Le sphinx et les pyramides - photo de Zangaki |
"Aux pieds des pyramides veille le Sphinx, gardien de l'enceinte sacrée. Il est considéré à juste titre comme le monument le plus célèbre, après les pyramides, de ce vaste champ des morts qu'est le plateau de Gizeh. Le Sphinx est une statue colossale sculptée dans le roc qui borde le plateau désertique. Ce devait être à l'origine un rocher brut, à qui la nature avait donné les vagues contours d'un animal accroupi. Les artistes de l'Ancien Empire lui donnèrent la forme d'un lion couché, symbole de la force physique, et sculptèrent une tête humaine, emblème de la force mentale, celle du roi, comme l'indique la coiffure ornée de l'uraeus. Cette quatrième merveille de Gizeh se trouve au nord du temple de la vallée du roi Chéphrên. (...)
Une imposante expression de force et de grandeur reste dans l'ensemble, même après les détériorations que le monument a subies au cours des temps : la barbe et le nez ont été brisés (une partie en est conservée au British Museum), le cou s'est amenuisé ; la bouche sourit, les yeux regardent au loin, perçant l'infini et tout le visage porte l'empreinte de la beauté égyptienne. La teinte rouge qui avivait ses traits est effacée presque partout. Nulle œuvre sortie de la main des hommes n'offre plus de force ni de souveraine grandeur. (...)
Que fait-il donc là cet être impassible sous le ciel, perdu dans la solitude ? Que fait-il donc là cet être qui défie le temps et semble dire aux passants : "Vous tous êtes mortels, je suis éternel" ?
Les anciens historiens qui ont visité l'Égypte n'ont donné sur lui aucun renseignement ni aucune description. Toute leur attention fut consacrée aux pyramides. Le Sphinx était-il donc déjà ensablé puisqu'il n'a pas attiré l'attention des historiens ? La première fois qu'on le désensabla fut, à notre connaissance, sous le Nouvel Empire. À cette époque les anciens Égyptiens qui vivaient dans le voisinage de la nécropole de Gizeh l'adoraient comme une image du dieu Râ sous le nom de Hor-em-akhet, c'est-à-dire "Horus dans l'horizon", ou le soleil levant. Les stèles découvertes près des grandes pyramides, prouvent que cette région de la banlieue de Memphis était recherchée par les rois pour la chasse aux fauves et aux gazelles. Pour cette raison les anciens Égyptiens l'appelaient La Vallée des Gazelles. (...)
Le Sphinx garde, malgré les mutilations du temps et des hommes, une puissante et terrible sérénité qui frappe et saisit jusqu'au profond du cœur. Cette figure calme et impassible et dont le sourire semble parfois rempli de dédain, parfois de pitié, porte l'empreinte d'une grande sagesse. Ses yeux fixent l'infini du côté où se lève le soleil créateur de toutes choses, comme s'il voulait être le premier à découvrir, le matin, par-dessus la vallée l'apparition de Rê. L'ensemble évoque un sorte de mystère et le Sphinx garde jusque dans sa détresse une expression souveraine de force et de grandeur. Fidèle gardien de l'enceinte sacrée, il veille toujours au pied des Pyramides de Gizeh.
L'art qui a conçu cette prodigieuse statue était déjà un art complet et maître de ses effets dans la beauté du type, la grâce de l'expression et la perfection du travail. On n'oublie jamais, quand on les a vus, l'intensité et la profondeur de pensée de ces yeux qui regardent si loin par delà la réalité des choses. Il impose une crainte indéfinissable tant sa face reste impénétrable, tant ses yeux vides semblent garder la vision d'une foule de choses lointaines, ignorées et terribles. Combien de peuples n'ont-ils pas passé devant lui, puis se sont évanouis dans le temps ? Combien, parmi les humains, en présence de ce symbole du mystère ne sont-ils pas tentés de lui dire : “Ah, si tu pouvais parler et raconter ce qu’ont vu ces yeux qui regardent si loin par delà la réalité des choses !"
Le Sphinx, Hor-em-akhet, dieu du Soleil Levant, semble être l'âme toujours vivante de la vieille Égypte."
(extrait de “La Revue du Caire”, n° 102, septembre 1947)
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Une journée en Égypte avec… Léon Labat (1803-1847), grand voyageur, ex-chirurgien du vice-roi d’Égypte
Bonfils, bas relief du Temple de Denderah, circa 1880 |
"Un des plus beaux privilèges de l'architecture est de révéler à la postérité le caractère particulier de chaque peuple. Celle des Égyptiens fut austère comme leurs mœurs : le style en était simple, mais imposant et sublime. Leurs constructions n'étaient ni frivoles ni éphémères comme la plupart des nôtres. L'éternité fut pour eux un culte dont ils inscrivirent les dogmes sur les pages vivantes de leurs gigantesques monuments. Tout portait, chez eux, l'empreinte d'un caractère noble et réfléchi. Ce peuple, qui méditait sans cesse sur les œuvres éternelles de Dieu, tâchait de les imiter, comme pour se rapprocher de son antique origine.
Ces monuments, qu'ils auraient voulu rendre impérissables, devaient être, pour les générations présentes et pour la postérité, l'objet d'une contemplation religieuse. La Grèce, Rome, et, plus tard, notre moderne Athènes érigèrent des temples aux dieux, des palais aux rois, et des cirques pour les amusements du peuple. À ce triple but d'utilité, les Égyptiens surent en joindre un autre qui constitue le caractère propre de leur architecture : leurs monuments, à larges bases et à grandes surfaces, quelle que fût leur destination, furent disposés de manière à recevoir leurs inscriptions hiéroglyphiques.
Un principe religieux et conservateur se rattachant ainsi aux édifices qu'on élevait de génération en génération, la longue vallée du Nil fut bientôt parsemée d'un nombre infini de temples, de mausolées, d'obélisques, de palais et d'aqueducs qui conduisaient l'eau dans toutes les cités. Un noble sentiment de piété religieuse et de respect pour les morts, leur fit entreprendre les constructions les plus prodigieuses qu'ait jamais tentées la puissance humaine : leurs masses, qui s'élevaient jusqu'aux cieux, faisaient naître dans l'esprit de ces populations un sentiment de méditation et de recueillement que nous avons nous-même profondément ressenti à la vue des colossales pyramides de Memphis. Non contents d'honorer les dieux et la mémoire des grands hommes en leur érigeant des monuments, ils voulurent encore donner aux dépouilles mortelles de leurs parents un asile de repos et de conservation éternelle : d'immenses hypogées furent creusés dans les flancs des montagnes et dans le sein de la terre pour y loger d’innombrables momies qui étaient pour eux une sorte de protestation contre le néant. Toutes les actions de ce peuple vertueux rappelaient sans cesse le culte de la divinité et le respect pour les morts. Ce respect fut tel que les Égyptiens ensevelirent dans les tombeaux de leurs ancêtres les différents objets qu'ils avaient affectionnés, ainsi que les instruments qui avaient contribué à leur illustration. Ils poussèrent enfin leur reconnaissance pour les œuvres de Dieu au point d'embaumer et de loger dans les hypogées diverses espèces d'animaux. On serait tenté de croire qu'ils voulurent étendre le dogme de l'immortalité à tous les êtres que le ciel avait fait naître sur le sol fortuné de l'Égypte."
(extrait de L'Égypte ancienne et moderne, 1840)
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Une journée en Égypte avec… Jean Capart (1877-1947), égyptologue belge
Tombe de Nakht à Thèbes par Norman de Garis Davies |
"Sans vouloir trancher les plus graves problèmes de l'esthétique, demandons-nous maintenant s'il n'est pas possible de signaler dans quelques faits simples, ce qu'on pourrait appeler l'éveil du sentiment du beau chez les Égyptiens. Un premier caractère bien net à souligner est leur goût extraordinairement développé de la décoration florale. Les Égyptiens aimaient passionnément les fleurs et pourtant la flore égyptienne n'est pas fort riche. Ils ont employé le lotus aux usages les plus divers aux jours de fête, ils en suspendaient des guirlandes au sommet des murs, en accrochaient la corniche des kiosques et des baldaquins, en entouraient les vases ; en formaient des colliers et des couronnes. L'art décoratif, ici, n’a eu qu'à copier les formes habituelles pour produire des décors fixes d'une grande richesse.La bijouterie restera longtemps fidèle aux formes que la nature offrait aussi riches que peu compliquées. N'est-ce pas à cet amour des fleurs que peut se rattacher aussi le goût des matières brillantes et colorées qui se manifestera dans les pièces de bijouterie à incrustations, dans les meubles combinant des matières de teintes diverses, dans les tapis et les nattes, dont le répertoire est extrêmement varié ? Mille indices nous révèlent le goût des Égyptiens pour la grâce, l'élégance, la sveltesse dans les formes féminines. L'art. industriel particulièrement y a puisé des types remarquables qui transforment un objet de vulgaire utilité en un objet réellement beau, ou simplement plaisant voir. Quand l'ouvrier ancien a donné à un récipient à fard la forme d'une jeune fille portant un vase sur l'épaule, ou d'une nageuse qui a saisi un canard, il a voulu faire plus évidemment que de procurer à sa cliente un récipient à fard. Le but primitif a presque disparu et l'intention du fabricant s'est portée en première ligne sur la création d'un objet joli, de nature à tenter l'élégante dont la délicatesse artistique est ainsi éveillée. On se trouve, dans ce cas, en présence d'un artiste créateur de beau et aussi, ce qui est d'une égale importance, d'une clientèle réclamant des productions artistiques. Lorsque les Égyptiens ont reproduit des figures grotesques, comme celle du dieu Bès ou des captifs étrangers, leur intention était de provoquer le rire, ou de faire ressortir par contraste la supériorité des formes belles et gracieuses."
(extrait de La beauté égyptienne, Office de publicité, 1942)
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