En 1903, Emile Chassinat qui est à la tête de l'IFAO depuis 1898, décide de mener une campagne de fouilles à Assiout. "D'après les indications très précises que j'avais eu la bonne fortune de me procurer" précise-t-il, "c'est sur un secteur bien précis de la nécropole qu'il délègue Charles Palanque".
La "Saout" de l'antiquité fut la capitale du XIIIe nome ("Nome supérieur du Sycomore"). Sa nécropole s'étend : "dans la falaise qui longe la Vallée du Nil, là où la pierre stratifiée horizontalement est de qualité particulièrement bonne" (Dietrich Wildung, "Le Moyen Empire").
La mission sera fructueuse : "Le fait d'y avoir mis au jour, dans un espace de temps relativement court, vingt-six tombes nouvelles, dont vingt-et-une inviolées constitue donc une réussite inespérée" écrira Chassinat dans "Une campagne de fouilles dans la nécropole d'Assiout" publié en 1911.
Plus de 60 sarcophages et de nombreuses statues seront extraits des tombeaux.
Cette grande statue en bois provient du tombeau n° 14 d'Ouapouaïtoumhaït qui "fut ouvert le 19 mars. Il était intact… Juste en face de l’entrée se trouvait la statue du mort, haute, support compris, de 1 m. 14 cent., et dont le socle porte gravé le nom de son propriétaire".
Le vénéré "Ouapouaïtoumhaït" était un fonctionnaire "qui vécut à la fin de la Première Période Intermédiaire ou au début du Moyen l'Empire" précise le Museum of Fine Arts de Boston où la statue est exposée.
L'homme, vêtu d'un pagne court, est représenté jeune, mince, décidé, dans l'attitude de la marche. Ses jambes longues aux pieds épais reposent sur un socle rectangulaire de 71 par 23 cm.
Son bras gauche est plié et dans sa main, il tient fermement un long bâton porté vers l'avant. Quant à son bras droit, il pend le long du corps et son poing enserre un objet singulier, qui ressemble à une spatule.
Il est coiffé d'une perruque noire, courte dont les boucles sont rendues par de fines incisions, et qui laisse libre une partie du front et dégagé le lobe de l'oreille.
Ses yeux sont "incrustés de pierres noire et blanche" : de l'obsidienne ou du schiste, du calcaire blanc ou de l'albâtre ?
"Les traits du visage, y compris les sourcils légèrement arqués et les yeux bien conservés, confèrent une intensité et une énergie juvéniles" précise le musée.
La statue est faite en plusieurs parties, on peut notamment le voir au niveau des épaules. Le bois, dont l'essence n'est pas précisée, a souffert, s'est fendu, mais il a résisté au temps ! "Les anciens Égyptiens eux-mêmes ont tenté de compenser l'instabilité inhérente à la structure multicouche du bois polychrome, ajoutant parfois une couche de tissu finement tissé entre le bois et la couche de gesso pour atténuer les dommages causés par le 'travail' du bois. Cette couche est visible dans le pagne de la statue de Wepwawetemhat (MAE 04.1780), qui a également été consolidée avec une épaisse couche de cire après son excavation" ("The Ancient Egyptian Collection at the Museum of Fine Arts, Boston").
A l'issue de la mission, lors du partage des fouilles entre la France et l'Egypte, cette statue est "revenue" à l'Egypte, ce qui signifie qu'elle est restée dans "son" pays. On se demande bien évidemment pourquoi, aujourd'hui, elle se retrouve au "Museum of Fine Arts" de Boston où elle est arrivée le 1er janvier 1904. Enregistrée sous le numéro d'entrée 04.1780, sa provenance est ainsi indiquée : "Tombe n° 14 - Assiout - Découverte en 1903 par Emile Gaston Chassinat et Charles Palanque de l'Institut Français d'archéologie orientale du Caire - Acquise en 1904 au Caire par Albert M. Lythgoe pour le MFA, sur une ligne de crédit du Fonds Emily Esther Sears".
Une note (n°45 page 201) portée dans l'étude "Egyptian Beverages : A Journey through Ancient to Modern Times" (Mona M. Raafat El-Sayed and Mahinor A. Fouad) concernant une autre statue provenant de la même tombe, donne cette indication qui pourrait constituer un élément de réponse : "achetée chez Kyticas au Caire par Albert M. Lythgoe pour le MFA, comme FAISANT PARTIE D'UN LOT - for £617/16/6 - sur une ligne de crédit du Fonds Emily Esther Sears (date d'acquisition 1er janvier 1904).
Ainsi un lot de statues - dont deux au minimum provenaient de la tombe 14 d'Assiout - s'est retrouvé en vente chez Panayotis Kyticas, un marchand d'antiquités installé au Caire …
Il faut se souvenir que le Musée égyptien du Caire possédait une salle des ventes proposant nombre d'antiquités qui lui arrivaient en quantité … Dans "Gaston Maspero, le gentleman égyptologue", Elisabeth David rappelle : "En matière d’exportation d’antiquités, Maspero reste fidèle à ses habitudes : il se montre large lorsqu'elle est demandée pour le compte d’un musée ou d’une institution publique, et beaucoup plus strict lorsqu'il s’agit d’un collectionneur privé ou d’un marchand. En ce qui concerne le commerce privé, des mesures sont également prises : on a vu que Maspero, faute de mieux, préfère laisser exister un commerce d’antiquités, à condition qu’il soit, dans la mesure du possible, sous contrôle. Le gouvernement égyptien décide d'établir des listes d'antiquaires, localité par localité, qui seront autorisés à vendre, et accepteront des visites d'inspection du service des Antiquités".
Panayotis Kyticas, qui était une relation de Gaston Maspero, devait être l'un d'eux…
marie grillot
sources :
Statue of Wepwawetemhat, MFA Boston
https://collections.mfa.org/objects/130761/statue-of-wepwawetemhat?ctx=9d00d45a-53e1-4cdf-ac7c-f41b8299a673&idx=15
Emile Chassinat, Une campagne de fouilles dans la nécropole d'Assiout, IFAO, 1911
https://archive.org/stream/MIFAO24/MIFAO%2024%20Chassinat,%20Émile%20Gaston%20-%20Une%20campagne%20de%20fouilles%20dans%20la%20nécropole%20d'Assiout%20(1911)%20LR_djvu.txt
https://archive.org/details/MIFAO24/page/n159/mode/2up
Susanne Gänsicke, Pamela Hatchfield, Abigail Hykin, Marie Svoboda, & C. Mei-An Tsu, The Ancient Egyptian Collection at the Museum of Fine Arts, Boston. Part 1, A Review of treatments in the field and their consequences, Journal of the American Institute for Conservation 2003, Volume 42, Number 2, Article 3 (pp. 167 to 192)
https://cool.culturalheritage.org/jaic/articles/jaic42-02-003_8.html
Mona M. Raafat El-Sayed and Mahinor A. Fouad, Egyptian Beverages: A Journey through Ancient to Modern Times, International Academic Journal Faculty of Tourism and Hotel, IAJFTH, volume 4, n° 1 2018
https://journals.ekb.eg/article_95506_57fb418fabd7b8ba2a2312c8c6ec3ab8.pdf?fbclid=IwAR03QIObd3x_6rMmeH_sJSgfeeIMjWpLDmDPEYSqZjoqEuk1Aps86no7_78
Wildung Dietrich, L'âge d'or de l'Egypte - Le Moyen Empire, Office du Livre, 1984
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