Le 18 octobre 1817, Giovanni Battista Belzoni découvre, dans la Vallée des Rois, une tombe immense aux décors d'une incroyable beauté. La clé de lecture des hiéroglyphes n'est pas encore déchiffrée, il ne peut alors savoir qu'il s'agit là de la demeure d'éternité de Séthy Ier. En référence à la "carcasse de taureau embaumé avec de l'asphalte" qui y est trouvée, elle sera dénommée "tombe de l'Apis" ou même parfois "tombe Belzoni". C'est bien plus tard qu'elle sera attribuée au père de Ramsès II et référencée KV 17 (King Valley).
"Je puis appeler le jour de cette découverte un des plus fortunés de ma vie" se souvient le découvreur, subjugué par ce qui s'offre à ses yeux … "Je jugeai, par les peintures du plafond et par les hiéroglyphes en bas-relief que l'on distinguait à travers les décombres que nous étions maîtres de l'entrée d'une tombe magnifique" ("Voyages en Egypte et en Nubie"). L'hypogée s'enfonce de 137 m dans la montagne thébaine par 7 corridors et compte 10 salles ! C'est l'une des plus belles et des plus "complètement" décorées de la Vallée. C'est aussi l'une de celles où la qualité des peintures atteint la plus haute perfection. Belzoni se rappelle : "à mesure que nous avancions, ces peintures devenaient plus parfaites. Elles étaient recouvertes d'un vernis dont le luisant produisait un bel effet : les figures étaient peintes sur un fond blanc"… Puis, continuant son avancée, il arrive dans une "petite salle, ornée comme tout le reste de belles figures en bas-relief et peintes. Ces peintures étaient toutes exécutées avec tant de perfection que je crus devoir appeler cette pièce la salle des beautés". La salle du sarcophage l'émerveille tout autant.
Différents plans de la tombe de Séthy Ier découverte dans la Vallée des Rois, par Giovanni Battista Belzoni, le 18 octobre 1817 |
Il est si totalement conquis que naît, très vite chez lui, l'idée de faire connaître au plus grand nombre cet incroyable monument. Il décide d'en faire le relevé complet et d'en publier les planches et les dessins. Il fait appel à Alessandro Ricci, médecin et dessinateur, arrivé en Égypte en 1817 : "J'avais engagé le signor Ricci, jeune homme d'Italie, très habile à dessiner, et qui, avec un peu de pratique, devint parfait dans ses imitations de hiéroglyphes. Il devait commencer les dessins de la tombe à son arrivée à Thèbes". C'est ainsi que : "De février à mars (1818), Ricci travailla seul dans la tombe pour copier autant de reliefs que possible". Le 10 mai, Belzoni le retrouva dans la Vallée des Rois. "II fut stupéfié par le travail réalisé par ce médecin artiste, décidément très doué : la plupart des grandes peintures murales de la tombe de l'Apis étaient déjà recopiées et il attendait Giambattista et sa cargaison de cire d'abeilles pour prendre les empreintes de l’ensemble des bas-reliefs. Campant tous deux dans cet hypogée, ils consacrèrent tout l’été 1818 à cette tâche épuisante". Le résultat fut admirable, mais il exigea beaucoup d’habileté et de patience : "Le plus difficile était de prendre des empreintes des figures sans endommager les couleurs dont elles étaient revêtues. En comptant les figures de grandeur naturelle, j’en trouvai en tout cent quatre-vingt-deux. Quant aux figures de un à trois pieds de haut, je ne les ai pas comptées, mais il ne pouvait guère y en avoir moins de huit cents. Il se trouvait dans cette tombe à peu près deux mille figures hiéroglyphiques, dont la grandeur variait de un à six pouces ; je les copiai toutes fidèlement, avec leurs couleurs". De cet immense travail résultera un nombre impressionnant de dessins et d'empreintes de cire des parois du tombeau…
Après un passage par l'Italie, Belzoni rejoint Londres fin 1819 : il y publiera, dès 1820, deux volumes de "Narrative of the Operations and Recent Discoveries within the Pyramids, Temples, Tombs and Excavations, in Egypt and Nubia ; and of a Journey to the Cost of the Red Sea, in search of the Ancient Berenice; and another to the Oasis of Jupiter Amon". Il est difficile de dire quand lui vint l'idée de faire une exposition mais, dans "L'aventure archéologique en Egypte", Brian M. Fagan précise que, peu après son retour, un article du "Times" indiquait que : "Belzoni exposerait sa 'magnifique tombe de Thèbes' dès qu'il aurait trouvé le local approprié". Avec son épouse Sarah - compagne de ses nombreuses 'expéditions' et aventures -, ils optent pour "The Egyptian Hall Piccadilly". Construit en 1812, il affiche une façade à l'architecture "égyptianisante" qui conjugue frontons, colonnes, bas-reliefs et statues. A grand renfort de "publicité", l'exposition ouvre ses portes le 1er mai 1821. Belzoni a pris soin de s'assurer de la présence de nombreuses personnalités. Il les a d'ailleurs "attirées", dès la veille, par le "démaillottage" d'une momie… La magie de l'Egypte déferle alors sur Londres… "Les deux chefs-d'œuvre de l'exposition étaient la reproduction, grandeur nature, de deux belles salles du tombeau de Séthi Ier : le vestibule aux piliers et une chambre ornée de cinq figures humaines" (Brian M. Fagan). |
Façade de l'Egyptian Hall, Piccadilly, London, lieu où s'est tenue l'exposition de Belzoni sur la tombe de Sethi Ier en 1821 |
Belzoni présente également Abou Simbel, une coupe transversale de la pyramide de Khéphren et de nombreuses statues, momies, papyrus, … "Le succès sera immédiat avec, notamment "mille neuf cents entrées, le premier jour, au prix d'une demi-couronne !" L'exposition restera plus d'un an et suscitera l'envie des pays voisins…
Dans un premier temps précise Brian M. Fagan : "Paris demanda des moulages en plâtre qui furent pris sur les empreintes de cire de Belzoni, et rehaussées de couleurs d'après celles qu'avait fidèlement recopiées Alessandro Ricci". Puis, en 1822, l'exposition s'installera dans la capitale française, 29 boulevard des Italiens, aux "Bains Chinois". Dans cet établissement construit par Samson Nicolas Lenoir en 1787 (il sera détruit en 1853, peu après son rachat par Richard Wallace), elle sera merveilleusement mise en valeur et même "embellie par une illumination des plus heureuses".
Une histoire, aussi incroyable que merveilleuse, relate que "Le 27 septembre 1822, à l'heure même où Champollion adressait sa fameuse 'Lettre à M. Dacier', relative au déchiffrement des hiéroglyphes, passait sur la Seine, sur un gros chaland, le fac-similé de la tombe de Séthi Ier".
Dans "Champollion, le savant déchiffré" Alain Faure relate que, à cette occasion : "Champollion le Jeune rencontra à plusieurs reprises le 'Titan de Padoue', l'invita chez lui et participa à la rédaction de la brochure destinée aux visiteurs. Le 8 octobre à dix heures un public de connaisseurs dûment munis de jetons d'entrée assista à l'inauguration. L'auteur de la 'Lettre à M. Dacier', qui était du nombre, resta 'muet d'admiration' paraît-il en visitant la salle principale plus vraie que nature - longue de soixante mètres ! - où étaient disposées des momies, statues, aquarelles. Malgré sa science nouvelle, il ne put lire le nom de Séthi Ier, le père du grand Ramsès, sur les somptueuses fresques du tombeau attribué à tort par Belzoni à Néchao et à son fils Psammétique". En fait, l'erreur de cette attribution ne revenait pas directement à Belzoni qui clamait alors, de bonne foi : "J'annonce avec plaisir que le docteur Young qui, après une longue étude des hiéroglyphes, est parvenu à en déchiffrer un grand nombre, a trouvé les noms de Nichao et de Psammis son fils dans les hiéroglyphes que j'ai dessinés dans cette tombe"…
Tout comme les Anglais, les Français seront émerveillés par les reproductions de l'hypogée et Gustave Lefèvre note d'ailleurs que "toute la société́ parisienne se pressait à cette extraordinaire exposition"…
Séthi Ier devant Isis et Anubis Aquarelle de la tombe de Séthi Ier réalisée par Alessandro Ricci pour Giovanni Belzoni © Bristol City Museum & Art Galleries |
Dans son livre "A la recherche de l'Egypte oubliée", Jean Vercoutter estime que : "Avec son livre traduit en français et publié en 1821, qui raconte ses travaux en Egypte et en Nubie, Belzoni éveille l'attention des esprits curieux : sans le savoir, il aide Champollion à obtenir les crédits nécessaires à son voyage en Egypte…".
Quant à Belzoni, "il avait décidé de quitter l'Europe afin de partir à la recherche des sources du Niger en Afrique de l'Ouest". Mais, le 3 décembre 1823, alors qu'il était sur la route de Tombouctou, il fut emporté par une dysenterie, il n'avait que 45 ans.
Giovanni Battista Belzoni - Padoue, 5-11-1778 - Tombouctou, 3-12-1823 Portrait publié par son épouse Sarah en 1824 |
Avec la mort de l'explorateur, précisent Nicholas Reeves et Richard H. Wilkinson dans "The complete Valley of the kings" : "Les projets d'exporter l'exposition dans d'autres capitales européennes furent abandonnés mais une dernière exposition sur le thème du 'tombeau égyptien' fut organisée par sa veuve Sarah au printemps 1825 au 28 Leicester Square, Londres 'pour le soutien de la mère âgée de M. Belzoni et de sa nombreuse famille de Padoue'"…
Puis indique Brian M. Fagan : "Tout le contenu fit l'objet de ventes aux enchères passionnées ; on alla jusqu'à payer quatre cent quatre-vingt-dix livres les reproductions de la tombe et quelques dessins supplémentaires" …
marie grillot
sources :
Giovanni Belzoni, Voyages en Egypte et en Nubie, Pygmalion, 1979
Gustave Lefebvre, L'Égypte et le vocabulaire de Balzac et de Th. Gautier, Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 89ᵉ année, N. 4, 1945. pp. 554-571
http://www.persee.fr/docAsPDF/crai_0065-0536_1945_num_89_4_77912.pdf
Brian L. Fagan, The Rape of the Nile: Tomb Robbers, Tourists, and Archaeologists in Egypt, Macdonald & Jane's, 1977
https://books.google.fr/books?id=CI84DgAAQBAJ&pg=PT113&lpg=PT113&dq=exhibition%20Belzoni%20Seti%20Saint%20Petersburg&source=bl&ots=cpZJr4hXvf&sig=COEiL_SQlWBptDjwcsh4Hy9VOAc&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiBuPvggZfZAhWFzaQKHdkuDgEQ6AEIUzAH#v=onepage&q=exhibition%20Belzoni%20Seti%20Saint%20Petersburg&f=false
Brian L. Fagan, L'aventure archéologique en Egypte : Grandes découvertes, pionniers célèbres, chasseurs de trésors et premiers voyageurs, Pygmalion, 1991
Jean-Jacques Fiechter, La moisson des Dieux, Julliard, 1994
Paul Starkey, Janet Starkey, Travellers in Egypt, I.B.Tauris, 1998
Alain Faure, Champollion, le savant déchiffré, Fayard, 2004
Nicholas Reeves, Richard H. Wilkinson, The complete Valley of the kings, The American University in Cairo Press, 1996
Alain Faure, Champollion, le savant déchiffré, Fayard, 2004
Jean Vercoutter, À la recherche de l'Égypte oubliée, Découvertes Gallimard, 2007
Jean Modot, Souvenirs italiens à Paris, Edilivre, 2014
https://books.google.fr/books?id=sSQJCwAAQBAJ&pg=PT106&lpg=PT106&dq=exposition%20Belzoni%20Sethi%20Paris&source=bl&ots=2r1a3BcESS&sig=5uz8XbCzjJUI1emIYZFl0p-BBvs&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiBo6WB_5bZAhWQyKQKHf-aAHY4ChDoAQgwMAI#v=onepage&q=exposition%20Belzoni%20Sethi%20Paris&f=false
Alberto Siliotti, Giovanni Belzoni e il bicentenario dimenticato, Mediterraaneo Antico, aout 2017
https://mediterraneoantico.it/articoli/egitto-vicino-oriente/giovanni-belzoni-bicentenario-dimenticato-2/
The London Blog, Scarlett, October 13, 2017, Egypt Uncovered at the Soane Museum
https://www.diaryofalondoness.com/egypt-uncovered-soane-museum/#:~:text=On%20the%2017th%20October,discovered%20in%20Egypt%3A%20Seti%27s%20sarcophagus.
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