L'égyptologue Francesco Tiradritti nous livre sa lecture de la Vallée des Rois

La Vallée des Rois par Girolamo Segato (1837-1838) - en haut, à gauche - collection Francesco Tiradritti,
Richard Pococke (env. 1740) - en haut à droite, et par H. Béchard (1870) - en bas

Le 11 février dernier, sur la rive ouest de Louqsor, le professeur Francesco Tiradritti donnait - pour un public "intimiste" - une conférence sur la Vallée des Rois : "A talk on the Valley of the Kings - A profane look at one of the most iconic sites of antiquity". Le thème abordé et ce "regard profane sur l'un des sites les plus iconiques de l'antiquité" annoncé dans le sous-titre ne pouvait qu'éveiller notre intérêt ! Francesco Tiradritti a accepté de nous livrer sa "lecture" de la Vallée des Rois, faite avec une approche aussi documentée, que singulière et originale. Il nous permet ainsi de l'appréhender d'une façon toute différente. Nous le remercions bien sincèrement…

Francesco Tiradritti, égyptologue,
directeur de la Mission Archéologique italienne à Louxor

Francesco Tiradritti est directeur de la Mission Archéologique italienne à Louqsor. Il a notamment étudié à Rome et à Paris. Son travail sur la peinture de l'Égypte ancienne, ainsi que son livre sur le Musée du Caire font référence. Il est l'un des égyptologues les plus connus de la nécropole thébaine où il fouille depuis plus de 20 ans le cénotaphe d’Haroua (TT 37).

Égypte actualités : Comment présentez-vous - de façon succincte - l'histoire générale de la "Vallée des Rois" : cette pyramide naturelle - la montagne thébaine - au sein de laquelle les souverains les plus prestigieux ont choisi de faire creuser leurs demeures d'éternité ?

Francesco Tiradritti : L’histoire de la Vallée des Rois est très simple. C’est un endroit qui se "déplace" au fur et à mesure du changement de la sépulture royale et, dans une telle perspective, le nom de "Biban el-Molouq" est plus correct. Faire une distinction pareille n’est pas sans importance parce que tous les déplacements ont une signification politique et religieuse et ils peuvent nous permettre d'appréhender quelque chose de plus sur l’histoire de l’Égypte ancienne. À titre d'exemple, les derniers rois de la XIXe dynastie démontrent vouloir se rallier au début de la XVIIIe en choisissant de se faire ensevelir non loin de Thoutmosis I. Ce choix assumé est d'une importance capitale et montre que ces souverains voulaient se détacher de leurs prédécesseurs. Ils réaffirmaient ainsi leur légitimité au trône en se rapprochant de celui qu'ils devaient considérer comme une sorte de fondateur du royaume du Nouvel Empire.

Je me demande aussi si la tombe d’Aménophis I, si longuement cherchée, ne se trouve pas trop loin de celle de son fils. 

Plan de la Vallée de Rois
Source : Theban Mapping Project

ÉA : Dans son wadi principal et ses wadis "secondaires", 64 tombes ont été référencées : l'emplacement des hypogées dans la Vallée était, pour vous, dicté par des 'codes' particuliers ? 

FT : Bien sûr. L’endroit était important. Je viens d’en donner un exemple avec les tombes de la fin de la XIXe dynastie. Aussi bien l’éloignement de la tombe d'Hatchepsout de celles de ses prédécesseurs et sa proximité de la falaise au-delà de laquelle se trouve son temple sont significatifs. Le choix de la Vallée de l’Ouest par Aménophis III reflète la construction de son palais à Malqatta, conçu comme un éloignement du Temple de Karnak.

ÉA : Vous avez effectué une analyse archéologique de la Vallée de Rois : quels enseignements vous a-t-elle apportés ?

FT : Je travaille dans l’esplanade de l’Assasif au-delà de la falaise qui sépare la Vallée de Rois de Deir el-Bahri et je ne suis pas un expert. Ce que j’ai toujours lu sur la Vallée des Rois m’a pourtant convaincu qu’il s’agit d’un site sur lequel on parle beaucoup sans l’avoir jamais soumis à une véritable analyse archéologique. Cela amène à faire des affirmations qui ne trouvent pas de correspondance avec la réalité. C’est le cas lorsque l'on dit que c’était, pour un particulier, un honneur de s’y faire ensevelir. Peut-être, mais pas toujours... Il faudrait analyser cas par cas et chercher les véritables motivations de chaque ensevelissement. Comme je l’ai dit, la "Vallée du roi" était l’endroit spécifique où l'on creusait la tombe du souverain et il changeait à chaque règne. 

Gilded coffin of Tuya - 1387-1350
Cairo Egyptian Museum

Cela signifie, par exemple, que la motivation de la sépulture de Youya et Touya dans la "Vallée des Rois" ne doit pas être interprétée comme un honneur que leur aurait rendu Aménophis III.

ÉA : Cette nécropole sacrée a été en activité pendant une très longue période : n'était-elle réellement destinée qu'aux pharaons ?

Croquis de la tombe de Ramsès IX
Ostracon de la XXe dynastie Musée égyptien du Caire

FT : Seulement l’endroit où se trouvait la tombe du souverain devait l’être. Le reste du ouadi pouvait bien être utilisé par d'autres personnages, même si l'éloignement important des centres habités devait rendre très dispendieux le fait de se faire creuser une tombe là-bas.

ÉA : Vous vous attachez à présenter une histoire, que l'on pourrait presque qualifier de "parallèle", de la Vallée, sur des "sépultures" restées plus "discrètes", moins connues ?

FT : Lorsque le centre du pouvoir se déplaça au nord, la Vallée des Rois fut abandonnée. On y a découvert beaucoup de sépultures féminines qui datent de la XXIe et XXIIe dynastie. C’est comme si ces femmes devaient rester à l’écart de la société. Il faudrait étudier ce phénomène de façon plus approfondie et laisser tomber les prétendues identifications des nombreuses momies féminines avec des reines et des princesses du Nouvel Empire. Elles s’appuient souvent sur la position du bras gauche replié sur la poitrine. On l’interprète comme un geste de noblesse en oubliant qu'on le trouve aussi sur les sarcophages féminins de l'époque ramesside.

novembre 1922 : découverte de la tombe de Toutankhamon dans la Vallée des Rois

ÉA : Cette nécropole a connu de grandes heures liées à de grandes découvertes qui ont intéressé le monde entier. Nous pensons bien sûr à celle de la tombe de Toutankhamon. Pouvons-nous nous attendre, dans un avenir plus ou moins proche, à d'autres découvertes, tout autant retentissantes ? 

FT : Il ne faut jamais dire jamais. La Vallée des Rois l’a démontré à plusieurs reprises. On peut sûrement s’attendre à des nouvelles découvertes, mais je suis sûr également que pas mal de surprises pourraient dériver d’une étude sérieuse des données déjà à notre disposition. Je suis aussi convaincu que rien ne viendra des dernières analyses scientifiques qui y ont été effectuées. L’existence de tombes cachées derrière d'autres tombes est acceptable seulement dans un film de série B de Hollywood.

Propos recueillis par marie grillot