu'elle tenait dans une main, seule la partie supérieure est désormais visible. Sa longue tige courbe s'ouvre sur un lotus.
Ce portrait a suscité autant d'émerveillement que d'admiration, engendrant tout autant d'analyses et d'études intéressantes !
"Il est exécuté dans un style plus traditionnel que nombre des images que nous lui connaissons. Il représente un des sommets de l'art du portrait officiel. En un jeu de lignes souple et élégant, l'artiste a idéalisé les traits du visage, la lèvre supérieure un peu lourde, le pli de la bouche aux commissures affaissées. ("La femme au temps des pharaons - Six œuvres d'art de la collection égyptienne des Musées Royaux d'Art et d'Histoire").
"Le style est d'une élégance rare, particulièrement en ce qui concerne le visage. On observera que, faisant usage d'un relief d'à peine trois millimètres d'épaisseur, le sculpteur arrive à rendre à la fois le regard (ombre amassée vers l'avant de l'oeil), la palpitation des narines et la sensualité de la bouche". (Pierre Gilbert, "Méditerranée antique").
"La blancheur lisse du calcaire nu atténue les subtiles indications de l'âge de la reine, comme les très légères poches sur les joues. Ses cheveux sont lisses; l'artiste avait peut-être l'intention de peindre les détails" (Arielle Kozloff, "Aménophis III, le pharaon soleil").
"Les traits reconnaissables de Tiyi ne sont pas sans rappeler également ceux de son mari. C'était la coutume, dans l'art égyptien, de prêter aux dieux et humains quelque chose de la physionomie du roi régnant, qui était le meilleur gage d'union entre les uns et les autres. Mais ici, la ressemblance a sans doute plus de portée. L'entente souvent marquée par Aménophis III entre lui et Tiy se reflète dans le visage de celle-ci, où la ressemblance devient un signe de réciproque bonheur amoureux. ("Le Règne du Soleil Akhnaton et Nefertiti", MRAH Bruxelles).
Ce magnifique relief provient de la tombe thébaine d'Ouserhat, gardien du harem royal du temple d'Amenhotep III, située dans la nécropole d'el-Khokha. Dans les "Annales du Service des Antiquités de l'Égypte, Tome IV, 1902-1903", Howard Carter - qui est alors l'inspecteur de cette zone -, rapporte qu'il s'est rendu sur place pour voir cette tombe que "l’Omdeh de Gournah" lui a indiquée. Si elle a déjà été pillée, il constate néanmoins que : "Les reliefs sont d'un travail remarquable et quant à Tiy, je ne me souviens pas d'en avoir vu un meilleur portrait !"
Dans son rapport, il publie d'ailleurs le relief complet, représentant la reine, qui se tenait assise derrière son époux lors d'une cérémonie.
Comment expliquer le fait que ce portrait de la TT 47, fut ensuite découpé, pour n'avoir plus qu'une forme presque carrée (hauteur 41,9 cm - largeur 40,3 cm) ? Puis outragé, surchargé d'inscriptions portées en noir sur la joue, le cou, le torse et une épaule, et privé de quelques signes hiéroglyphiques, effacés, arasés au niveau du mortier ?
Comment expliquer que ce relief se retrouve ensuite chez Drouot à Paris, les 10-12 avril 1905, dans le catalogue de la vente de Paul Philip, un collectionneur qui avait fouillé le site d'Héliopolis ?
Il y est ainsi "curieusement" présenté sous le n° 91 : "Fragment d’un bas-relief de l’époque ptolémaïque en pierre calcaire et représentant un des Ptolémées. Le roi est coiffé du serre-tête tenu rigide à l’arrière par la déesse de la victoire sous la forme d’oiseau de proie et à l’avant par les deux uroeus. Au-dessus de cette première coiffure est posée la couronne shouti (couronne de la double plume) tronquée, et ornée à la base d’uroeus. Une étoffe enserre aussi toute la chevelure. La main tient le lotus héraldique. Une inscription démotique, presque indéchiffrable, a été tracée au kalam sur le visage, le cou, la poitrine et le bras".
Il sera acquis pour une somme modique (180 F) par Jean Capart, conservateur-adjoint des Musées Royaux des Arts Décoratifs et Industriels de Bruxelles, qui s'emploie alors à lui constituer une collection d'antiquités égyptiennes, riche et représentative.
Comment croire que Jean Capart ne reconnut pas d'emblée une pièce typique de l'art d'Amenhotep III ? Et que, selon Jean-Michel Bruffaerts : "C’est l’égyptologue français Georges Daressy, conservateur-adjoint au Musée du Caire, qui, le premier, suggère que ce relief pourrait dater, non pas de la période ptolémaïque comme le prétend le Catalogue Philip, mais bien de la XVIIIe dynastie (Nouvel Empire)" ?
Ainsi, deux années s'écouleront avant que Jean Capart ne se rende compte de la véritable "origine" de son acquisition : il s'agissait bien là d'une partie du relief photographié par Carter dans la TT 47 !
Le regardant dès lors avec un œil nouveau, avec une attention accrue, il se décidera à le nettoyer, à supprimer les 'immondes" inscriptions noires qui en détérioraient la pureté …
Le relief sera restauré avec soin, la reine retrouvera son "statut" perdu quelque temps et deviendra la "star" de la collection égyptienne du musée bruxellois. Il sera d'ailleurs prêté pour figurer au nombre des artefacts présentés à l' "Exhibition of Ancient Egyptian Art" organisée en 1922 au Burlington Fine Arts Club de Londres (description p. 63 A - planche XII).
Comment ne pas terminer par ces mots de Jean Capart : "Le fragment de relief de la reine Tiyi ne peut manquer de frapper nos visiteurs. Il leur montrera, plusieurs siècles avant les premiers tâtonnements de l’art grec, un idéal de beauté et de procédés savants pour le traduire, que tous ceux qui prétendent juger d’une manière impartiale l’évolution artistique de l’humanité n’ont plus le droit d’ignorer davantage".
marie grillot
sources :
Howard Carter, Report of Work done in Upper Egypt (1902-1903), in Annales du Service des Antiquités de l’Égypte 4, 1903, p. 177-178, pl. II
Jean Capart, Nouvelles acquisitions. Section égyptienne. Antiquités de l’époque thinite, Bulletin des Musées royaux des Arts décoratifs et industriels, 1904
Jean Capart, Un portrait de la reine Tiyi, Bulletin des Musées royaux des Arts décoratifs et industriels, 1908
Catalogue of an Exhibition of Ancient Egyptian Art, London, 1922 - p. 63 A - planche XII
https://archive.org/details/catalogueofexhib00burlrich
Bertha Porter, Rosalind L. B. Moss,Topographical Bibliography of Ancient Egyptian Hieroglyphic Texts, Reliefs, And Paintings - I. The Theban Necropolis Part 1. Private Tombs, Second edition revised and augmented - Griffith Institute Ashmolean Museum Oxford, 1960
http://www.griffith.ox.ac.uk/topbib/pdf/pm1-1.pdf
Pierre GILBERT, Méditerranée antique et humanisme dans l'art, L'art témoin 2, Editions Desoer, Liège, 1967
Pierre Gilbert, Le Règne du Soleil Akhnaton et Nefertiti, Exposition organisée par les Ministères de la Culture aux Musées Royaux d'Art et d'Histoire, Bruxelles - 17 janvier - 16 mars 1975
https://dial.uclouvain.be/pr/boreal/object/boreal:134746
La femme au temps des pharaons - Six œuvres d'art de la collection égyptienne des Musées Royaux d'Art et d'Histoire - MRAH 30 novembre 1985 - 27 février 1986
Aménophis III, le Pharaon-Soleil, Réunion des musées nationaux, 1993
Jean-Michel Bruffaerts, Jean Capart et la reine Tiyi, "la Joconde du Cinquantenaire", Bulletin des Musées Royaux d'Art et d'Histoire - Vol. 80, no.1, 2009, p. 5-20
Fonds Jean Capart
https://jeancapart.org/wp-content/uploads/2017/11/TAP-2009-Jean-
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