vendredi 5 mars 2021

Écoutons ce collier "menat" : il a tant à nous dire !

Collier "menat" - Nouvel Empire - règne d'Amenhotep III
découvert à Malqatta en 1911 lors de fouilles menées par le Metropolitan Museum of Art
exposé au Metropolitan Museum of Art (New York) - référence 11.215.450

Ce collier appelé "menat" est composé d'une multitude de fils chargés de perles de plusieurs tons de bleu, parmi lesquels se distinguent de rares fils composés de perles multicolores. L'ensemble des fils est ensuite réuni, rassemblé - peut-être même vrillé ou tressé - à chaque extrémité pour ne former plus qu'un seul et unique cordon. C'est sur celui-ci que sont alors enfilées, de part et d'autre, des perles colorées, beaucoup plus grosses et de formes très variées. Elles sont principalement rondes et longues, mais l'assemblage, est différent d'un côté et de l'autre. De verre, agate, cornaline, lapis-lazuli, turquoise, les perles se côtoient, sans obéir, semble-t-il, à une harmonie définie, sauf peut-être, pour une raison d'équilibre dans la partie finale qui vient s'accrocher au contrepoids. 
Collier "menat" - Nouvel Empire - règne d'Amenhotep III
découvert à Malqatta en 1911 lors de fouilles menées par le Metropolitan Museum of Art
exposé au Metropolitan Museum of Art (New York) - référence 11.215.450

Cette partie significative du collier semble avoir été ajoutée plus tardivement. Comme le précise Paul Barguet dans "L’origine et la signification du contrepoids du collier-menat" : "Si le nom de menat apparaît déjà au Moyen-Empire, les représentations qu'on en a alors montrent le collier terminé par des pendeloques, et non par le contrepoids. C'est semble-t-il depuis la XVIIIème dynastie seulement que celui-ci existe". 

D'une longueur de près de 15 cm, celui-ci est taillé dans le bronze. S'il est parfois indiqué qu'il reprend l'aspect d'un "trou de serrure", cette interprétation sur sa forme, émise notamment par Jean-Pierre Corteggiani ("L'Égypte ancienne et ses dieux"), nous semble des plus pertinentes et nous séduit - une fois encore ! - par l'imagination et la symbolique de l'Égypte ancienne : "On a montré sans difficulté que celle-ci, proche de celle de certaines “poupées” retrouvées dans des tombes thébaines du Moyen-Empire, n’est que la stylisation d’un torse féminin réduisant le corps de la femme, dont la chevelure est évoquée par la masse des perles, à son bassin (partie circulaire) et à son buste (partie trapézoïdale), c’est-à-dire à ses deux fonctions essentielles : la mise au monde et l’allaitement."
Plusieurs modèles de poupées appelées "paddle dolls"

Si ce collier pouvait être porté comme parure, il était, tout comme le sistre, un attribut de la déesse Hathor. "La menat, formée d'un lourd faisceau de fils de perles réunis en cordons à leurs deux extrémités, était l'attribut favori d'Hathor, et l'un des accessoires les plus habituels de son culte."

C'est ainsi qu'on le trouve dans les mains de certaines déesses, de prêtres, mais aussi de femmes - notamment au Nouvel Empire les chanteuses d'Amon - qui l'agitaient lors des cérémonies religieuses. En effet : "après avoir rabattu la masse des perles sur le contrepoids, il était utilisé comme instrument de musique liturgique, le frottement des deux parties l’une contre l’autre produisant un grésillement, sorte de cliquetis rythmique qui devait être comparable à celui du sistre : on le voit donc souvent dans les mains des chanteuses et des musiciennes ou dans celles des reines et des princesses qui jouent le rôle de prêtresses, secouant alternativement les deux instruments en les élevant vers les dieux" (Jean-Pierre Corteggiani).
Tombe de Nakht et de son épouse Taouy - TT 52 - Vallée des Nobles -Sheikh Abd el-Gournah 

Le "son" émis était magique et pouvait "apaiser un dieu ou une déesse" ; quant au "don de la menat", il signifiait la protection. Ainsi, tout naturellement, vient à l'esprit l'image du magnifique relief que Jean-François Champollion a ramené de la tombe de Séthi Ier et qui est exposé au Louvre. Il représente, dans un geste qui révèle une infinie tendresse, Hathor donnant ce collier ménat au pharaon. "Hathor ne pouvait pas accorder à ses fidèles une faveur plus grande que celle de leur tendre sa menat et de la leur faire toucher, afin de les assurer de sa protection."
La déesse Hathor accueille Séthi Ier provenance tombe de Séthi Ier - KV 17
Département des Antiquités égyptiennes - Musée du Louvre - B 7

Ce collier, daté du Nouvel Empire, du règne d'Amenhotep III, a été découvert en 1911-1912 lors de fouilles menées par le Metropolitan Museum of Art sur la rive ouest de Louqsor, au sud de la nécropole thébaine, plus précisément sur le site de Malqatta.

Christian Leblanc nous éclaire ainsi sur ce lieu :"La cité palatiale de Malqatta couvrait une très importante superficie : elle devait commencer là où se trouve le temple d'Aÿ-Horemheb au nord, et s'étaler jusqu'au Deir el-Chelouit au sud. C'était une véritable ville avec ses infrastructures, dont un immense lac (± 2,5 km de long x 1 km de large), désigné sous le nom de Birket Habou, creusé artificiellement et alimenté par un canal venant du Nil. Cette structure aquatique, profonde de plus de ± 5 m, qui servait également de port, permettait l'alimentation en eau de la cité et pouvait, en certaines occasions, être également utilisée pour des cérémonies à caractère religieux. La ville fut fondée par Amenhotep III, peut-être bien avant son premier jubilé, comme semblent en témoigner certaines "étiquettes de jarres" découvertes sur le site. La cour royale y vécut, entourée de ses dignitaires et de ses fonctionnaires. Le jeune Akhenaton et Nefertiti ont dû y séjourner avec leurs premières filles avant de quitter Thèbes pour Tell el-Amarna."
Le site de Malqatta aujourd'hui :  c'est à cet emplacement que la cité palatiale d'Amenhotep III s'élevait
(photo Pascal Pelletier)

L'expédition du Metropolitan a fouillé le site pendant cinq saisons, de 1910 à 1921, sous la direction de Herbert E. Winlock. "Les membres de l'expédition égyptienne ont dégagé des sections du palais non excavées par Tytus et Newberry, et les restes de l'enceinte du palais qui n'avaient pas été détruits par les cultures. Ils ont également creusé et cartographié une grande partie de la zone environnante, y compris le Palais du Nord, plusieurs groupes de maisons privées, une usine de verre, une grande 'salle des fêtes' et un temple en briques crues dédié au dieu Amon." 
Le collier "menat" et les deux autres colliers de perles
découverts dans la "Private House B" de Malqatta en 1911
lors de fouilles menées par le Metropolitan Museum of Art de New York
Nouvel Empire - règne d'Amenhotep III

C'est dans la "Private House B" qu'a eu lieu sa découverte. "Ce collier menat miraculeusement conservé et deux colliers de perles et d'amulettes à un seul rang ont été retrouvés dans le coin d'une pièce d'une maison privée près du Palais du Roi. Selon les fouilleurs, les trois colliers avaient été placés dans un sac en toile, dont les traces étaient encore visibles." La présence de ce sac de "protection" traduit très certainement, le fort attachement que leur propriétaire attachait à ces bijoux…

C'est en 1911, sous la référence 11.215.450 qu'il est entré - avec les deux autres colliers -, au Metropolitan Museum of Art grâce à un don du Rogers Fund. 

marie grillot

sources :
Menat necklace from Malqata
https://www.metmuseum.org/art/collection/search/544509?sortBy=Relevance&high=on&ao=on&ft=theban&offset=0&rpp=20&pos=5
William C. Hayes, Inscriptions from the Palace of Amenhotep III, Journal of Near Eastern Studies, Vol. 10, No. 4. (Oct., 1951), pp. 231-242.
https://imalqata.files.wordpress.com/2009/08/hayes-inscriptions-from-the-palace-of-amenhotep-iii-part-4-1951.pdf
Jean-Pierre Corteggiani, L'Egypte ancienne et ses dieux - Dictionnaire illustré, Fayard 2007
Paul Barguet, L’origine et la signification du contrepoids du collier-menat, BIFAO 52 (1952), p. 103-111 
https://www.ifao.egnet.net/bifao/052/04/
Thebes, Malkata To Thebes, the Ramesseum (Archaeology of Ancient Egypt)
http://what-when-how.com/archaeology-of-ancient-egypt/thebes-malkata-to-thebes-the-ramesseum-archaeology-of-ancient-egypt/
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Peter Lacovara, Recent Work at Malqata Palace
https://www.academia.edu/36177397/Recent_Work_at_Malqata_Palace
Christian Leblanc, L'histoire de la maison de fouilles de la Mission Archéologique Française de Thèbes-Ouest (MAFTO) à Malqatta, interview pour Egypte-actualités, mars 2018
https://www.blogger.com/blog/post/edit/3113361505770765094/3895098635124151766
La statue du "serviteur royal" Nofirronpit (Musée du Louvre), Charles Boreux, Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot  Année 1933  33-1-2  pp. 11-26
http://www.persee.fr/doc/piot_1148-6023_1933_num_33_1_1900?q=menat...


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