lundi 22 juin 2020

La bague scarabée de Chéchonq : un gage de fidélité pour l'éternité ?

Bague au scarabée réemployée par Chéchonq II - or et lapis-lazuli - XXIIe dynastie
Découverte sur sa momie en mars 1939 dans sa tombe (n° III) de Tanis par Pierre Montet et son équipe
Musée égyptien du Caire - JE 72190

"Revenant à notre sarcophage, nous constatâmes que chacun des doigts et des orteils de Pharaon était introduit dans un un étui d'or qui en moulait la forme. En raison de la propriété déifiante attribuée à l'or, n'était-il pas normal que l'on tentât de muer toutes les parties périssables du corps divinisé en la sublime inaltérabilité de ce métal-roi? Chacun des doigts était, en outre, surchargé de lourds anneaux et de superbes bagues. Parmi ces dernières, on en remarque deux, très belles, ornées respectivement de l'œil mythique d'Horus, et d'un scarabée en pierre de couleur". 

Tel est le récit de Georges Goyon relatant la découverte de cette bague, qui après presque 3000 ans d'obscurité, a conservé toute sa beauté …
Georges Goyon et Pierre Montet devant le sarcophage d'argent de Chéchonq II 
lors de sa découverte, à Tanis, en mars 1939
(photo extraite de "La découverte des trésors de Tanis", de Georges Goyon)

Nous sommes en mars 1939, il est alors aux côtés de Pierre Montet, à Tanis. Ils viennent de découvrir la tombe d'un pharaon auquel ils ont redonné la vie par la magie de son nom prononcé. Georges Goyon raconte cet incroyable moment de "renaissance" : "C’est alors qu’apparut l’inscription gravée sur le bandeau ventral du sarcophage avec les cartouches porteurs du protocole royal que j’eus le plaisir de déchiffrer le premier: "Héqakheperrê Chéchanq-aimé d’Amon", lis-je à haute voix. Montet s’irrita : "Vous avez certainement mal lu, on ne connaît pas de roi portant ce prénom-là", déclara-t-il. Chéchonq II, roi d’origine libyenne de la XXIIe dynastie venait d’entrer dans l’Histoire moderne." 
Le cercueil d’argent de Chéchonq II juste après sa découverte
Archives Mission Montet ©EPHE, Centre Wl. Golénischeff

Dans "Trésors d'Egypte au musée du Caire", Etienne Scheltraete précise que ce "grand prêtre d’Amon au début de la XXlle dynastie, régna brièvement aux côtés de son père Osorkon qui l'avait choisi comme successeur, mais mourut avant de prendre réellement le pouvoir".
Croquis de l’antichambre de la tombe de Psousennès Ier, dessiné par J.-L. Fougerousse, 
le jour de sa découverte le 17 mars 1939, avec le sarcophage de Chéchonq II in situ

La découverte est "royale" et le découvreur Pierre Montet qualifiera ce 17 mars 1939 de "journée merveilleuse, digne des Mille et une nuits"… Les plus hautes autorités en sont informées. Ainsi se souvient Georges Goyon : "le lendemain, en présence du roi Farouk qui avait tenu à participer de ses propres mains à l'opération, nous soulevâmes ensemble le couvercle du sarcophage d’argent. C’est alors qu’apparut dans toute sa beauté, fixé par la magie du métal incorruptible, le masque d’or, l’image rayonnante, du pharaon Héqakheperré-Chéchanq… Ce magnifique masque, frappé dans une seule plaque d’or pur, d’une épaisseur d’un millimètre, était non seulement une admirable pièce d’orfèvrerie, mais aussi un document historique de premier ordre". Outre le sarcophage d'argent, le trésor de Chéchonq se révélera être constitué de 20 kg de bijoux en or ! Pectorals, bracelets, bagues, … sont d'une incroyable beauté et d'une immense richesse.
Bague au scarabée réemployée par Chéchonq II - or et lapis-lazuli - XXIIe dynastie
Découverte sur sa momie en mars 1939 dans sa tombe (n° III) de Tanis par Pierre Montet et son équipe
Musée égyptien du Caire - JE 72190

Cette bague est en effet toute en finesse, en élégance…  L'anneau d'or, dont la forme n'est pas vraiment ronde, se termine à chaque extrémité par une fine ombelle de papyrus délicatement gravée. Un magnifique scarabée en lapis-lazuli, d'un bleu profond, en constitue le chaton. Il est traversé en son milieu par une tige qui le relie aux ombelles. Il s'agit précisément d'un axe pivotant qui permet au scarabée de tourner et de libérer le 'plat', orné de hiéroglyphes, qui peut alors servir un sceau. "L'utilisation de scarabées comme cachet est largement attestée en Égypte dès l'Ancien Empire, lorsque ces bijoux remplacent le sceau cylindre. Ils connurent très rapidement une vaste diffusion…" rappelle Francesco Tiradritti dans le Catalogue de l'Exposition "Pharaons" (Paris, 2004).

Le scarabée est très joliment travaillé et révèle une grande maîtrise dans son exécution. Symbole du renouveau, de la renaissance, le scarabée est une amulette que l'on touve très souvent dans la joaillerie égyptienne. Comme nous le rappelle Gaston Maspero : "Le scarabée, pris comme emblème divin, représentait Khopri, le soleil levant, le soleil qui se produit (khoprou) au matin de chaque jour, et qui renaît après être mort le soir du jour précédent." Il précise aussi que "la racine de khoprou est 'devenir' : aussi est-il devenu de bonne heure en Egypte l'emblème de la vie humaine et des devenirs successifs de l'âme dans l'autre monde". 
Bague au scarabée réemployée par Chéchonq II - or et lapis-lazuli - XXIIe dynastie
Découverte sur sa momie en mars 1939 dans sa tombe (n° III) de Tanis par Pierre Montet et son équipe
Musée égyptien du Caire - JE 72190

Ainsi, l'or de l'anneau symbolise-t-il la chair des dieux, et le lapis-lazuli du coléoptère, pierre semi-précieuse que les Égyptiens faisaient venir d'Afghanistan, avec son : "bleu profond pailleté de métal évoquait le ciel nocturne étoilé mais aussi l'obscurité des eaux primordiales"…

L'inscription hiéroglyphique gravée sur le plat  du scarabée ne porte pas le titre du pharaon… En effet, sa lecture qui "demeure incertaine" semble indiquer que, à l'origine, cette bague était destinée à un autre propriétaire…

Dans "Tanis l'or des pharaons", Jean Yoyotte livre cette intéressante interprétation : "Ce scarabée, héritage ou cadeau, n’avait pas été fabriqué pour le roi. Soigneusement gravés, les hiéroglyphes qu'on voit sur le plat indiquent qu’il devait 'protéger', à l'origine, un prêtre contemporain des débuts de la XXIIe dynastie. La lettre de ce texte demeure un peu incertaine. L'homme se nommait soit Hor-em-hout-aât ('Horus est dans le Grand château' d'Héliopolis), soit Hor-em-ineb ('Horus est dans le Mur' de Memphis)... Son titre, rare mais caractéristique, le définissait comme un de ceux qui étaient habilités à officier dans le mystère du sanctuaire d'Amon et qui pouvaient 'voir les choses réservées dans le palais'". 

La question bien évidemment se pose de savoir pourquoi cette bague s'est retrouvée à l'un des doigts de la momie de Chéchonq ? Est-ce là l'ultime geste de reconnaissance d'un officiant à son pharaon ? Est-ce là l'accomplissement d'un souhait de protection et d'attachement pour l'éternité ?

Chechonq II, qui pourrait avoir perdu la vie vers sa vingtième année, fut-il très lié à sa famille, très respectueux de sa lignée, et-ou  particulièrement aimé ? Ce qui est avéré c'est que, pour son au-delà, il était entouré de plusieurs bijoux provenant du "riche patrimoine familial hérité de ses ancêtres" ou de ses proches, comme le prouve cette bague…

Comment ne pas citer le bracelet au sceau-cylindre mésopotamien (JE 72186) dont Pierre Montet pensait "qu’il s’agissait peut-être là d’un souvenir des ancêtres des Chéchanq qui étaient, non pas des Libyens, mais des Asiatiques qui, en ce temps-là, menaient la vie nomade en Mésopotamie" ?

Ou bien encore la paire de bracelets ornés d'un œil 'oudjat' (JE 72184 a-b) qui portent en leur intérieur, "une titulature royale, assez maladroitement ciselée, qui n’est pas celle de Chechonq II mais qui réunit les deux cartouches de son illustre ancêtre Chechonq I" ?
Pectoral de Chéchonq Ier avec barque solaire - or, lapis-lazuli et pâte de verre
Découvert dans la tombe de Chéchonq II - Tanis - XXIIème dynastie musée égyptien du Caire - JE 72171 - Photo Christoph Gerigk © Franck Goddio/Hilti Foundation

Il en va de même pour le pectoral de Chéchonq Ier avec barque solaire - or, lapis-lazuli et pâte de verre retrouvé sur sa momie (JE 72171) dont Georges Goyon  estime "que l'inscription hiéroglyphique est très intéressante puisqu'elle confirme la lignée des premiers rois de la XXIIe dynastie égyptienne. Ce petit monument a dû appartenir à Chéchonq Ier, fondateur de la dynastie"…

Cette  bague au scarabée a été enregistrée au Journal des Entrées du Musée égyptien du Caire sous la référence JE 72190 : elle y est exposée dans les vitrines présentant les merveilles des trésors de Tanis.

marie grillot

sources :
La découverte des Trésors de Tanis, Georges Goyon 
Tanis l'or des pharaons, catalogue de l'exposition Paris, Galeries nationales du Grand Palais, 26 mars - 20 juillet 1987 
Tanis : trésors des pharaon, Henri Stierlin et Christiane Ziegler, Seuil, 1987
Trésors d'Egypte - Les merveilles du musée égyptien du Caire, Francesco Tiradritti 
Pharaons - Catalogue de l'exposition présentée à l'Institut du monde arabe à Paris, du 15 octobre 2004 au 10 avril 2005 
Guide du visiteur du musée de Boulaq (édition 1883), Gaston Maspero

Emplacement des tombes découvertes à Tanis par l'équipe de Pierre Montet 

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