vendredi 23 mars 2018

Un collier de perles en filigrane qui raconte l'histoire de la "Tombe de l'or"...

Collier en or filigrané de la reine Taousert - Nouvel Empire - XIXe dynastie
provenant de la KV 56 découverte dans Vallée des Rois, en 1908
lors de fouilles menées par Edward Russel Ayrton pour le compte de Theodore Monroe Davis
Metropolitan Museum of Art  de New York - MMA 30.8.66 

Ce ravissant collier en or nous charme par sa finesse, son élégance et l'originalité de son "motif". Il alterne une série de trois perles, joliment travaillées et ajourées, suivies d'un délicat "pendentif". Celui-ci est composé d'une fine perle sphérique, de la même facture que les précédentes, mais sur laquelle est soudée, en ajout terminal, un "calice épanoui" du plus délicat effet. Cet ensemble "éclot" au bout d'une "tige" composée : "d'une feuille d'or roulée ; le cylindre ainsi obtenu pénètre dans la partie supérieure de la perle et y est soudé. L'anneau de suspension est fait d'une étroite bande d'or tordue en anneau et dont les extrémités viennent se perdre dans le cylindre auquel elle est soudée", précise Emile Vernier.
Collier en or filigrané de la reine Taousert - Nouvel Empire - XIXe dynastie
provenant de la KV 56 découverte dans Vallée des Rois, en 1908
lors de fouilles menées par Edward Russel Ayrton pour le compte de Theodore Monroe Davis
Metropolitan Museum of Art  de New York - MMA 30.8.66 

La légèreté de cette composition réside dans le fait que les pièces sont travaillées selon un procédé qui voit le jour en cette XIXe dynastie : le filigrane. Cela se traduit par : "une sorte de dentelle de métal faite de fils ou de lanières d'or ou d'argent finement soudés (à jour ou sur un fond) composant des arabesques et autres motifs". Le filigrane est souvent utilisé dans la bijouterie orientale, tout comme il est, aujourd'hui, particulièrement à la mode, notamment dans certains "charms de Pandora".

Georges Daressy décrit ainsi les éléments du collier : "Têtes sphériques, en filigrane d'or, de 7 millimètres de diamètre. Elles sont faites en deux moitiés, chacune d'elles présentant six petits anneaux entourant le trou destiné au fil, et les deux sont réunis par un fil si entaillé qu'il ressemble à un trou fraisé." Quant aux "pendentifs en forme de fruits, ce sont des perles semblables, mais avec l'addition à une extrémité d'une petite tige creuse et à l'autre d'un calice étalé formé de six petits anneaux. Leur hauteur moyenne est de 23 millimètres."
Collier en or filigrané de la reine Taousert - Nouvel Empire - XIXe dynastie
provenant de la KV 56 découverte dans Vallée des Rois, en 1908
lors de fouilles menées par Edward Russel Ayrton pour le compte de Theodore Monroe Davis
 Metropolitan Museum of Art  de New York - MMA 30.8.66 

La description du Metropolitan Museum of Art de New York - où ce collier est exposé sous la référence MMA 30.8.66 - apporte cette interprétation  : "Les perles de bleuet et autres perles de ce collier ont été faites en soudant des anneaux de fil de plusieurs diamètres différents dans les formes désirées." Ainsi, après étude, la forme du pendentif s'est orientée vers une assimilation à la fleur de bleuet. 

La nature a toujours inspiré les orfèvres, et, en effet, le bleuet faisait partie de la flore de l'Égypte ancienne, comme en témoigne notamment sa présence dans les colliers floraux de Toutankhamon découverts dans la KV 54.


Collier en or filigrané de la reine Taousert - Nouvel Empire - XIXe dynastie
provenant de la KV 56 découverte dans Vallée des Rois, en 1908
lors de fouilles menées par Edward Russel Ayrton pour le compte de Theodore Monroe Davis
Metropolitan Museum of Art  de New York - MMA 30.8.66 

Ce bijou provient de la tombe KV 56, découverte par Edward Russel Ayrton alors qu'il travaillait pour le compte du mécène américain Theodore Monroe Davis auquel Gaston Maspero avait attribué la concession de la Vallée des Rois. 

En janvier 1908, alors qu'ils "fouillent aux abords de la KV 58, ils découvrent l'orifice d'un puits d'une profondeur de sept mètres, débouchant sur une salle aux contours irréguliers". La lueur de leurs bougies leur permet de voir que "le sol était couvert d'une épaisse couche de boue d'un mètre de hauteur dans laquelle étaient enterrés des vases en albâtre et en céramique ainsi que plusieurs objets difficiles à identifier…"
À gauche, le mécène américain Theodore Monroe Davis
et, à droite, l'égyptologue Edward Russel Ayrton

Une extrême prudence sera alors nécessaire pour dégager les artefacts enlisés dans ce magma boueux datant de centaines d'années… "Ayrton passa deux jours à gratter la boue au couteau avant de voir miroiter dans la terre un minuscule fragment d'or. 
Avec l'accord de Davis, il arrosa le sol et finit par libérer les objets de leur gangue de gadoue… Le résultat de ce travail fut le constat d'avoir mis au jour une collection unique de bijoux d'or et argent, vieille de trois mille ans, pratiquement en aussi bon état que le jour où ils avaient été faits."

Cette tombe, "anonyme" est ainsi souvent connue sous le nom de "the gold tomb" : la tombe de l'or. D'autre part : "comme la plupart des objets trouvés à l'intérieur portent les noms de Tausert et Séthi II (ainsi que Ramsès II), Maspero croit que tous les matériaux trouvés dans la KV 56 ont été prélevés dans KV 14, la tombe de Taousert, qui a été usurpé par Sethnakht".

Pour Cyril Aldred, la KV 56 n'était pas une cache, mais plutôt un la sépulture d'un enfant de Séthi II et Taousert.

L'identité de la personne à laquelle était destiné l'ensemble des artefacts est donc encore incertaine.

Dans "The Tomb of Siphtah ; The Monkey Tomb and the Gold Tomb ; The Discovery of the Tombs ; King Siphtah and Queen Tauosrit", publié par Theodore M Davis, en 1908, est inséré le : "Catalogue of the jewels and precious objects of Sethi II and Tauosrit found in the unnamed tomb" rédigé par George Daressy. Il y dresse un inventaire détaillé, décrivant de nombreux bijoux, comme : "plusieurs paires de pendants d'oreilles en or, diverses amulettes, la plupart en or, comme œil d'Horus, cœur, mouches, croix de vie, inflorescence de papyrus, cartouches, figurines d'animal, représentations d'Amon, de Thouéris, tête d'Hathor, ibis, tête de serpent, perles, et aussi fragments de colliers, bagues et doigtiers, en or, ainsi que des bracelets en or, en argent, en électrum…"

Aucune mention d'un collier "complet" n'est portée : il est seulement fait état de "fragments de collier". Ceci implique clairement que ce collier été trouvé, fractionné, ou en "perles détachées", et que nous sommes face à une reconstitution. De plus, ce "ré-enfilage" ne peut être qu' "aléatoire" puisque que nul ne peut connaître la composition initiale, la position exacte des éléments...
Première "publication" des fragments du collier
dans "Catalogue of the jewels and precious objects of Sethi II and Tauosrit found in the unnamed tomb"
de George Daressy, 1908

D'autre part, la photo publiée en fin d'ouvrage nous amène au constat qu'à l'issue de la découverte, le nombre de pendentifs et de perles était beaucoup plus important ! Aussi, après avoir effectué quelques recherches, il apparaît qu'est présenté, au Musée Égyptien du Caire, sous la référence, CG 52679, un collier - "ré-enfilé", de façon certes différente -, mais constitué d'éléments de cette même provenance. Dans "A Secret Voyage", Zahi Hawass le présente ainsi : "Collier d'or - Règne de Sethi II, Nouvel Empire, XIXème Dynastie - provenant de Thèbes Ouest, Vallée des Rois, Tombe 56." Il poursuit ainsi sa description : "Ce collier a été trouvé dans une chambre inachevée de la Vallée des Rois, KV 56, avec d'autres objets portant les noms de Ramsès II, Sethi II et Tausret. Le collier en filigrane est composé de pendentifs en forme de lys alternant avec de petites boules. Tous les composants sont en or. Un autre groupe de composants du même collier est exposé au Metropolitan Museum de New York."
À gauche, le "collier en or filigrané de la reine Taousert" exposé au Metropolitan Museum of Art - MMA 30.8.66
À droite : le "collier d'or - règne de Seti II" exposé au Musée Egyptien du Caire - CG 52679
Nouvel Empire - XIXe dynastie - provenant de la KV 56 découverte dans Vallée des Rois, en 1908
lors de fouilles menées par Edward Russel Ayrton pour le compte de Theodore Monroe Davis 

Ainsi, il semblerait que, selon le règlement du Service des Antiquités qui régissait alors le partage entre le découvreur-financeur des "fouilles" et l'État égyptien, la moitié des composantes du collier soit restée en Égypte, alors que l'autre ait été attribuée à Davis. 

Il en fit le dépôt au Metropolitan Museum dès 1913, et le musée en hérita ensuite, à son décès, en 1915. 

À noter, pour l'anecdote - anecdote qui laisse bien à penser que d'autres perles furent données, ou vendues - que : "deux perles de bleuet ont été achetées à Louxor par Lord Carnarvon avant 1923 et ont été rachetées par le Metropolitan à Lady Almina, Comtesse de Carnarvon en 1926".

marie grillot

sources :
Necklace in Gold Filagree of Queen Tausret
https://www.metmuseum.org/art/collection/search/544769 
Emile Vernier, La bijouterie et la joaillerie égyptienne, MIFAO, Le Caire, 1907
https://archive.org/stream/MIFAO2/MIFAO%202%20Vernier,%20%C3%89mile-S%C3%A9raphin%20-%20La%20bijouterie%20et%20la%20joaillerie%20%C3%A9gyptiennes%20(1907)%20LR_djvu.txt
Emile Vernier, Note sur les boucles d’oreilles égyptiennes, BIFAO 8, p. 15-41, Le Caire, 1911
https://www.ifao.egnet.net/bifao/8/2/
Emile Vernier, Catalogue général des antiquités égyptiennes du Musée du Caire, N° 52152-52639, Bijoux et orfèvreries. T.1. Fasc. 2., IFAO, Le Caire, 1909
https://archive.org/details/VernierBijouxI2 
Theodore Monroe Davis, The Tomb of Siphtah, The monkey tom and the gold tomb, George Daressy, Catalogue of the jewels and precious objects of Sethi II and Tauosrit found in the funerary deposit of Sethi II and Tauosret, Archibald Constable and Co. ltd., London, 1908
https://ia902205.us.archive.org/5/items/tombofsiphtahmon04davi/tombofsiphtahmon04davi_bw.pdf
https://ia804605.us.archive.org/22/items/tombofsiphtahmon04davi/tombofsiphtahmon04davi.pdf
KV 56 - "The Gold Tomb"
http://www.thebanmappingproject.com/sites/browse_tomb_870.html
John Romer, Histoire de la Vallée des Rois, Vernal - Philippe Lebaud, 1991
Nicholas Reeves, Richard H. Wilkinson, The complete Valley of the kings, The American University in Cairo Press, 2002
Christian Leblanc, Reines du Nil, La bibliothèque des introuvables, 2009
Zahi Hawass, Sandro Vannini A Secret Voyage, Heritage World Press, 2009
http://www.laboratoriorosso.com/eng/portfolio/a-secret-voyage/
http://www.drhawass.com/wp/pic-of-the-day-60/
KV 56 "The Gold Tomb" - Theban Mapping Project
http://www.thebanmappingproject.com/sites/browse_tomb_870.html

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