"À la hauteur où je suis arrivé, écrit en 1830 Jean-Jacques Rifaud dans son "Tableau de l'Égypte, de la Nubie et des lieux circonvoisins", les montagnes s'éloignent du Nil, et laissent libre une vaste plaine qui jadis était cultivée et renfermait quantité de réservoirs. Aujourd'hui le sable a tout envahi ; ce n'est plus qu'un désert qui s'étend jusqu'au pied de la chaîne libyque, et dans lequel végètent çà et là quelques plantes indigènes. Le temple de Deqqèh est à soixante toises environ de la rive du fleuve ; sa façade, tournée au nord, est précédée d'un propylée isolé, sur lequel sont diverses inscriptions égyptiennes, grecques et coptes. Le temple de Dakka ou Deqqèh mérite l'attention des voyageurs, rien même qu'à cause des richesses hiéroglyphiques qui sont à l'intérieur."
Temple de Dakka, dessin de Jean-Jacques Rifaud
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Quelques années auparavant, Giovanni Battista Belzoni relatait : "Le lendemain après-midi nous arrivâmes à Dakké. À cet endroit les montagnes s’éloignent du Nil, et laissent entre elles et le fleuve une plaine spacieuse, qui a sans doute été cultivée autrefois, mais que le sable recouvre maintenant. On aperçoit encore sur le bord de l’eau, à trois pieds sous le sable, une couche de terre végétale. Un temple d’une construction élégante s’élève à environ cinquante toises du rivage. Les murs n’en sont point couverts d’hiéroglyphes en dehors ; mais l’intérieur est orné de belles figures en bas-relief. (...) Les sculptures des murs de l’intérieur représentent des cérémonies religieuses. Vers le bas je remarquai quelques figures assez semblables ä des hermaphrodites." ("Voyages en Égypte et en Nubie", 1821)
Temple de Dakke in Nubia, Giovanni Battista Belzoni
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Situé à une centaine de kilomètres au sud d'Assouan, sur la rive occidentale du lac Nasser, le temple gréco-romain de Dakka (Pselkis) était dédié à Thot, seigneur de Pnoubs. Il a été érigé au IIIe siècle avant notre ère, en remplacement d'un petit temple de la 18ème dynastie, par le roi koushite Arqamani (Ergamène), puis complété par Ptolémée IV Philopator (ajout d’une antichambre), Ptolémée VIII Evergète II (ajout d’un pronaos avec deux rangées de probablement trois colonnes) et par les empereurs romains Auguste et Tibère (adjonction d'un second sanctuaire ainsi que construction des murs d’enceinte intérieure et extérieure avec un grand pylône).
Franz Christian Gau, extrait de Antiquités de la Nubie ou Monuments Inédits des Bords du Nil, 1822
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À part son orientation (vers le nord), le temple de Dakka a été construit selon un plan classique. Du nord vers le sud, il comprend : un pylône, à l’évidence disproportionné par rapport aux dimensions de l’ensemble de l’édifice ; un portique, de style ptolémaïque, ajouré dans sa partie supérieure ; le pronaos, suivi d’un double vestibule ; une chapelle, d’époque romaine, accolée au second vestibule ; le sanctuaire (naos).
"Le pylône, précédé d'une chaussée, est séparé du reste de la construction suite à l'effondrement puis à la disparition des deux murs d'enceinte de la cour. Au-dessus de la porte, un disque solaire portant l'uraeus étend ses ailes. Sur sa face sud, de part et d'autre de l'entrée, une petite porte ouvre sur un escalier intérieur qui permet d'accéder à trois étages de chambres. La façade du pronaos est ornée de reliefs où Ptolémée Évergète sacrifie à diverses divinités. Les montants de l'entrée sont engagés dans deux colonnes aux chapiteaux ornés de fleurs de lotus. Les murs d'entrecolements s'élèvent à mi-hauteur, permettant ainsi à la lumière d'entrer dans le vestibule. (...) La décoration des (trois) salles, fortement endommagée par le temps et par les inondations est inachevée. Les reliefs, pourtant d'époque récente (grecque et romaine), ont été gravés avec soin." ("L’Égypte ancienne de @Bastet")
Temple de Dakkah par Pascal Sebah
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"À l'époque romaine, un escalier conduisait sur le toit, où une chambre était cachée dans l'épaisseur de la paroi. (...) Une partie du toit est toujours intacte, ses murs étaient autrefois entièrement recouverts de reliefs religieux." (egypte-eternelle.org)
À la lecture des récits de Belzoni et Rifaud, il apparaît que le monument était en bon état au début du XIXe siècle. Puis, dans les années 1880, des chercheurs de sebakh et de trésors entreprennent de fouiller le site au point d’en fragiliser les fondations. Conséquence de ces atteintes au patrimoine : lors d'une nuit de tempête, entre août et octobre 1896, une partie de l’édifice s’écroule !
Au cours de l’été 1902, c’est au tour de la moitié orientale du pronaos de s’effondrer. Le service des Antiquités décide alors de reconstruire le temple. Les travaux sont dirigés par l’égyptologue italien Alexandre Barsanti en 1908 et 1909.
Plus d’un demi-siècle plus tard, une autre aventure commence, avec la construction du haut barrage d’Assouan. Les eaux envahissantes du nouveau lac Nasser sont sans pitié pour les temples de Nubie. Dans la mouvance de la campagne internationale lancée alors pour la sauvegarde d’un patrimoine mondial menacé de disparaître à tout jamais, le temple de Dakka fait partie, au même titre qu’Abou Simbel, Philae et autres sites prestigieux, des heureux élus à une vaste opération de sauvetage. Le monument est totalement démantelé dans les années 1960, pour être transporté et remonté à Wadi el-Seboua, à quelque 40 km au sud de son emplacement initial. Sur le plateau qui l’accueille, il se retrouve en compagnie d’un autre édifice ayant connu le même sort, pour les mêmes raisons : le temple de Muharraqa.
Temple de Dakka - photo Dennis Jarvis
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Face au génie industriel mis en oeuvre pour l’aménagement de la gigantesque structure dont l’Égypte moderne avait besoin afin de subvenir à ses besoins vitaux en énergie électrique et maîtrise de l’irrigation des terres, les passionnés de patrimoine ont su trouver les arguments et les ressources pour que les “trésors” de Nubie soient sauvés du naufrage. Au moins pour bon nombre d’entre eux. Le temple de Dakka fit, fort heureusement, partie du lot. Prémonition ou pas : tout en étant vénéré comme le "symbole de la sagesse égyptienne", le dieu Thot, auquel ce temple était dédié, n’est-il pas aussi le "maître de l'inondation des rives du fleuve" ?
Marc Chartier
sources :
Tableau de l'Égypte, de la Nubie et des lieux circonvoisins, Jean-Jacques Rifaud, 1830
Voyages en Égypte et en Nubie, Giovanni Battista Belzoni, 1821
L’Égypte ancienne de @Bastet
egypte-eternelle.org
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