vendredi 19 juin 2020

Un hippopotame découvert par Auguste Mariette à Dra Abou el-Naga

Figurine d'hippopotame - faïence bleue - Moyen Empire ou Deuxième Période intermédiaire - XIe - XIIIe dynasties
découverte dans la nécropole de Dra Abou el-Naga ("tombe d'un Antouf" selon Maspero ou hypogée de Neferhotep) 
par Auguste Mariette en 1860 (ou 1863) - Musée Égyptien du Caire - JE 6156 (ou JE 21365) 

L'hippopotame au corps massif, aux pattes courtes, est représenté debout, peut-être vient-il tout juste de sortir de l'eau. On l'imagine avançant lourdement dans les marais du Nil, indifférent à son environnement, sans se soucier de tout ce qu'il écrase sur son passage ; il poursuit son but, qui ne peut être que celui de se nourrir…

L' "Hippopotamus amphibius" était l'espèce la plus répandue dans le paysage nilotique. On ne peut qu'admirer la maîtrise de cet artisan qui, il y a presque 4000 ans, a pris le temps de l'observer, malgré le danger, et a su rendre à merveille son anatomie.
Figurine d'hippopotame - faïence bleue - Moyen Empire ou Deuxième Période intermédiaire - XIe - XIIIe dynasties
découverte dans la nécropole de Dra Abou el-Naga ("tombe d'un Antouf" selon Maspero ou hypogée de Neferhotep)
par Auguste Mariette en 1860 (ou 1863) - Musée Égyptien du Caire - JE 6156 (ou JE 21365) - photo du musée

Avec subtilité, il a réussi à "apprivoiser" l'intense lourdeur de la tête épaisse aux yeux et oreilles proéminents, du cou gras et plissé, de la gueule puissante "pouvant s'ouvrir jusqu’à 180 degrés", du ventre tombant, des membres trapus… … Et, par son talent, il est parvenu à lui conférer une esthétique toute particulière, tout en suggérant l'idée de mouvement… 

L'animal est travaillé en ronde bosse, dans ce que nous appelons aujourd'hui la "fritte bleue". Dans "L'Egypte des pharaons au musée du Caire", Jean-Pierre Corteggiani nous rappelle quelques détails de sa technique de fabrication : "La 'faïence égyptienne', matière noble que les anciens appelaient 'la brillante', n'est pas une argile supportant un émail stannifère, mais une fritte recouverte d’une glaçure de verre que les artisans égyptiens surent appliquer sur des perles de stéatite, dès l’époque badarienne".
Figurine d'hippopotame - faïence bleue - Moyen Empire ou Deuxième Période intermédiaire - XIe - XIIIe dynasties
découverte dans la nécropole de Dra Abou el-Naga ("tombe d'un Antouf" selon Maspero ou hypogée de Neferhotep)
par Auguste Mariette en 1860 (ou 1863) - Musée Égyptien du Caire - JE 6156 (ou JE 21365) - photo internet

Bien sûr la fritte peut-être de différentes couleurs, mais : "Le bleu l'emporta dans les manufactures thébaines, dès les premières années du Moyen-Empire. C'est, d'ordinaire, un bleu brillant et doux, imitant la turquoise ou le lapis-lazuli" précise Gaston Maspero dans "L'archéologie égyptienne".

Et pour cet hippopotame, ce bleu s'apparente idéalement aux couleurs du fleuve. Par une idée de génie, son concepteur a dessiné en noir (manganèse ?), non seulement les traits principaux de son faciès mais également, de façon totalement surprenante, son environnement faunistique et floristique (insectes, oiseaux, plantes aquatiques,…).
Figurine d'hippopotame - faïence bleue - Moyen Empire ou Deuxième Période intermédiaire - XIe - XIIIe dynasties - découverte dans la nécropole de Dra Abou el-Naga ("tombe d'un Antouf" selon Maspero ou hypogée de Neferhotep) par Auguste Mariette en 1860 (ou 1863) - Musée Égyptien du Caire - JE 6156 (ou JE 21365) - illustation de Gianluca Miniaci et Stephen Quirke dans "Reconceiving the Tomb in the Late Middle Kingdom.
The Burial of the Accountant of the Main Enclosure Neferhotep at Dra Abu al-Naga" (BIFAO 109 - 2009)

La description qu'en font Gianluca Miniaci et Stephen Quirke dans "The Burial of the Accountant of the Main Enclosure Neferhotep at Dra Abu al-Naga" est d'une précision remarquable : "La tête de l'animal est décorée de la tige et de la fleur de la Nymphaea caerulea, marquées des points qui distinguent cette fleur ; deux bourgeons symétriques sont tirés le long du museau derrière les yeux. La bouche de l'animal est délimitée par une fine ligne horizontale noire, et est ajoutée avec des moustaches. Les yeux et les oreilles sont moulés en faïence et soulignés de noir. Au dos, sur un papyrus en fleur, est représenté un oiseau aquatique aux ailes déployées. Le long des côtés de l'animal, sur les tiges fléchies de deux fleurs de Cyperus Papyri, un petit oiseau et un papillon aux ailes repliées sont couchés. Derrière ces fleurs de papyrus, il y a deux bourgeons de Nymphaea caerulea. Le bas est orné de la tige et de la fleur de Nymphaea Lotus, et sur les pattes postérieures, deux nénuphars sont peints".

Daté du Moyen Empire, il a été découvert, à Dra Abou el-Naga sur la rive ouest de Thèbes lors des premières fouilles menées par Auguste Mariette en 1860 (ou 1863).
Vue générale de la nécropole de Dra Abou el-Naga de nos jours
Rive ouest de Louqsor

Sa provenance plus précise pose question : "dans la tombe d'un Entouf" selon Maspero, (Dra abou el-Naga étant la nécropole des Antef) ; ou, selon d'autres sources, dans l'hypogée d'un certain Neferhotep "accountant of the Main Enclosure".

Ces statuettes ont fréquemment été retrouvées dans les tombes du Moyen Empire et de la Deuxième Période intermédiaire : Quelle est leur symbolique ? Pourquoi étaient-elles placées près du défunt? Quels étaient leurs pouvoirs ? 

Auguste Mariette apporte une précision quant à leur emplacement dans le contexte funéraire : "À Drah-abou’l-Neggah nous avons eu deux fois occasion de constater que les figures qui représentent l’hippopotame debout ou couché sont placées dans l’intérieur du cercueil et sous les pieds du défunt"… Il est à noter qu'une figurine de ce type, retrouvée dans la tombe de Reniseneb - CC 25 - XIIe dynastie -, découverte en 1910, par Lord Carnarvon et Howard Carter, dans le secteur des "Birabi dans l'Assassif", était, elle, insérée dans les bandelettes de la momie et placée au bas du dos défunt (MMA - n° d'entrée 26.7.898). 
Figurine d'hippopotame - faïence bleue - Moyen Empire ou Deuxième Période intermédiaire - XIe - XIIIe dynasties
découverte dans la nécropole de Dra Abou el-Naga ("tombe d'un Antouf" selon Maspero ou hypogée de Neferhotep)
par Auguste Mariette en 1860 (ou 1863) - Musée Égyptien du Caire - JE 6156 (ou JE 21365) - photo internet

Dans son ouvrage précédemment cité, Jean-Pierre Corteggiani se questionne également : "On ne sait pas exactement pourquoi, au Moyen Empire, les Égyptiens plaçaient de semblables statuettes d’hippopotames dans les tombes mais, qu'elles figurent l’animal debout, comme ici, où à demi couché, gueule ouverte tournée vers l’arrière, ce sont de loin les plus nombreuses des figurines animales retrouvées dans les sépultures de cette époque".

Dans le catalogue de l'exposition "Des Animaux et des Pharaons, Le règne animal dans l'Égypte ancienne", Élisabeth Delange apporte cette interprétation intéressante : "L’hippopotame était partie intégrante du paysage nilotique. Dès la plus haute époque, on éprouva le besoin de le représenter afin de maîtriser symboliquement sa force destructrice. À la fin du Moyen Empire apparurent ainsi une série de figures originales et suggestives... Déposé dans la tombe, l’hippopotame prenait une tout autre signification, devenant la figure symbolique du soleil qui surgit de l’onde au matin de la création. C’est pourquoi il accompagnait le défunt dans sa 'résurrection'".
Figurine d'hippopotame - faïence bleue - Moyen Empire ou Deuxième Période intermédiaire - XIe - XIIIe dynasties
découverte dans la nécropole de Dra Abou el-Naga ("tombe d'un Antouf" selon Maspero ou hypogée de Neferhotep)
par Auguste Mariette en 1860 (ou 1863) - Musée Égyptien du Caire - JE 6156 (ou JE 21365) - photo internet

Si l'hippopotame peut évoquer le "Noun", marécage primordial, la femelle est généralement associée à la déesse Thouéris "garante de la fertilité et protectrice des naissances"…

Isabelle Franco, dans son "Dictionnaire de mythologie égyptienne", explique parfaitement avec quelle intelligence les anciens égyptiens ont conjugué cette "dualité" : "L'hippopotame était redouté … Face à cette puissance incontrôlable les égyptiens ont adopté une double attitude. D'une part, ils ont utilisé l'image de fécondité associée à la femelle hippopotame en l'attribuant à certaines déesses protectrices de la maternité, comme Taourèt - Thouéris ou Ipèt. D'autre part, ils ont combattu les influences néfastes véhiculées par le mâle en les anéantissant par des procédés magiques".
Figurine d'hippopotame - faïence bleue - Moyen Empire ou Deuxième Période intermédiaire - XIe - XIIIe dynasties
découverte dans la nécropole de Dra Abou el-Naga ("tombe d'un Antouf" selon Maspero ou hypogée de Neferhotep)
par Auguste Mariette en 1860 (ou 1863) - Musée Égyptien du Caire - JE 6156 (ou JE 21365) - photo internet

Cet hippopotame a une hauteur de 11,5 cm et une longueur de 21,5 cm. Il a été enregistré au Journal des Entrées du Musée du Caire sous la référence JE 6156 ou JE 21365. Cette imprécision est ainsi expliquée par Gianluca Miniaci et Stephen Quirke : "Il y a eu confusion dans la numérotation des figurines d'hippopotames trouvées lors des fouilles du Service des Antiquités en 1860 (JE 6156) et 1863 (JE 21365)... Il est exposé dans une vitrine du premier étage, près d'un "congénère", qui lui est couché (JE 21366)…

marie grillot

sources :
Gaston Maspero, Guide du visiteur du musée de Boulaq, édition 1883, TYP. Adolphe Holzhausen, Vienne, 1883
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6305105w.texteImage
Gaston Maspero, L'archéologie égyptienne, Quantin Paris, 1887   http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k331686/f2.item.r=186.texteImage
Gaston Maspero, Guide du visiteur au Musée du Caire, IFAO, Le Caire, 1902, (n° 877, p. 286)
https://archive.org/details/guidemuseecaire00masp/page/n5/mode/2up
Gaston Maspero, Guide du visiteur au Musée du Caire, IFAO, Le Caire, 1915, (n° 877, p. 286)
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57248808.texteImage
Jean-Pierre Corteggiani, L'Egypte des pharaons au musée du Caire, Hachette Paris, 1986
Mohamed Saleh, Hourig Sourouzian, Catalogue officiel du Musée Egyptien du Caire, Verlag Philippe von Zabern, 1997
Isabelle Franco, Dictionnaire de mythologie égyptienne, Pygmalion, 1999
Francesco Tiradritti, Trésors d'Egypte - Les merveilles du musée égyptien du Caire, Gründ, 1999
Abeer El-Shahawy, The Egyptian Museum in Cairo, Matḥaf al-Miṣrī, American University in Cairo Press, 2005
Catalogue d'exposition Des Animaux et des Pharaons, Le règne animal dans l'Égypte ancienne, présentée au musée Louvre-Lens (4 décembre 2014 au 9 mars 2015) - éditions Somogy / Louvre Lens
Gianluca Miniaci, Stephen Quirke, Reconceiving the Tomb in the Late Middle Kingdom. The Burial of the Accountant of the Main Enclosure Neferhotep at Dra Abu al-Naga, BIFAO 109, 2009 
http://www.ifao.egnet.net/bifao/109/17/
https://www.academia.edu/8048873/Reconceiving_the_tomb_in_the_late_Middle_Kingdom_the_burial_of_the_accountant_of_the_Main_Enclosure_Neferhotep_at_Dra_Abu_el_Naga
Standing Hippopotamus - Thebes, Asasif, Birabi, pit tomb CC 25, burial of Reniseneb, back of mummy, Carnarvon/Carter excavations, 1910
https://www.metmuseum.org/art/collection/search/545724?searchField=All&sortBy=Relevance&ft=CC25&offset=0&rpp=20&pos=10

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