lundi 5 février 2018

Le masque de momie d'une dame de "Meir" à Berlin

Masque de momie d'une femme portant des bracelets en forme de serpent - cartonnage, stuc, pigments, feuille d'or
Période romaine - Ier siècle ap. J.-C. - provenant de la nécropole de Meir - exposé au Musée de Berlin - ÄM 34435
crédit photo : Staatliche Museen zu Berlin, Ägyptisches Museum und Papyrussammlung / Margarete Büsing 

Après la "conquête" d'Alexandre le Grand, les influences grecque puis romaine s'infiltrent doucement en Égypte, puis se conjuguent et s'affirment, jusqu'à modifier significativement les traditions et les coutumes du pays. Cela impactera évidemment les rituels et pratiques funéraires.

"On sait combien, à partir du premier siècle avant notre ère, la décoration des cercueils et des momies se modifia sous l'influence du goût alexandrin. Tandis qu'au Fayoum on remplaçait le masque traditionnel par un portrait, peint à la cire sur un panneau de bois qu'on fixait au-dessus de l'endroit où la tête de la momie se trouvait, ailleurs on conservait l'usage du relief, mais on substituait à la représentation osirienne du mort son buste vêtu de l'habit d'apparat" précise Eugène Grébaut dans "Le Musée égyptien. Recueil de monuments et de notices sur les fouilles d'Egypte".

Ainsi ce masque de momie vivant et coloré nous apparaît-il bien différent des portraits du Fayoum, bien loin de leur douceur, de leur regard profond et de leur présence sublimée par une véritable technique picturale.
Masque de momie d'une femme portant des bracelets en forme de serpent - cartonnage, stuc, pigments, feuille d'or
Période romaine - Ier siècle ap. J.-C. - provenant de la nécropole de Meir - exposé au Musée de Berlin - ÄM 34435
crédit photo : Staatliche Museen zu Berlin, Ägyptisches Museum und Papyrussammlung / Margarete Büsing

Même si l'expression de ce visage est difficile à qualifier, on ne relève aucune note de tristesse dans le regard de la défunte, pas plus que l'expression d'un questionnement relatif à un au-delà inconnu. De même, sa mise, soignée et apprêtée, semble plutôt "festive". 

Cette dame du Ier siècle de notre ère, qui est demeurée anonyme, paraît relativement jeune. Elle a la peau très blanche et semble avoir apporté un soin tout particulier à son apparence, comme pour aller "briller" en société. Elle était d'ailleurs très certainement de classe sociale élevée car seuls les mieux nantis pouvaient se permettre ce rituel funéraire onéreux…

Sa perruque frisée, abondante et brune, est couronnée d'un bandeau serre-tête coloré de gris ardoise et d'or et orné de fins motifs. Les cheveux, recouvrant la majeure partie du front, sont rejetés derrière les oreilles et tombent sur les épaules.
Masque de momie d'une femme portant des bracelets en forme de serpent - cartonnage, stuc, pigments, feuille d'or
Période romaine - Ier siècle ap. J.-C. - provenant de la nécropole de Meir - exposé au Musée de Berlin - ÄM 34435
crédit photo : Staatliche Museen zu Berlin, Ägyptisches Museum und Papyrussammlung / Margarete Büsing 

Le visage, parfaitement symétrique, est éclairé par de grands yeux étirés et maquillés avec soin. "La cornée est d'un blanc franc ; la pupille s'enlève en noir rouge sur l'iris d'un brun rouge sombre, le sourcil est accentué par trois lignes d'un noir bleu, deux à l'extérieur qui en précisent la courbure, un au milieu qui suit l'arête de l'arcade sourcilière. Une nuance d'un bleu ardoisé remplit l'intervalle, identique à celle qui enveloppe la paupière, et destinée comme elle à indiquer l'usage du kohol" (Eugène Grébaut).

Le nez est droit, les lèvres sur lesquelles perdurent des traces de peinture rose esquissent un léger sourire.

Son cou, aux plis marqués par deux traits de couleur rougeâtre, est orné d'un premier collier peint en couleur or. Il est composé de pendentifs, plutôt rectangulaires et en pointe, assez mal reproduits, avec un motif central en forme de croissant presque fermé. Un autre collier, véritable cette-fois-ci, tombe jusqu’à la poitrine. Il est composé d'un enfilage de pierres oblongues sombres qui vont par deux et qui sont séparées par deux perles, brunes, l'une ronde et l'autre ovale.

La défunte est vêtue d'une robe ou tunique rouge : "Le rouge est, dans la tradition égyptienne, la couleur de prédilection portée par les déesses lors d'occasions spéciales" précise le Musée de Berlin. L'encolure est bordée d'un fin liseret bleu-gris et deux bandes  clavis, de même couleur, descendent des épaules. Elles semblent garnies de carrés d'or espacés et d'un plus gros au niveau de la pointe des seins. Ces derniers sont d'ailleurs représentés dressés et pointus de façon relativement ostentatoire.  

Les mains sont rapportées, en relief, sur le plastron. Les poignets sont ornés d'imposants bracelets représentant des serpents, dont la tête arrive au bas du poignet.
Détail du masque de momie d'une femme portant des bracelets en forme de serpent - cartonnage, stuc, pigments, feuille d'or
Période romaine - Ier siècle ap. J.-C. - provenant de la nécropole de Meir - exposé au Musée de Berlin - ÄM 34435
crédit photo : Staatliche Museen zu Berlin, Ägyptisches Museum und Papyrussammlung / Margarete Büsing 

Les mains reposent sur l'abdomen : la droite est repliée, le pouce posé sur l'index, alors que la gauche est à plat, doigts tendus. Les ongles sont délimités de rouge et étrangement, des traits rouges marquent les petites rides des doigts, au niveau des phalanges. L'annulaire gauche est orné d'une belle bague ronde en or.

Les bijoux ont une fonction ornementale bien sûr mais également un "rôle" important : "Des amulettes protectrices telles que les bracelets serpent et le pendentif en forme de lunule se retrouvent également sur le collier plus court. Ces pendentifs en forme de croissant, Lunulae, sont des amulettes protectrices dérivées d'anciens modèles égyptiens, qui devaient normalement protéger les femmes et les jeunes filles et étaient donc exclusivement portées par elles" indique J. Helmbold-Doyé sur la notice descriptive du musée.
Masque de momie d'une femme portant des bracelets en forme de serpent - cartonnage, stuc, pigments, feuille d'or
Période romaine - Ier siècle ap. J.-C. - provenant de la nécropole de Meir - exposé au Musée de Berlin - ÄM 34435
crédit photo : Staatliche Museen zu Berlin, Ägyptisches Museum und Papyrussammlung / Margarete Büsing

Ce masque en relief est doté d'un dosseret décoré : "Au sommet et à l'arrière du masque se trouve l'oiseau-ba, qui déploie ses ailes de façon protectrice avec une tête de femme et un corps d'oiseau. Des deux côtés, les dieux offrent des bandes de tissu, brûlent de l'encens et font une libation en versant de l'eau dans un bol posé sur un support élevé" (J. Helmbold-Doyé).

Eugène Grébaut analyse ainsi la technique de fabrication de ces masques : "Toute la portion que la tête emboîtait avait pour substratum une ou plusieurs épaisseurs de toile grossière, tendues sur une légère carcasse en bois, bâtie de manière à figurer d'une manière générale la forme de la moitié supérieure de la momie. On répandait sur la partie correspondante à la poitrine une couche mince de plâtre fin ou de terre qu'on recouvrait d'un lait de chaux. Deux saillies médiocres levées symétriquement simulaient le sein des femmes d'une façon plus que sommaire, mais les parties du corps qui sont, découvertes à l'ordinaire, les mains et la face, étaient exécutées avec un soin réel."

Ce masque, haut de 52 cm, réalisé en cartonnage peint, provient de la nécropole de Meir qui fut utilisée dès l'Ancien Empire. Située sur la rive ouest du Nil, en Moyenne-Égypte, Meir est le nom "moderne" de l'une des nécropoles de l'ancienne "Kis" - Cusae (aujourd'hui el-Qusiya - gouvernorat d'Assiout), chef-lieu du quatorzième nome. Les premières fouilles y furent pratiquées sous la direction de Jacques de Morgan en 1892. Le site fut ensuite confié, entres autres, à Georges Daressy, Alessandro Barsanti, Georges Legrain, Jean Clédat…

En 1910, c'est Ahmed Bey Kamal qui est en charge du secteur. Il semble qu'alors, un riche homme d'affaires d'Assiout, Sayed Khashaba, ait bénéficié d'une concession de fouilles. Cela lui permit de constituer sa propre collection d'antiquités qui fut ensuite exposée dans l' "Egyptian Museum of Saiyid Khashaba Pasha", situé près du bureau de poste d'Assiout.
Les quatre masques de momies provenant de la collection Sayed Khashaba
exposés dans une vitrine du musée de Berlin

C'est par la vente de sa collection que ce masque - ainsi que trois autres - sont arrivés, en 1989, au Musée de Berlin ; il y est exposé sous la référence ÄM 34435.

marie grillot

sources :
Mumienmaske einer Frau mit Schlangenarmbändern site du Staatliche Museum zu Berlin https://recherche.smb.museum/detail/607422/mumienmaske-einer-frau-mit-schlangenarmbändern?language=de&question=34435&limit=15&sort=relevance&controls=none&objIdx=1 http://www.smb-digital.de/eMuseumPlus?service=direct/1/ResultLightboxView/result.t1.collection_lightbox.$TspTitleImageLink.link&sp=10&sp=Scollection&sp=SfieldValue&sp=0&sp=0&sp=3&sp=Slightbox_3x4&sp=24&sp=Sdetail&sp=0&sp=F&sp=T&sp=27 Eugène Grébaut, Le Musée égyptien. Recueil de monuments et de notices sur les fouilles d'Egypte, IFAO, 1890-1900 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5808100r/f35.item.r=MASQUE Annales du Service des antiquités de l'Égypte, Institut français d'archéologie orientale (Le Caire), 1911 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5614870c/texteBrut Bertha Porter, Rosalind l. B. Moss, Topographical bibliography of ancient egyptian hieroglyphic texts, reliefs, and paintings IV. Lower and Middle Egypt (Delta and Cairo to Asyut), F.S.A., Griffith Institute, Ashmolean Museum Oxford, First published 1934, by the Clarendon Press Oxford, Re-issued by the Griffith Institute, 1968 - P&M n° 4 p247 http://www.griffith.ox.ac.uk/topbib.HTML Portraits de l'Egypte romaine, RMN, 1998 Vorgestellt und erläutert durch Frau Dr. Hannelore Kischkewitz Ägyptisches Museum Berlin am 10. Juni 2001 in der Remise des Ägyptischen Museums Berlin Veröffentlichung des nachfolgendes Textes mit freundlicher Genehmigung der Autorin http://www.gitta-warnemuende.de/kunstw61.htm Christina Riggs, The Beautiful Burial in Roman Egypt : Art, Identity, and Funerary Religion, Oxford University Press, 2006 https://books.google.fr/books?id=5pLX9rLqelQC&pg=PA110&lpg=PA110&dq=collection++Khashaba+egypt&source=bl&ots=RUx_tYPpVr&sig=n7Fapljye3Rl-qODY-qFaq6BUrg&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjqiY2RwYDZAhVgOMAKHWcdAAsQ6AEIPTAH#v=onepage&q=collection%20%20Khashaba%20egypt&f=false Mummy Mask - Roman Period - Metroplitan Museumm of Art New York https://www.metmuseum.org/art/collection/search/547257 Luc Delvaux, Dirk Huyge, Isabelle Therasse, Sarcophagi, Koregos, Revue et Encyclopédie Multimédia des Arts, Académie Royale de Belgique, 2015-2016 http://www.koregos.org/fr/luc-delvaux-sarcophagi/10002/

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