Malqatta, l'histoire d'une maison jaquette du film réalisé par Pascal Pelletier guidé "in situ" par Christian Leblanc |
Louqsor est riche, très riche en sites archéologiques… C'est un véritable musée à ciel ouvert, où, dès l'antiquité, les visiteurs se sont pressés, afin d'en admirer les chefs-d'oeuvre, temples, tombes et statues parfois colossales.
Puis sont arrivés les voyageurs-explorateurs, les savants de l'expédition de Bonaparte.
Giovanni Battista Belzoni enlevant le colosse du jeune Memnon (Ramesseum - été 1816) |
Les pilleurs et les "aventuriers", y ont 'régné' et sévi… Leur déclin a commencé avec la création, par le vice-roi Saïd Pacha, le 1er juin 1858, du Service des antiquités… Auguste Mariette, qui l'avait sensibilisé sur la nécessité de sauvegarder le patrimoine du pays en sera le premier directeur.
Grâce, notamment, au déchiffrement des hiéroglyphes, une nouvelle science est née : "l'égyptologie", dont les bases sont à poser. La préservation des monuments - et par là-même des témoignages du très riche passé de l'Égypte - devient enfin une priorité pour lire, apprendre, comprendre et respecter sa longue histoire…
C'est ainsi que des chercheurs et leurs équipes s'installent près des sites antiques, pour les étudier, les décrypter, les sauvegarder, les faire revivre. Si, au tout début, les conditions de vie de leurs campements sont plutôt spartiates, elles évolueront ensuite vers un peu plus de confort. Puis, les équipes - parfois avec l'aide de leurs mécènes - bâtissent de véritables demeures (maison de fouilles - "dig house") qui deviennent leur "camp de base", leur lieu de vie et de travail. Si quelques-unes de ces maisons ont malheureusement disparu, certaines - souvent bâties dans l'architecture vernaculaire -, existent encore sur la rive ouest de Louqsor.
La maison du Metropolitan Museum devenue la Polish House, la maison de Theodore Monroe Davis dans la Vallée de l'Ouest, Castel Carter et la maison Stoppelaere |
Comment ne pas commencer par la plus imposante, celle du Metropolitan Museum ? Située dans l'Assassif, elle a été construite en 1912-1914, d'après les plans d'Herbert Eustis Winlock. Elle est aujourd'hui connue sous le nom Polish House car elle abrite les équipes polonaises, qui, depuis des années, restaurent les temples de Deir el-Bahari.
Dans la Vallée de l'Ouest (West Valley ou Vallée des Singes), le mécène américain Theodore Monroe Davis fit bâtir, en 1905-1906, une petite maison pour y loger ses équipes, notamment Edward Russel Ayrton (qui découvrira pas moins de cinq tombes dans la Vallée des Rois !). Elle sera ensuite agrandie, puis reprise, beaucoup plus tard, par le Service des Antiquités.
Quant à Howard Carter, "le découvreur de Toutankhamon", si l'on identifie bien sûr le très connu "Castel Carter" qui se visite aujourd'hui, il y a lieu de se souvenir qu'avant d'y prendre ses quartiers, il habitait une maison, plutôt modeste, située à l'emplacement actuel de l'Inspectorat du Service des Antiquités (près du ticket office).
Sur un promontoire, situé à l'entrée de la route qui mène à la Vallée des Rois, se dresse la Maison Stoppelaere. Construite par Hassan Fathy, l'architecte du peuple, elle a abrité le service de restauration des tombes thébaines, créé par Etienne Drioton, et dont le premier directeur fut Alexandre Stoppelaere qui lui laissa non nom. Récemment restaurée, elle sert de base à l'entreprise Factum Arte.
Kasr Almânié ou "Palais/Château allemand" construit en 1904, première demeure de la German Mission, aujourd'hui disparu |
La German Mission, qui comporte plusieurs corps de bâtiments, se cache discrètement, dans un cadre de verdure, en face du temple de Merenptah. "Elle fut d'abord un petit château (Kasr Almânié ou "Palais/Château allemand"), construit en 1904, sur un terrain que le khédive Abbas II Helmi avait offert à l'empereur Guillaume II ; il fut démoli vers 1914 pour laisser place à la maison actuelle."
Il ne faut pas oublier non plus que le "Marsam Hotel" était auparavant la Chicago House... Construite par James Henry Breasted, elle accueillit les chercheurs du Chicago Institute, jusqu'à ce que cette institution n'élise domicile sur la rive droite.
Les équipes françaises, disposent, elles, de deux "maisons", de deux "bases stratégiques" pour mener leurs études :
- celle de l'IFAO à Deir el-Medineh, fief pendant des années de Bernard Bruyère, qui accueille depuis une centaine d'années les grands égyptologues de l'Institut…
- et enfin, celle de la MAFTO (Mission Archéologique Française de Thèbes Ouest) à Malqatta.
Christian Leblanc qui dirige la Mission depuis 1983, a accepté de nous présenter cette maison aux façades beiges, cossue et douce, cette oasis de paix et de verdure, qui se trouve en plein désert non loin de l'emplacement de l'ancien palais d'Aménophis III et près de son lac artificiel, le Birket Habou.
Le lac de Birket Abou et le Palais de Malqatta d'Amenhotep III Dessin de J.C. Golvin |
C'est un environnement empreint d'histoire qu'il excelle à restituer de façon extrêmement précise, vivante, presque "familière" : "La cité palatiale de Malqatta couvrait une très importante superficie : elle devait commencer là où se trouve le temple d'Aÿ-Horemheb au nord, et s'étaler jusqu'au Deir el-Chelouit au sud. C'était une véritable ville avec ses infrastructures, dont un immense lac (± 2,5 km de long x 1km de large), désigné sous le nom de Birket Habou, creusé artificiellement et alimenté par un canal venant du Nil. Cette structure aquatique, profonde de plus de± 5 m, qui servait également de port, permettait l'alimentation en eau de la cité et pouvait, en certaines occasions, être également utilisée pour des cérémonies à caractère religieux. La ville fut fondée par Amenhotep III, peut-être bien avant son premier jubilé, comme semblent en témoigner certaines "étiquettes de jarres" découvertes sur le site. La cour royale y vécut, entourée de ses dignitaires et de ses fonctionnaires. Le jeune Akhenaton et Nefertiti ont dû y séjourner avec leurs premières filles avant de quitter Thèbes pour Tell el-Amarna. C'est là encore qu'Amenhotep III épousa en fin de règne la princesse Tadoukhepa, fille de Toushrata II, roi du Mitanni. Tiyi, qui survécut à son époux continua de vivre dans cette résidence, même si, de temps à autre, elle se rendait à Tell el-Amarna pour visiter la famille.”
Quant à la maison elle-même, elle aurait été, selon certaines informations, bâtie à l'origine par "Barry Kemp, un égyptologue anglais pour y abriter dans les années 70 ses travaux et ceux de son collègue australien David O'Connor ; ils fouillaient alors ensemble sur le site de Malqatta. Mais, vers 1977, l'équipe abandonna les lieux pour d'autres chantiers"...
Les débuts de la maison de Malqatta - archives Christian Leblanc |
C'est quelques années plus tard, grâce aux financements d'une mécène, Mme Germaine Ford de Maria - nous allons y revenir - que l'histoire de cette maison va continuer à s'écrire… "Elle sera, en effet, reprise en 1984, avec l'accord du Service des Antiquités, par la Mission franco-égyptienne, alors en charge de la Vallée des Reines.”
La maison de Malqatta où réside la MAFTO (Mission Archéologique Française de Thèbes Ouest) - vue du ciel |
Dans La grande nubiade, Christiane Desroches-Noblecourt raconte : "Au bout de quelques mois, la maison de briques en terre crue située dans l'aire de l'ancienne capitale fondée par Aménophis III à Malqatta, était devenue une imposante "base de vie" (dominée par son château d'eau). Chaque chambre-cellule était complétée par un local sanitaire muni d'une douche. Des salles de travail pour archéologues et architectes, un grand laboratoire photographique et son équipement technique avaient été aménagés… Le désert environnant, vivifié par l'apport de terre arable venant des cultures se transforma rapidement grâce à l'installation de la ligne électrique et à une alimentation en eau, par captation de sources..."
Christiane Desroches-Noblecourt à Malqatta Photo Jean-Louis Clouard |
La grande égyptologue y a vécu en "maîtresse de maison" pendant neuf années, et Christian Leblanc ne l'oublie pas : "C'est à cette époque qu'un luxuriant jardin s'est progressivement mis en place, apportant une belle note de fraîcheur en ces lieux jouxtant le désert. Son souvenir y plane encore comme celui de Germaine Ford-de Maria à qui l'on doit, sur les plans de Jean Lauffray, la restauration et la transformation de cette belle et grande maison toujours entretenue par la Mission aujourd'hui en charge du Ramesseum."
Christian Leblanc dans "sa" maison de Malqatta - photos Marie Grillot |
Celui qui est désormais le maître des lieux en supervise également la logistique : "La maison compte 14 chambres, ce qui permet de loger 14 missionnaires, avec les relais qu'impose une mission : certains membres restent une quinzaine de jours, d'autres résident pendant un mois, voire pour toute la durée de la mission.
La maison de Malqatta où réside la MAFTO (Mission Archéologique Française de Thèbes Ouest) |
Aujourd'hui, pendant les missions, c'est Jocelyne Hottier, en plus de son travail sur le chantier archéologique, qui a en charge la gestion de la maison, une lourde tâche, puisqu'elle doit suivre non seulement l'hébergement des membres au fil des semaines, mais aussi toute l'intendance de la cuisine, depuis les dépenses en nourriture, les approvisionnements, jusqu'au nombre de repas à servir chaque jour. Le personnel local est composé de gardiens, d'un jardinier, d'un intendant et de trois employés pour la cuisine (un chef-cuisinier et ses deux assistants). Ce personnel est pris en charge par la mission, dont les financements sont assurés depuis maintenant plusieurs années par l'Association pour la Sauvegarde du Ramesseum.”
Si la maison de Malqatta n'oublie pas qu'elle a servi, dans les années 80, de cadre à un film américain, elle vit, depuis près de 35 ans au rythme de ceux qui oeuvrent, avec passion, à restituer une parcelle de l'histoire de l'Egypte… Respectueuse du souvenir des personnalités aujourd'hui disparues qu'elle a abritées, empreinte de moments d'intense travail et d'études couronnés par de belles découvertes ou de précieux ouvrages, elle est également riche de la fraternité d'une profession et de l'amitié entre deux peuples…
La montagne de Thèbes depuis le jardin de la maison de Malqatta |
C'est alors que les oiseaux chantent sans discontinuer, que bruissent doucement les feuillages, c'est alors qu'un soleil, énorme, se couche derrière la cime d'occident et que le ciel s'embrase et flamboie de somptueuses couleurs d'orange, de rose, et de violet, qu'il faut, à regret, quitter cet endroit magnifique…
marie grillot
Les textes figurant "entre guillemets" sont de Christian Leblanc (à part bien sûr l'extrait du livre de Christiane Desroches Noblecourt)
Cet article été rédigé concomitamment au tournage d'une vidéo, réalisée par Pascal Pelletier, sous la conduite de Christian Leblanc qui nous a si obligeamment ouvert les portes de la Maison de Malqatta…
Vous en apprendrez ainsi bien plus en visionnant ce film "Malqatta, l'histoire d'une maison":
https://www.youtube.com/watch?v=FyoJyyQAYDI
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