Une journée en Égypte avec… Jean Bayet (1882-1915), fonctionnaire au ministère de l’Instruction publique français, direction de l'enseignement supérieur
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Tête de Ramsès II, par Aymard de Banville (1837-1917) |
"La première impression qui saisit le touriste, lorsqu'il foule le sol de l'Égypte, est une sensation d'étonnement et d'admiration. Il s'émerveille à songer qu'après tant de bouleversements économiques et sociaux, après tant de dynasties triomphantes, puis déchues, après l'invasion, les guerres, les dominations étrangères, il puisse retrouver encore intacte, sur cette terre antique, l'empreinte des civilisations disparues, jusque dans leurs manifestations les plus intimes et les plus familières. Tant de pensées s'éveillent, pour qui cherche, dans l'âme du présent, le reflet du passé : pensées de gloire, pensées de ruine et de décadence, et surtout mystère impénétrable des siècles, que l'histoire n'a pu percer, et qui pourtant nous obsède par la présence de ces colosses de pierre surgis dans la nuit des âges.
Qui retracera jamais la vie des fondateurs préhistoriques de l'Égypte, sur lesquels à peine quelques lambeaux de papyrus desséchés nous donnent des indications incertaines ? Des noms pourtant s'imposent à nous : Chéops, Khéphren, Mykérinos, symboles inaccessibles, inscrits pour nous en caractères indestructibles, sur ces triangles fantastiques qui de leur masse écrasent les solitudes du désert memphite, garde royale étrange avec son sphinx, en faction depuis l'aube des siècles. (...)
Malgré tant de schismes et de nouveautés, la terre d'Égypte et ses habitants ont conservé quelque chose d'antique et d'immuable, sur quoi les ans, semble-t-il, pas plus que le joug étranger, n'ont eu de prise. Immuable est l'ancienne patrie des Pharaons, comme le désert qui l'entoure de toutes parts et semble vouloir se resserrer, ainsi qu'un étau, sur l'étroite vallée du Nil, bordée de terres fécondes et des débris de temples orgueilleux ; immuable, comme le sable que le vent soulève en âpres tourbillons, et qui s'amoncelle sans trêve sur les obélisques, sur les pylônes et les statues, épars dans le désert, et jusqu'aux portes des villes ; immuable comme le soleil brûlant, l'air radieux, l'atmosphère lumineuse de ce pays féerique comme le Sphinx, dont l'obsédant sourire semble déchiffrer sans fin quelque énigme qui déconcerte notre faiblesse humaine."
(extrait de Égypte, 1911)
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Une journée en Égypte avec… Georges Ebers (1837 - 1898), égyptologue allemand auquel on doit l’édition d’un papyrus qui porte son nom.
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Le Caire - Sabil Kuttab Oum Abbas |
"Si jamais, du haut de la citadelle, vous avez contemplé la forêt des minarets, le Nil, et, bien loin à l'horizon d'occident, les pyramides ; si vous avez parcouru les rues et les ruelles, les bazars et les mosquées, les places et les jardins ; si vous vous êtes mêlé à la vie bariolée, changeante, exubérante, à la presse et au tumulte des habitants, quand le destin aurait refusé à votre âme le don précieux de l'imagination et à votre coeœur toute émotion poétique, vous songerez toujours au temps de votre séjour au Caire comme à une époque où il vous aura été donné de vivre au pays des fables et des merveilles.Ici, se promener au hasard est rencontrer quelque chose de nouveau ; ici, regarder seul est un plaisir ; ici, observer et s'instruire ne sont qu'un. Personne n'a quitté le Caire sans profit et sans chagrin ; car, si chaque voyageur emporte d'ici des impressions multiples et des souvenirs qui illumineront longtemps sa mémoire, toujours se glisse au fond de son coeœur une sorte de regret mélancolique, et il se sent rappelé aux bords du Nil comme par un ami dont les mains lui feraient signe de revenir. “Qui a bu l'eau du fleuve”, dit l'Arabe, “la regrette toujours, et on ne s'égare pas impunément sous les palmiers.”
Comment expliquer la fascination que cette ville étrange n'a jamais manqué d'exercer ? Même dans ses parties les plus attachantes, elle n'est nullement ce que nous entendons par une ‘belle ville’. La montagne à laquelle elle s'appuie est entièrement dénuée de végétation, et elle-même est une des plus jeunes parmi les grandes villes de l'Orient. Par un côté seulement elle bat toutes les villes que je connais : elle est si féconde en changements que, dans l'espace d'une courte promenade, elle nous conduit à travers plus d'éléments divers de civilisation, plus de manifestations opposées de l'art, plus de contrastes naturels, que nul endroit au monde."
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Une journée en Égypte avec… Gaston Maspero (1846-1916)
Le temple de Louxor et ce qu'on apprend à le bien visiter
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Le temple de Louxor |
"Ni les touristes ni les savants n'accordent au temple de Louxor l'attention qu'il mérite. Il se développe longuement sur les bords mêmes du fleuve, à six ou huit minutes de distance de l'hôtel le plus éloigné ; les désoeuvrés qui flânent d'un bout du quai à l'autre sans savoir comment employer leur temps n'auraient pas cinquante pas à faire pour descendre dans la grande cour, et c'est justement la facilité d'accès qui les empêche d'y songer. Ils acceptent volontiers d'être secoués six ou huit heures durant sur un baudet ou dans une chaise à porteurs pour aller à Déîr-el-Baharî ou à Médinét-Habou ; dès qu’ils ont traversé Louxor une fois en courant la plupart d'entre eux n'y rentrent plus, mais à force de passer et de repasser devant lui matin et soir, ils s'imaginent l'avoir fréquenté familièrement et le connaître dans tous les coins.
Il est pourtant le moins dégradé des temples thébains et le plus beau. Déîr-el-Baharî l'emporterait peut-être sur lui pour ses trois terrasses superposées et pour ses portiques, si les chapelles du haut n'y étaient pas de dimensions si mesquines. Le Ramesséum n'est plus que la moitié de lui-même, moitié de pylône, moitié de parvis, moitié d'hypostyles, et rien n'y subsiste plus du saint des saints. Derrière ses portes triomphales et ses cours immenses, Médinét-Habou ne montre plus que des arases des murailles et des tronçons de colonnes. Karnak vante ses parties colossales dont aucun édifice au monde n'égale la puissance, mais les pharaons y ont travaillé pendant plus de dix siècles sans s'inquiéter d'y coordonner leurs efforts : il n'y a pas assez loin des splendeurs massives de la salle hypostyle aux proportions mesquines du sanctuaire de granit, et pour le reste, qui des visiteurs réussirait à s'y orienter parmi les décombres s'il n'était guidé par un archéologue de métier ? Louxor est grand sans être monstrueux. Son plan, bien conçu et bien équilibré, se déploie avec ampleur, et du mur de fond à la façade on y suit aisément la pensée de l'architecte ; nulle part les concepts que l'Égypte s'était forgés de la nature des dieux et de leur culte n'apparaissent aussi clairs que sur ses murs."
(extrait de Ruines et paysages d’Égypte)
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